l’Incohérence de la politique de la Communauté Internationale à l’Égard d’Haïti Exposée par Editor

l’Incohérence de la politique de la Communauté Internationale à l’Égard d’Haïti Exposée par Editor

Le peuple haïtien s’est mobilisée depuis déjà plus d’une année pour exiger la démission de Jovenel Moïse, un chef d’État répudié par la grande majorité des citoyens, tant par ceux de l’intérieur que d’autres basés à l’étranger. Comme un seul homme, les plus de deux ou trois millions de personnes qui sont descendues dans les rues de la capitale et des villes de province, l’année dernière, et dont le nombre a plus que triplé, depuis bientôt quatre semaines, la nation quasiment entière a tourné la page sur lui. Mais la communauté internationale, menée par les États-Unis, persiste à cautionner la présidence de M. Moïse, une politique incohérente dictée par des motifs insolites. Heureusement que les meneurs de la mobilisation n’ont pas donné dans le panneau par rapport aux chantages des diplomates étrangers.

En effet, en guise de réplique à l’argument déclarant Jovenel Moïse inamovible avant la fin de son mandat, qui expire en 2022, le peuple a décidé de prononcer sa destitution sans appel. C’est là sa réplique au CORE Groupe préconisant : «élu démocratiquement, son mandat ne doit prendre fin qu’à la faveur de nouvelles élections». Face à cette communauté internationale faisant la sourde oreille à leurs doléances, les Haïtiens ont fait une dernière démonstration de force aux supporteurs étrangers de Moïse, l’encourageant à mépriser la demande de sa «démission immédiate et sans condition». L’attitude de cette communauté, dont les différents États sont considérés comme des «modèles de démocratie», a définitivement pris au dépourvu une société haïtienne faisant l’apprentissage du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.

Les citoyens haïtiens sont d’autant plus déroutés par le comporte- ment des diplomates, qui représentent les pays dits «amis d’Haïti», qui ont voté pour mettre notre pays à l’école de la démocratie, sous la supervision des Nations Unies, qu’ils se demandent ― et pour cause ―, comment expliquer l’hypocrisie affichée par des donneurs de leçons ? En réponse à cette interrogation, on est tenté de croire que des motifs inavoués inspirent la politique de ces pays supporteurs de Jovenel Moïse. Dans ce cas, il est aisé de comprendre la déception des secteurs pro-démocratie, surtout les jeunes, qui se sont laissé séduire par ceux qui, par leur discours, exhortent les uns et les autres à poursuivre les idéaux démocratiques.

Les diplomates étrangers, qui n’- ont cessé, durant leur carrière, en Haïti, sous les régimes qui se sont succédés au pouvoir, depuis la chute de la dynastie des Duvalier, en 1986 (Aristide, Préval, Martelly et maintenant Moïse), à «coincer» l’opposition démocratique pour qu’elle dialogue avec le pouvoir, même dans sa scélératesse, ont poussé leur incohérence à la limite même du scandale. Puisque ces missions diplomatiques, dont les agents flânent partout et «connaissent tous les cris» dans notre pays, ne doivent pas ignorer les scandales à rebondissements auxquels ont trempé le président Jovenel Moïse : le fait d’avoir prêté serment alors qu’il était sous le coup d’une inculpation pour blanchiment d’argent; ou le tollé international du détournement/vol des USD 4,2 milliards $ du fonds PetroCaribe et le verdict de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA); ou encore les mas- sacres perpétrés à La Saline où plus de 70 personnes, dont des femmes et des enfants à bas âge ont été tuées par balles ou hachées à coups de machette et leurs cadavres jetés sur des piles d’immondices; aussi bien que les tueries perpétrées à Carre- four-Feuilles ou à Cité Soleil auxquels ont participé de hauts fonctionnaires proches de la présidence. D’ailleurs, un rapport de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies a dénoncé ces crimes, en sus d’inviter le pouvoir à diligenter une enquête sur ces méfaits pour que soient identifiés et punis les auteurs de ces forfaits.

Tous ceux-ci s’ajoutent aux tue- ries qui avaient été perpétrées le 13 novembre 2018, à Grande Ravine. À l’occasion de ce carnage, 8 civils furent exécutés après que deux policiers eurent trouvé la mort lors d’un affrontement avec des membres d’un gang armé. En faisant le bilan des crimes de sang perpétrés sous la présidence de Jovenel Moïse, on ne saurait passer sous silence les personnes qui ont été tuées ou blessées, ces derniers jours, dans la cadre de la mobilisation générale lancée pour exiger le départ du président. On a vu sur les réseaux sociaux des jeunes gens, tués ou blessés, entassés comme des sacs de farine dans une camionnette à plateau découvert. Les organismes de défense des droits humains ont dénoncé ces crimes, indiquant que depuis le déclenchement de la mobilisation, ces quatre dernières semaines, les policiers mercenaires de Jovenel Moïse tuent en moyenne une douzaine de personnes par jour à travers le territoire national.

Tous ces crimes et scandales, qui font la une dans la presse locale ne doivent pas échapper aux diplomates qui sont, généralement, bien informés de ce qui se passe en Haïti. Pour la MINUJUSTH, l’organisme des Nations Unies déployé en Haïti, et dont le mandat touche à sa fin, au cours de ce mois, l’américaine Helen La Lime, qui joue le rôle de représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU, n’ignore pas les crimes perpétrés sous le régime Tèt Kale dirigé par Jovenel Moïse. N’est-ce pas sous sa direction qu’a été menée l’enquête sur les massacres de La Saline, de Carrefour-Feuilles et d’autres qui ont été enregistrés ailleurs, à la capitale haïtienne ? Surtout quand, dénonçant ces massacres, la Commission des droits de l’homme de l’ONU a recommandé que leurs auteurs soient poursuivis en justice en bonne et due forme. Comment Michelle Sisson, l’ambassadeur des États-Unis à Port-au-Prince, peut-elle prétendre ignorer ces faits alors qu’elle avait eu un long entretien avec les responsables des organisations de défense des droits humains qui l’ont renseignée sur ces crimes ? D’ailleurs, elle s’était photographiée à l’ambassade américaine avec Pierre Espérance, du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), à la suite d’un entretien avec lui pour démontrer son support à ceux qui dénonçaient les crimes perpétrés par les individus liés au pouvoir.

Il y a donc lieu de s’interroger sur les raisons de ce silence à l’échelle internationale. Car lors de la rencontre, à Miami, de la congressiste Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, avec sa collègue de la Floride, Frederica Wilson, la question a été soulevée sur l’ignorance du Congrès américain de ces faits. Pourquoi l’ambassade américaine à Port-au-Prince a-t-elle fait silence autour de ces crimes ? Au cas où elle aurait acheminé ses rapports au Département d’État pourquoi celui-ci a-t-il opté pour cacher au Congrès les informations qui y sont rapportés ?

La manière dont l’ambassade américaine traite le dossier des citoyens haïtiens manifestant dans les rues pour dénoncer les violations de leurs droits par un président fantoche, doublé d’un criminel corrompu et dilapidateur de fonds publics, montre clairement un changement radical de la diplomatie américaine en Haïti. Puisque, sous le président Ronald Reagan, en 1985-86, quand le régime de Jean-Claude Duvalier a lancé ses hordes de tueurs après les manifestants, la Maison-Blanche, par le biais du Département d’État, s’en était désolidarisée. Même chose, en février 2004, quand des dizaines de milliers de citoyens descendaient dans la rue pour exiger la démission de Jean-Bertrand Aristide. Le gouvernement américain n’avait-il pas passé des instructions à son ambassadeur pour qu’il s’entende avec ses collègues en vue d’inciter le président haïtien à démissionner pour «éviter un bain de sang ? »

Il semble que le programme PetroCaribe, introduit en Haïti en 2008, ait donné naissance à une nouvelle génération d’hommes politiques dont l’unique objectif consiste, non à servir le peuple haïtien, mais à s’enrichir rapidement aux dépends des ressources publiques, de surcroît déterminés à se maintenir au pouvoir pour s’assurer de l’impunité. Les pétrodollars vénézuéliens ont servi, non seulement à créer des millionnaires parmi les hommes et femmes au pouvoir, mais ces derniers s’en sont également servis pour faire de nouveaux adeptes de la corruption. Dans ce contexte, ils ont réussi à contaminer même ceux qui devraient être au-dessus de tout soupçon.

Le silence des diplomates du CORE Group, face aux dérives du pouvoir en place, dont les monstruosités prennent les formes précitées, ainsi que l’appui inconditionnel qu’ils s’obstinent à fournir à Jovenel Moïse font craindre qu’ils ne soient, eux aussi, participants au «festin» PetroCaribe. Surtout quand des rumeurs persistantes imputent de telles infractions graves à des représentants de pays étrangers qui se sont comportés comme des amis des présidents et Premier ministres haïtiens. À la lumière de tous ces faits, on ne peut expliquer différemment l’incohérence de la politique d’une frange importante de la communauté internationale à l’égard d’Haïti, un comportement qui ne sied pas aux diplomates. Vu que les Saintes Écritures affirment que tout secret sera dévoilé, il est souhaitable qu’ils trouvent de «bonnes raisons » d’expliquer leurs propres dérives


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 9 octobre 2019 Vol. XXXXIX no.40, et se trouve en P.10 à : http://haiti-observateur.info/wp-content/uploads/2019/10/H-O-9-octob-2019.pdf