Être Chef en Haïti

DÉVELOPPEMENT PERSONNEL Par Rosie Bourget

  • Être Chef en Haïti

Chef Suprême, chef de parti, chef d’État, chef personnel, chef de police, chef de cabinet, chef cuisinier, chef d’orchestre, chef de famille, chef de gang, etc. dans quelle catégorie de chef se trouve un fonctionnaire public haïtien ? Chez nous, le principe d’un chef n’est-il pas antinomique (contradiction totale entre deux concepts) avec l’idée même de démocratie ? Qu’est-ce qu’un chef ? Est-ce que le fait d’occuper un poste à responsabilité fait de vous un chef ?

On entend par chef, une personne qui commande une unité militaire. Le portrait d’un « chef» n’a guère changé depuis l’indépendance d’Haïti. À propos de Périclès, on évoquait des qualités oratoires, une capacité à anticiper et à proposer d’agir collectivement, une intelligence des situations. La notion de vertu publique, mise en avant par Montesquieu, suggère une éthique où le dirigeant sert le commun, au lieu de se servir. À notre sens, le chef « qualitativement » démocratique ne naît pas seulement de la sanction électorale, il doit aussi protéger les plus exposés, faire avancer des droits, porter une idée de la justice.

Le chef à la manière de chez nous porte à équivoque, il a une connotation très négative. Ne pas relater sur ce que l’on tient pour juste ou hors-norme est parfois un manque de sentiment d’appartenance et de grandeur. En Haïti, la notion de chef a été redéfinie par les dictateurs, les bourreaux, les parvenus, les hommes girouettes. Or, il y a une tradition du chef en démocratie qui, du coup, a été ensevelie. Dans la démocratie grecque antique, le chef est soit tiré au sort, soit un orateur qui se démarque des autres par sa qualité de parole. Aristote distingue le chef, autorité temporaire d’un citoyen sur fond d’égalité, du maître d’esclave ou du roi. Chez Rousseau encore, le chef républicain est celui qui ne se prend pas pour un maître parce qu’il se sait « sous la loi». Il n’est pas la loi ou au-dessus de la loi. Enfin au XXe siècle, le sociologue Max Weber s’est demandé si le charisme politique n’était pas un des rares modes d’expression des intérêts des dominés, face à des puissances impersonnelles, économiques (les marchés) ou technocratiques.

C’est, en tout cas, une réalité incontournable, à la différence d’un régime autoritaire ou monarchique où le peuple n’a pas le choix, la question du charisme se pose nécessairement dans un cadre démocratique, où la sélection des dirigeants, que ce soit par le vote ou par la nomination, repose sur la perception de qualités humaines. Tout comme un grand homme, « le chef » n’est pas un héritier, il se fait lui-même, son mérite est personnel, mais son œuvre (scientifique, sociale, artistique…) est utile à tous. La politique a été si longtemps délibérément « l’affaire des mâles» qu’elle le reste inconsciemment. Cependant, tout comme les hommes, les femmes haïtiennes, qui s’occupent d’un poste politique ou d’État, ont aussi le vertige de s’autoproclamer « chef ». C’est clair, le charisme de la conviction fait largement défaut aux dirigeants haïtiens. Peut-être, est-ce un problème d’apprentis dirigeants très arrogants et limités, des exiguïtés d’esprit comme ceux qui ont hypothéqué à tour de rôle le Palais national depuis 1986, ou bien, nos prétendus « chefs » d’aujourd’hui ? Leur souci de réduire leur propre pays en une véritable descente aux enfers finit par apparaître comme une couleuvre. Il suffit de les entendre intervenir à la radio, pour qu’on puisse conclure le marché. r_bourget@yahoo.com MTS (Maîtrise en Travail social) Poète/écrivain


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 26 décembre 2018 et se trouve en P. 4, à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2018/12/H-O-26-december-2018-1.pdf