À L’OEA, LA LÉGITIMITÉ DU NOUVEAU MANDAT DE MADURO REJETÉE
- par Léo Joseph
- Revirement spectaculaire et honteux d’Haïti
- La Russie, alliée de Maduro, déploie l’épouvantail de ses bombardiers à Caracas; mais les Américains montrent l’artillerie lourde…
Suite aux élections jugées « antidémocratiques » par l’Organisation des États américains (OEA) à la faveur desquelles Nicolas Maduro s’est octroyé un nouveau mandat, le Conseil permanent de l’organisme régional s’est prononcé catégoriquement. La légitimité du nouveau mandat de ce dernier n’est pas reconnue. Lors du vote entérinant cette décision du Conseil permanent, tenu le 10 janvier, Haïti a fait un revirement spectaculaire et honteux, car forcé de se ranger dans le camp des pays ayant voté contre Maduro.
Si les États-Unis, le principal ennemi du président Maduro, au sein de l’OEA, n’avaient pu faire aboutir la campagne en vue de l’expulsion du Venezuela de l’organisme régional, l’année dernière, Washington a su, cette fois, réunir les conditions pour que la majorité vote le non-reconnaissance du mandat présidentiel qu’il s’est donné à la faveur du scrutin du 20mai dernier. Mis en position de trahir son « frère », Jovenel a expédié son ministre des Affaires à Washington, pour savoir les conditions de son vote contre Maduro.
En effet, au bout d’une réunion extraordinaire tenue sur le cas du Venezuela, 19 pays, dont Haïti, ont voté une résolution déclarant ne pas reconnaître le dernier mandat de six ans de Nicolas Maduro.
Les dix-neuf pays qui ont voté contre sont : Argentine, Bahamas, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Équateur, États-Unis, Guatemala, Guyana, Haïti, Honduras, Jamaïque, Panama, Paraguay, Pérou, République dominicaine et Sainte-Lucie.
En revanche, six pays ont voté contre la résolution. Il s’agit de : Bolivie, Dominique, Nicaragua, Saint-Vincent et les Grenadines, Suriname et le Venezuela. Il faut signaler aussi que la Grenade était absente et n’a pu manifester son intention dans un sens ou dans l’autre.
Revirement de dernière heure ?
Il semble que, dans le cadre de ce vote, Nicolas Maduro ait été victime de la duplicité de Jovenel Moïse, puisque, à peine 48 heures avant le vote sur le Venezuela, le ministre des Affaires étrangères d’Haïti, Bocchit Edmond, envoyait un signal rassurant à M. Maduro. Aussi avait-il déclaré : «Haïti n’est pas disposée à abandonner un ami comme le Venezuela du jour au lendemain. Certes, il peut y avoir des problèmes avec d’autres pays, mais nous autres nous estimons qu’il s’agit d’un problème interne au Venezuela et nous ne décidons pas d’interférer ».
Suite à cette information de M. Edmond, dans les couloirs de l’OEA, la rumeur circulait que Maduro pouvait encore compter sur le vote d’Haïti, sans savoir que l’équipe Moïse-Céant avait envoyé son ministre des Affaires étrangères à Washington pour se faire dire, par leurs interlocuteurs, au Département d’État, dans quel sens Haïti allait devoir orienter son vote. En tout cas, une source diplomatique, qui souhaite rester anonyme, a fait savoir que le président haïtien n’avait d’autre choix que d’accepter les conditions qui lui ont été imposées, en raison des « méfaits graves » qui auraient été signalés à son attention, notamment des crimes liés à sa personne, ainsi qu’à celles de plusieurs de ses alliés politiques.
La mauvaise nouvelle a été écrite sur le mur
Même avant le vote, les représentants de Nicolas Maduro, à l’OEA, pouvaient déjà se douter de la solidarité du gouvernement haïtien, la teneur du discours de l’ambassadeur permanent d’Haïti auprès de l’organisme régional ayant été différente par rapport à celui de l’année dernière dans lequel étaient trouvés des arguments opportuns pour justifier le « nom haïtien » à l’égard de la résolution appelant à l’expulsion du Venezuela de l’OEA.
En effet, Léon Charles, ancien directeur général de la Police nationale (PNH), aujourd’hui représentant permanent d’Haïti auprès de l’OEA, commençait à en- voyer un signal différent. «Les divergences légitimes et compréhensibles qui existent quant à l’interprétation d’une situation dans un pays donné doivent être pour nous l’opportunité de prioriser les initiatives diplomatiques en vue de trouver les voies et moyens susceptibles de satisfaire les différents protagonistes».
Plus loin dans son discours, M. Charles a pris le soin de «rationaliser » le revirement qu’il avait reçu l’ordre d’effectuer de son patron, le président Jovenel Moïse. Il semble vouloir préciser que le vote de son pays, l’année dernière, visait à rejeter toute démarche visant à l’expulsion d’un pays frère de l’institution régionale. En revanche, dans l’esprit de son discours du 10 janvier, sa préoccupation est plutôt d’ordre humanitaire. Une situation qu’il affirme avoir constatée lors de la visite à la frontière colombo-Vénézuélienne d’une délégation de pays membres. Visite qui semble inspirer le changement d’attitude du gouvernement de son pays par rapport à ce qu’elle était en 2017. Et Léon Charles d’expliquer : Cette visite, souligne-t-il, « nous a permis de constater l’amplitude de la crise humanitaire à la frontière. Au terme de cette visite, la délégation haïtienne est parvenue à la conclusion suivante : une grave crise humanitaire existe sur les frontières colombo-Vénézuéliennes avec des conséquences sociales, économiques et sécuritaires ».
Clarifiant, encore mieux, la position d’Haïti, Léon Charles affirme, plus loin, que les pays membres ont l’impérieuse responsabilité de se donner les moyens de trouver une solution à court terme à cette crise humanitaire, qui affecte divers pays de la région. Ensuite, il se montre moins diplomatique lorsqu’il dit : « La République d’Haïti croit fermement que le triomphe de la gouvernance démocratique de- meure la voie royale en vue de faire face à cette situation ».
Prenant enfin ses aises, comme pour apaiser le camp Maduro, l’ambassadeur Charles lâche : «Le seul grand vainqueur devra être la démocratie ».
L’incohérence de la diplomatie haïtienne perce à jour
Suite au vote de la délégation haïtienne, à l’OEA, par lequel Jovenel Moïse lâche brutalement son « frère » Nicolas Maduro, les dénonciations fusent de tous côtés, sauf dans les milieux proches de l’équipe au pouvoir. Les commentateurs, observateurs et analystes sont unanimes à critiquer ce qu’ils qualifient d’« incohérence de la Diplomatie haïtienne ». D’autres attirent l’attention sur l’ « ingratitude déraisonné » de Jovenel Moïse ayant décidé de tourner le dos au président Maduro, un « bienfaiteur » dont il a pu personnellement compter sur la générosité, après que son prédécesseur, Michel Martelly, eut fait la même expérience, tout au long de son quinquennat.
La dernière visite officielle de M. Moïse, à la capitale vénézuélienne, remonte au 27 novembre 2017, alors qu’il avait un besoin pressant de renflouer les caisses de l’État. De fait, ce séjour à Caracas lui avait permis de parapher plusieurs accords de coopération dans les domaines de l’agriculture, des infrastructures routières et de l’énergie.
Dans son discours prononcé, dans le cadre de ce séjour au Venezuela, il déclarait, dirigeant son regard vers son homologue vénézuélien : « Aujourd’hui, je suis avec mon frère, le président Maduro, qui a beaucoup travaillé, non seulement comme président de la République bolivarienne, mais aussi comme ministre. Il était ministre des Affaires étrangères ».
Auparavant, il introduisait son allocution en ces termes : «aujourd’hui, c’est un honneur pour nous d’être à Caracas, Venezuela… Nous sommes deux pays frères, deux pays amis. D’ailleurs, notre histoire l’a si bien dit. (…) C’est comme si entre ces deux pays, le destin nous lie. Aujourd’hui, je suis sur une terre sœur ». Parlant des derniers accords, qui ont été paraphés, à cette occasion, le président haïtien devait faire remarquer que le président Maduro a demandé d’exposer les besoins d’Haïti. Il s’agit, disait-il, de projets « gagnant-gagnant ». C’est Haïti, précisait-il, qui a énuméré ses besoins au Venezuela. De toute évidence, Moïse prononçait ces paroles, à un moment où il flattait son homologue vénézuélien dans un sens intéressé. Car, à la fin de l’année 2017, le président haïtien commençait déjà à sentir l’étau financier se resserrer autour de lui et ne savait plus où donner de la tête, tant il était harcelé par des problèmes liés au déficit budgétaire, alors que la communauté internationale lui tenait la dragée haute en permanence. Aujourd’hui, il semble avoir d’autres soucis plus urgents l’obligeant à abandonner si spectaculairement et brusquement son bienfaiteur. Serait-ce un cas de sauve-qui-peut ou d’instinct de conservation ?
La Russie étale sa force militaire, question d’éviter la chute de Maduro Le rôle que s’est attribué Haïti à l’OEA place l’administration Moïse-Céant au centre des intrigues diplomatico-politiques de l’hémisphère, tout en projetant celle-ci dans le tourbillon des rivalités des deux grandes puissances en présence, les États-Unis d’Amérique de Donald Trump et la Russie de Vladimir Poutine.
Avec le vote de la Résolution du 10 janvier déclarant illégitime le second mandat de M. Maduro, il faut s’attendre à la mise en place d’une politique hémisphérique visant à écarter ce dernier, qui n’en- tend pas renoncer au pouvoir et lâcher les dés. Mais, dans le but de rassurer son allié Maduro et de tenir en respect ses ennemis, en tête de liste les États-Unis, Poutine a déployé ses bombardiers sur le Venezuela.
En effet, suite à la visite à Moscou, à la mi-novembre 2018, de Nicolas Maduro, des bombardiers stratégiques russes sont arrivés à Caracas, pour une démonstration de force. Les deux avions, modèle Tupolev-160, étaient accompagnés de deux chasseurs.
Renforcement de la coopération russo-vénézuélienne
Indéniablement, la présence de ces avions stratégiques russes sur le sol vénézuélien s’inscrit dans le cadre de la coopération globale Russie-Venezuela, mais aussi, et particulièrement, militaire. Cité par les agences de nouvelles, AFP, Reuters et Euronews, Vladimir Padrino Lopez, ministre vénézuélien de la Défense, explique : « Nous devons dire au peuple vénézuélien et au monde entier que tout comme nous coopérons dans divers domaines de développement pour les deux peuples, nous nous préparons également pour défendre le Venezuela ».
La présence des avions russes au Venezuela rappelle la crise de missiles cubaine, en octobre 1962, sous la présidence du président John F. Kennedy.
Les Services d’intelligences des États-Unis ayant constaté la présence de missiles à bord d’un bateau russe en route vers Cuba, le président Kennedy demanda aux autorités russes de rebrousser chemin avec leurs engins de guerre, qui allaient être installés à Cuba, à seulement 90 miles de Key West, Florida, ayant menacé de faire le blocus de l’île cubaine. Sous le leadership de Nikita Sergeyevitch Krushchev (premier ministre de 1953 à 1964), cette crise a duré treize jours. Au bout du compte, Krushchev, qu’on disait le coriace, broncha.
La Russie croit devoir faire une démonstration de force pour assurer le maintien de Maduro à Caracas. Mais les Américains, qui ont déjà mobilisé l’artillerie lourde, retournent dans leur tête l’idée d’imposer des sanctions commerciales encore plus sévères contre l’industrie pétrolière vénézuélienne. Quasiment dans l’impossibilité de faire face aux obligations de son pays, avec les punitions déjà imposées par les États-Unis, Maduro risque de connaître des jours extrêmement difficiles.
À la lumière de tous ces événements, on ne peut encore prévoir ce qui n’attend Haïti ni ce que seront les relations de Jovenel Moïse avec Maduro, ce dernier se trouvant confronté à une opposition de plus en plus aguerrie, surtout que de larges secteurs du pays demandent la démission de ce dernier et l’organisation d’élections « libres et démocratiques », sous le leadership provisoire du président de la Chambre des députés. En tout cas, il y a fort à parier que Jovenel Moïse a été contraint de lâcher Maduro. Selon toute vraisemblance il a dû négocier un dossier « hautement compromettant ». L.J.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haiti-Observateur, édition du 16 janvier 2019, et se trouve en P. 1, 2, 4 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2019/01/H-O-16-jan-2019-1.pdf