Mécontentement au sein de la Police
- QUATRE POLICIERS RÉVOQUÉS, DONT UN COMMISSAIRE
- Chemen bouton se chemen maleng…
Les policiers haïtiens sont en colère. Ils entendent se constituer en syndicat, en vue de défendre leurs intérêts, se disant forcés de travailler dans des conditions inacceptables. Aussi ont-ils organisé une deuxième manifestation, le lundi 17 février, une marche qui a attiré des centaines dans les rues de Port-au-Prince et des douzaines d’autre au Cap-Haïtien, deuxième ville d’Haïti, dans le nord et les Gonaïves, dans l’Artibonite. Ce mouvement a semblé déclencher des incidents qui témoignent du mécontentement général qui anime l’unique force de sécurité déployée sur le territoire national; mais aussi de l’indifférence des autorités par rapport au bien-être des policiers, et totalement ignorantes du danger d’« explosion » qui risque de surgir à tout instant.
En effet, une succession d’incidents et d’événements a fait suite à la marche des policiers qui s’est tenue devant les locaux de l’Inspection général de la Police nationale d’Haïti (IGPNH), au cours de laquelle il y a eu une altercation entre les protestataires et des membres de la hiérarchie. À noter que, avant cette manif, les autorités de l’institution avaient convoqué Yanick Joseph, le fer de lance du mouvement syndical au sein de la PNH, sous la menace de révocation si elle ne renonce pas à cette initiative. Mme Joseph ne s’était pas laissé intimider par l’injonction qui lui aurait été faite d’annuler la marche du 17 février.
Loin de céder aux pressions de la hiérarchie, Yanick Joseph, coordonnatrice générale du Syndicat de la Police nationale (SPNH), de concert avec les activistes du mouvement, ont donné 72 heures aux pouvoir en place d’accéder à leurs demandes, sinon ils passeraient une «vitesse supérieure». Dans la foulée, ils ont déclaré aussi qu’ils ne participeraient nullement à la sécurité du Carnaval si les dirigeants font la sourde oreille à leurs revendications.
On a signalé des tirs en l’air devant l’IGPNH, au cours de la manifestation, qui auraient été attribués aux manifestants, dont certains affichaient une certaine agressivité. Des sources proches des policiers impliqués dans le mouvement syndical ont laissé entendre que ces actes auraient été perpétrés par des gens qui ont infiltré le mouvement.
Les stands carnavalesques au Champ de Mars incendiés
La manifestation des policiers a été suivie d’un incendie gigantesque qui a éclaté aux stands carnavalesques, au Champ-de-Mars, site du parcours carnavalesque. Des témoins ont rapporté que le stand de la présidence a été la première victime, y compris celui de la mairie de Port-au-Prince, avant que soient livrés aux flammes les autres stands. Les photos prises de l’incendie donnaient l’impression que tout le quartier avoisinant le Palais national était en flamme.
Il semble que cet incendie a été applaudi dans de nombreux milieux politiques et sociaux, en Haïti comme à l’étranger, estimant que cette année n’était pas propice à la tenue du Carnaval, à cause du climat d’insécurité qui s’est aggravé par le kidnapping contre rançon, qui est retourné en force, à la capitale. D’autres personnes critiquent cette festivité évoquant l’incendie qui s’est déclaré dans un orphelinat à Fermathe dans lequel ont péri 20 personnes, dont 15 enfants.
Les critiques s’en prennent au pouvoir, surtout par le fait que le Palais national et la primature n’aient pas affiché assez de compassion pour les victimes. Pour eux, l’annulation du Carnaval, cette année, se justifie par le fait des événements sanglants et malheureux qui surgissent au quotidien, notamment à la capitale. Dans leur optique, les enlèvements qui se multiplient, ces derniers jours, ajoutés à la campagne de terreur instituée par les criminels, à la solde du Palais national, crée une atmosphère de tristesse générale qui enlève la joie pratiquement chez tous les citoyens.
Une rébellion risque d’éclater au sein de la PNH
Les derniers événements constatés au sein de la PNH et relatifs à leurs activités ne sont guère rassurantes. Pourtant, les autorités du pays affichent une attitude désinvolte, voire indifférente, alors que des observateurs estiment le moment venu de tirer la sonnette d’alarme. Puisque la colère gronde, dans les rangs de la troupe, tandis que le pouvoir persiste à enfoncer sa tête dans le sable.
En effet, plusieurs incidents, qui se sont déroulés durant les soixante-douze dernières heures, font craindre que la paix ne soit pas au rendez-vous. Signalons, au prime abord, que, insatisfait de la prestation de Normil Rameau, récemment appelé à succéder à Michael Gédéon, à la direction générale de la PNH, Jovenel Moïse essayait de trouver son remplaçant au sein de l’institution. Mais avant de s’aventurer trop loin, dans cette démarche, une source diplomatique généralement très crédible, a fait savoir que l’ambassadeur des États- Unis en Haïti lui aurait conseillé de ne pas s’aventurer sur ce terrain. Il semble que Washington, qui avait mis Rameau en position d’accéder à ce poste, ne soit pas encore revenu de ses illusions le concernant, comme l’occupant du Palais national. Dès lors, on peut dire que le directeur général de la PNH a gagné la première manche. Quel que soit ce qui l’enrage, par rapport à Normil Rameau, Jovenel Moïse doit, pour l’instant, radoucir ses manières.
Un bras de fer en puissance entre les activistes et le pouvoir ?
Depuis que les policiers ont affiché leur velléité de se constituer en syndicat, en vue de plaider leurs causes, leurs droits et leurs intérêts communs, auprès de l’équipe dirigée par Jovenel Moïse, ils se sont retrouvés confrontés à l’hostilité des dirigeants. Plus les activistes insistaient dans leurs démarches, davantage l’Exécutif montrait les dents. Au fil des mois, les deux parties se sont radicalisés, jusqu’à ce qu’elles soient arrivées au point où il y a échanges de menaces, ou même d’ultimatums. On est arrivé au point même de dire qu’on se trouve dans l’ «antichambre de l’affrontement».
La manifestation du 17 février a été suivie d’un ultimatum au régime Tèt Kale : Faute par les autorités d’accéder aux demandes des policiers, les syndicalistes ont promis de recourir à d’« autres moyens ». En guise de réplique, sous les ordres du Palais national, la hiérarchie a procédé au limogeage de quatre agents, dont un commissaire. Il s’agit de Yanick Joseph, agente 2, coordonnatrice générale du Syndicat des policiers, Abelson Grosnègre, agent 2, Mombrun Gédéon, agent 2, et l’inspecteur Jean Elder Lundi. Tous ont été accusés de «porter atteinte à l’honneur de la Police, d’avoir suscité une révolte».
D’autre part, Radio Zénith a annoncé l’information qu’il a eue d’une source digne de fois selon laquelle les quatre policiers, mis en disponibilité, des poursuites pénales seront bientôt enclenchées contre eux.
Sur ces entrefaites, plusieurs syndicats ont pris l’engagement d’agir par solidarité envers eux et se diraient décidés à recourir à tous les moyens possibles pour défendre leur cause.
Il est aussi intéressant d’attirer l’attention sur le fait que d’autres secteurs de la vie nationale vouent une sympathie sans faille à la cause des policiers. Par exemple, quand les stands carnavalesques brûlaient, lundi soir, au Champ de Mars, personne n’est venu à la rescousse. Pourtant une caserne de pompiers se trouve à un coup de pistolet de ce site. D’autre part, à proximité du Palais national se trouvent cantonnés plus de policiers que partout ailleurs, à la capitale. Il semble que les organisations qui auraient pu venir au secours aient eu d’autres chats à fouetter que de tenter de sauver la version 2020 du Carnaval.
Le Carnaval 2020 ne sera pas ajourné !
L’incendie meurtrier qui a complètement ravagé les stands carnavalesques, au point d’inciter tout le monde à se réjouir que cette grande fête culturelle traditionnelle serait ajournée cette année, n’aura pas empêché aux festivaliers de se divertir. C’est ce qu’a annoncé le Premier ministre de facto démissionnaire. Lors d’une conférence de presse tenue en sa résidence privée, Jean-Michel Lapin a fait savoir que le Carnaval aura lieu «quand même». Car des fonds seront avancés pour permettre aux artistes constructeurs de travailler d’arrache-pied pour compléter les travaux dans un temps record.
Pourtant, l’équipe au pouvoir ne pense pas à mettre les policiers en mesure de remplir leur tâche en leur donnant les moyens nécessaires pour tenir les criminels en respect. On constate avec quelle facilité ces hommes et femmes qui dirigent le pays trou vent les moyens de financer un carnaval qui n’a pas sa raison d’être, alors que le plus grand centre hospitalier du pays (l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) manque de lits pour les patients et est privé d’oxygène et du minimum d’autres fournitures courantes, tels que l’alcool, le gaze ou le gaze de coton, etc.
Le régime Tèt Kale semble ignorer le sentiment de la majorité des policiers à l’égard du mouvement syndical. Dans les milieux intéressés, on affirme que 80 % des quelque 16 000 membres du corps entendent adhérer au syndicat. Ceux qui sont mobilisés dans le mouvement disent n’avoir aucune intention de faire marche-arrière. «Se mèt kò ki veye kò, personne ne le fera à notre place», a déclaré un activiste qui souhaite ne pas révéler son identité.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 19 février 2020 VOL.L, No.7, New York, et se trouve en P. 1, 3 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/02/H-O-19-february-2020-1.pdf