Un gouvernement délinquant au pouvoir en Haïti

ÉDITORIAL par Editor

  • Un gouvernement délinquant au pouvoir en Haïti

Dans la mesure où le président et le Premier ministre, les deux plus hautes autorités de l’Exécutif, sont solidaires par leurs actes et décisions, ils se partagent les accusations, de même que les félicitations qui leur sont décernées. En vertu de ce principe, les ministres et secrétaires d’État aussi. Voilà donc un pays sous la direction d’un gouvernement délinquant.

Ayant prêté serment, alors qu’il se trouvait sous le coup d’une inculpation pour blanchiment des avoirs, on avait des préventions contre Jovenel Moïse. Mais on ne savait pas qu’il allait trouver une équipe à ce point homogène pour mettre en place sa politique scélérate, dont la mise en application s’est effectuée sans heurts, ni jamais de notes discordantes de la part des hommes et femmes du pouvoir. Et la corruption aidant, il a su faire marcher au pas ceux-là mêmes qui se faisaient passer pour des personnes intègres.

En effet, depuis la prestation de serment de M. Moïse, le 7 février 2017, à ce jour, on n’a cessé de compter les actes et décisions délictueux qui ont jalonnés son administration. Mais pire encore, ayant vassalisé le système judiciaire, il a eu recours aux pouvoirs de la présidence pour se protéger, lui et la famille présidentielle. Tout en ayant soin d’étendre ses me sures de protection à ses proches collaborateurs, alliés politiques et amis personnels. Mais c’est surtout les scandales judiciaires qui ont dominé l’actualité, ces derniers jours.

Certes, le scandale qui a fait la une, cette dernière semaine, est la bastonnade sanglante infligée à Patrick Benoit, en la résidence de ce dernier, à Vivy Mitchell, quartier huppé dans les hauteurs de Pétion-Ville. Accompagné d’une équipe mixe de policiers en uniforme et en civil, le juge de paix Ricot Vrigneau a lâché ses gorilles sur lui, au moment de procéder à son arrestation, dans le cadre d’un conflit terrien. La victime a été malmenée puis déposée dans un commissariat de Police baignant dans son sang. Jugé trop mal en point pour le garder en dépôt, le commissaire l’a mis immédiatement en liberté d’où il a été conduit à l’hôpital par ses proches.

Cet événement attire l’attention, d’abord, sur le comportement du juge, dont l’agissement ne constituerait pas un coup d’essai. Il met aussi en évidence une pratique courante sous le régime des Duvalier, mais interrompue suite à une vague de jugements rendus contre ces spoliateurs à la chute du régime tyrannique. Il a fallu l’avènement de Michel Martelly, un adepte du duvaliérisme, pour remettre cette pratique à l’honneur. Digne héritier politique du premier président PHTKiste, Jovenel Moïse met à l’aise les usurpateurs de propriétés ainsi que les juges qui rendent ces jugements illégaux en leur faveur. De toute évidence, le juge Vrigneau a commis cet acte de banditisme, en connaissance de cause, car assuré de l’impunité que procure le régime tèt kale dirigé par Moïse.

On ne peut s’empêcher de constater l’instrumentalisation de la Justice par Jovenel Moïse, utilisant le ministre de la Justice comme son chien d’attaque qu’il lance après ses ennemis politiques. Le dernier cas en date est celui par lequel le directeur général de l’Unité centrale de lutte contre la corruption (ULCC), Rockefeller Vincent, décernant un avis de recherche à l’encontre de la directrice administrative du Réseau national de défense des droits de l’homme (RNDDH). L’affaire est cousue de fil blanc. Il s’agit de Jovenel Moïse, instrumentalisant l’ULCC par l’entremise de Marie Yolène Gilles, présidente d’une organisation de défense des droits humains rivale, «Fondasyon je klere» (FJK), de concert avec l’avocat Samuel Madistin, pour persécuter Pierre Espérance. En clair, le président haïtien entend prendre sa revanche sur M. Espérance pour avoir participé à une audition spéciale au Congrès américain sur Haï ti, dont est issu un rapport virulent sur le gouvernement tèt kale, au fort de la mobilisation de l’opposition contre Jovenel Moïse.

Une autre récente intervention de ce dernier aux relents de persécution de l’opposition s’inscrit dans l’arrestation de Macsen Dérilus, le coordonnateur adjoint de la formation politique Ayiti Ann Aksyon (AAA), dont le sénateur Youri Latortue est le coordonnateur national. Protestant avec vigueur contre l’incarcération de M. Dérilus, celui-là dénonce un acte perpétré illégalement, car aucune charge n’est retenue contre le coordonnateur adjoint de l’AAA. Voilà encore un acte de mise sous coupe réglée de la Justice haïtienne par le chef de l’État.

Tout au long de la présidence de M. Moïse, les dérives ne cessent de se succéder, car passé pour maître dans de tels agissements. Il intervient dans toutes les occasions pour libérer ses amis et alliés des griffes de la justice. Citons encore, par exemple, l’affaire du sénateur Kedlaire Augustin, un allié politique de l’occupant du Palais national. Intercepté par une patrouille de la Police à bord de son véhicule, qui avait été impliqué dans des cas de kidnapping, M. Augustin a été mis aux arrêts par les policiers, qui l’ont quelque peu malmené, après qu’il eut refusé de s’identifier. Il fut conduit à un commissariat de Police d’où il fut libéré après avoir décliné son identité. Grâce à Jovenel Moïse, un kidnappeur potentiel court encore les rues.

Le plus gros conflit juridique dans lequel s’est impliqué le chef de l’État pour dicter son verdict à la justice reste, sans conteste, le dossier de l’électricité, une affaire dans laquelle il se déclare juge et partie. Passant outre à toutes les dispositions légales en la matière, il a passé au ministre de la Justice l’ordre de casser unilatéralement le contrat ayant uni l’État haïtien aux compagnies fournisseuses d’électricité, en l’occurrence, EPower, Haytian Tractor et SOGENER.

Mais c’est surtout cette dernière qui a essuyé la foudre de Jovenel Moï se. Elle est accusée d’avoir bénéficié d’un contrat coûtant USD 12 millions $ le mois, à l’État haïtien, pourtant signé légalement avec le gouvernement du président René Préval. Cet te compagnie a vu la haine de ce dernier se déchaîner contre ses dirigeants, dont les frères Vorbe (Dimitri et Jean-Marie) ainsi que la veuve du président Préval, Élisabeth Desbrosses-Delatour-Préval, qui ont été tous l’objet de mandats d’amener. Mais c’est surtout Dimitri Vorbe qui se trouvait dans le collimateur de M. Moïse. Aussi a-t-il jugé sage de s’exiler pour éviter d’atterrir en prison. En attendant que soient réunies les conditions pour que la vraie justice dise le dernier mot, l’injustice et l’arbitraire ont force de loi, sous la dictée de Jovenel Moïse.

Il semble que l’actuel président se sente à l’aise de se retrouver du mauvais côté de la loi, quelle que soit la nature de l’offense. Alors que, d’une manière générale, les leaders politiques fuient les trafiquants de drogue comme la peste, à l’instar de son prédécesseur, Jovenel Moïse en fait ses acolytes et proches collaborateurs. On n’oubliera pas que, même avant qu’il ait prêté serment, le 7 février 2017, il avait voyagé en République dominicaine pour concerter avec Marc Antoine Acra, trafiquant de drogue en cavale, qui, finalement est retourné au pays pour reprendre s e s activités commerciales. Aussi compte-t-il dans son entourage des sénateurs et parlementaires impliqués à fond dans le commerce de stupéfiants ou d’autres activités illicites. Sans doute il n’avait pu intervenir pour empêcher que son ami, Jean Fenel Thanis, député de la 49e Législature, représentant la juridiction Cayes-Île à Vache, à la Chambre des députés. Intercepté par une patrouille de la Brigade de lutte contre les stupéfiants (BLTS), le 6 mars 2019, il aboutit à la prison de Croix des Bouquets. Mais le chef de l’État a su trouver la formule heureuse, un an plus tard, pour le libérer. Selon des sources judiciaires, M. Thanis a bénéficié d’une «procédure en habeas corpus» qui, pourtant, n’entre pas dans le protocole régulier. Les autorités ont fait semblant d’avoir tout ignoré dans cet te opération. Voilà pourquoi deux membres du Parquet de Croix des Bouquets ont été mis en disponibilité «sans paye». Dans ce pays où les autorités ont une sainte horreur de la transparence, personne ne saura comment finira cette affaire. Mais on sait qu’aucune décision n’a été prise pour retourner l’ancien député en prison. En clair, pareille disposition reste irréversible dans l’Haïti de Jovenel Moïse.

À la lumière de tous ces faits, en sus d’autres qui n’ont pas été signalés ici, Jovenel Moïse a pris logement au Palais national dans le but de disloquer la société haïtienne, le système judiciaire en particulier. Voilà un homme qui a été élu en utilisant des subterfuges, donnant ainsi le change aux 500 mille citoyens qui lui ont donné leurs voix, sur un total d’environ 5 838 838 en âge de voter ayant boudé sa candidature. Comment donc vouloir imposer un tel imposteur à la grande majorité du peuple haïtien ? Il est plus que légitime que légitime que celui-ci se donne les moyens de s’en
débarrasser. Sans perdre de temps !


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. L No.18 New York, édition du 13 mai 2020 et se trouve en P.10 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/05/H-O-13-mai-2020-1.pdf