Jovenel Moïse avance à coups de «poissons d’avril» par Léo Joseph

CRISES EN HAÏTI : BLACK-OUT ET CARENCE DE PRODUITS PÉTROLIERS

  • Jovenel Moïse avance à coups de «poissons d’avril» par Léo Joseph

Des dénonciations indirectes, à la recherche de boucs émissions à qui adresser le blâme de la carence de produits pétroliers; et l’arme de la mystification dans le cas du black-out installé en permanence dans le pays. Tels sont les recours que s’approprie Jovenel Moïse, dans une vaine tentative d’apaiser l’opinion publique à bout de patience avec les mensonges débités par l’occupant du Palais national, que certains qualifient ironiquement de «poisson d’avril» longtemps après la saison. Tout cela met Nèg Bannann nan dans ses petits souliers, car n’ayant pas encore trouvé la formule idéale pour conjurer ces crises qui sont venues s’ajouter à celle, financière et économique, présente pratiquement durant les premières années de son quinquennat.

En effet, les vrais vendeurs de black-out n’étaient pas ceux-là qu’on pensait, ou que Jovenel Moïse indiquait au peuple haïtien. À la faveur des deux crises, qui se complémentent, d’ailleurs, l’identité des fournisseurs d’obscurité et des responsables de la carence d’essences sur le marché national est une seule et même personne. Elle a pour nom Jovenel Moïse. Au début, le black-out s’était déclaré parce que l’État haïtien, surtout en raison de l’arrêt de la manne du PetroCaribe, mais aussi suite au retrait, sinon à la diminution de l’aide externe, a des difficultés à payer ses dettes. S’imaginant le moment opportun de réaliser des millions flambant neufs, à la faveur de l’octroi de ce contrat à une autre société, s’est débarrassé de SOGENER ainsi que des autres compagnies productrices d’électricité, E-Poser et Haytractor. Mais les choses ont mal tourné, car Jovenel n’a pas trouvé de nouveaux preneurs pour assurer le relais, en lieu et place de SOGENER.

Après ce que René Préval a fait à Franck Ciné, dans le dossier Haitel (on y reviendra, car il y a plein de choses à rappeler), en sus de la crise économique sévère bat tant son plein dans le pays, même avant la prestation de serment de Jovenel Moïse, les hommes d’affaires ne veulent pas se séparer de leurs capitaux. Pas de compagnie intéressée à se substituer à SOGENER. Donc pas de millions pour Jovenel et Martine Moïse. Aussi simple !

Au bout du compte, toute cette plaidoirie orchestrée par l’avocat principal de l’État haïtien, Newton Saint-Juste, constitue un tissu de mensonges et d’illusions. L’argumentaire aurait dû se résumer par cette phrase : insolvable, l’État ne peut honorer ses factures. C’est le cas pour les enseignants, à travers la République, les contractuels dans les ministères et quasiment dans toutes les institutions gouvernementales. Sans oublier le personnel diplomatique et consulaire. Jovenel Moïse, dénué de sens des priorités, les fonds nécessaire au financement d’entreprises fournisseuses de services essentiels, tel que l’EdH, sont détournés au profit de la carte Dermalog, de commandes de véhicules, d’armes et munitions, l’embauche de mercenaires étrangers, de location d’hélicoptères, etc. De même qu’une vague d’autres projets qui auraient pu attendre un moment plus opportun pour les réaliser, sans préjudice à la caisse publique.

Pour résumer tout cela, Jovenel Moïse a résilié illégalement les contrats des anciens fournisseurs d’électricité (qu’il traitait de vendeurs de black-out) avant même d’avoir trouvé de nouveaux producteurs fiables du courant électrique.

Présentement, nombre de consommateurs interrogés au su – jet du black-out, tel qu’ils le subissent maintenant par rapport au temps où les compagnies privées fournissaient l’électricité désavouent le chef de l’État. Presque à l’unanimité, ils répondent que «Ça allait mieux dans le passé».

En clair, Jovenel Moïse a privé les consommateurs d’électricité du peu qu’ils avaient avant de prendre la décision qui porte le rationnement du courant électrique à 0 kilowatt-heure durant des semaines. Voilà le vrai vendeur du black-out.

Au fort du black-out, il y a à peine trois semaines, a été annoncé l’entretien virtuel que Jovenel Moïse avait eu avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, dont la teneur n’avait pas été explicitée, sinon pour dire que les deux dirigeants s’étaient entretenus de sujets intéressant les deux pays. Deux ou trois jours plus tard, le Premier ministre Joseph Jouthe, peut-être pour apaiser les consommateurs d’électricité, a annoncé que le gouvernement turc enverrait un bateau doté d’une plante électrique en Haïti afin d’aider à résorber la crise.

Imaginer un pays traînant une économie grabataire au lieu de s’adresser à des voisins proches pour le problème d’électricité est allé chercher de l’aide auprès d’un État se trouvant à l’autre bout du monde. Cette assistance hypothétique attendue de l’État turc, sera-t-elle présentée sous forme d’aide humanitaire ou bien une facture sera soumise au demandeur de service ? Après avoir promené sa sébile dans tout le continent américain, le mendiant Jovenel est connu de tous. Plus possible de refaire le tour de ces pays. D’où l’idée de porter ses espérances ailleurs, souhaitant qu’il bénéficie d’un bien meilleur traitement qu’il n’a reçu auprès des bailleurs de fonds traditionnels d’Haïti.

D’aucuns se demandent si l’annonce de l’arrivée prochaine d’un navire turc dans les eaux haïtiennes, avec pour mission d’aider à faire reculer le blackout, peut être un « poisson d’ – avril» en juillet ou août ?

Entre-temps, la grève des travailleurs d’Électricité d’Haïti, mobilisés depuis plus d’un mois, a été levée, suite à un accord trouvé avec un syndicat rival qui aurait assoupli sa position. Et ces derniers ont immédiatement repris le travail. On rapporte que déjà plus de la moitié des circuits tombés en panne ont été réparés. Si le black-out enregistré à la capitale n’est pas provoqué par l’indisponibilité de carburant pour faire tourner les machines, il faut croire que les abonnés seront alimentés en courant électrique sans plus tarder.

Les fonds manquent, les carburants aussi

Depuis déjà plusieurs semaines, le vide se fait autour des stations d’essence. Les automobilistes et mobilistes et taxis motos s’agglutinent sur celles-ci, souhaitant se retrouver parmi les premiers à s’approvisionner en ce précieux liquide, dès que s’effectue une livraison. Les files aux abords des stations-service sont interminables, les esprits se sont emportés souvent. Rien n’autorise à croire que la fin de la crise d’essence arrivera bientôt.

On connaît l’histoire de la rareté de produits pétroliers en Haïti. Là encore, Jovenel Moïse a voulu réaliser des millions sur le dos des consommateurs. Il a fait le même coup qu’il a porté à SOGENER et les autres sociétés qui avaient le contrat de fournir l’électricité à l’EdH.

Le groupe Bigio réunissant plusieurs sociétés importatrices de produits pétroliers avait obtenu l’accord du gouvernement, par le truchement du Bureau de monétisation des programmes d’aide au développement (BMPAD) autorisant l’importation d’essences pour être distribué sur le marché national. Tout marchait très bien, les cargaisons qui arrivaient se déchargeaient rapidement, évitant de payer le coût supplémentaire d’USD 20 000/ $ jour, si faute par le gouvernement de ne pas disposer l’équivalent en dollars de la somme accusée par la facture. Bigio et ses associés se mettaient toujours en règle avec la NOVUM, une compagnie américaine basée au Texas, qui assurait la livraison des produits pétroliers en Haïti.

Mais, assoiffés de millions, lui et sa femme Martine, Jovenel a décidé de mettre fin au contrat de Bigio pour octroyer l’autorisation d’importer ces produits à la compagnie de Kiko Saint-Rémy, beau-frère de Michel Martelly, et de Gesner (Ti-Ges) Champagne, le mari de Claudya Saint-Rémy, la sœur benjamine de Sophia Mar telly. Jovenel s’est porté, avec sa femme, actionnaire à la «Pebble-Rish Haïti S.A. »., sans qu’il soit obligé de verser un sous comme cotisation, tout en bénéficiant tous les avantages. Ainsi que le droit de regard des opérations de la société.

À la suite de cette louche opération, la livraison du carburant commençait à faire difficilement. Car l’État haïtien manquait toujours de devises pour payer la facture. D’où l’obligation qui lui a été faite de payer USD 20 000 $ par jour chaque jour additionnel que le bateau reste en port sans livrer sa marchandise.

Point n’est besoin de dire que la NOVUM n’accueillait pas cette situation de gaité de cœur. Mais il semble que, cette fois, le bateau ne se soit même pas présenté dans la rade de Port-au-Prince. Au cours des six dernières semaines, les autorités haïtiennes ont indiqué, au moins à trois reprises, que le bateau allait arriver. Une autre fois, la dernière, du reste, elles ont indiqué que le bateau était déjà arrivé dans le port. Mais qu’est-ce qui empêche la livraison de la marchandise, puisque, après tout ce temps, la crise pétrolière persiste encore ? En tout cas, plus d’une semaine se sont écoulées depuis qu’a été annoncé le mouillage du pétrolier dans le port.

Autrefois liés par le besoin de faire de l’argent, beaucoup d’argent, il semble que Bigio ne soit plus en bons termes avec Jovenel Moïse. Bien que, pour être précis, celui-là eut réalisé ses millions, extraits du Fonds PetroCaribe, sous le régime Martelly-Lamothe, en étroite collaboration avec Marie Carmel Jean-Marie, alors ministre des Finances et des Affaires économiques.

Bigio possède de l’essence qu’il a stockée à Chancerelles. Sollicité par Jovenel Moïse, il semble qu’il ait effectué une livraison en faveur du Palais national. Mais le stock mis à la disposition du gouvernement, apprend-on de source autorisée, s’est déjà épuisé. Et ce fournisseur n’est pas disposé à faire une nouvelle livraison. On ne sait pas au juste ce qui met Jovenel et Bigio dos à dos.

D’aucuns prétendent que Bigio aurait été accusé de créer une «carence artificielle» de carburants. Ceux qui prétendent connaître la manière dont fonctionne l’esprit de Jovenel Moïse soutiennent que cette imputation faite à l’endroit de Bigio pourrait comporter des menaces. Aussi pense-t-on que l’allusion faite à la «carence artificielle» pourrait être une stratégie de chantage. Les hommes de Jovenel parlent de millions de l’État tirés du Fonds PetroCaribe se trouvant entre les mains de Bigio.Mais celui-ci ne se laisse pas intimider. Au fait, il se pourrait qu’il possède un ou deux atouts en réserve. D’ailleurs, on laisse entendre que Bigio se déclare prêt à dénoncer les débarquements illégaux d’armes et de munitions ainsi que de la cocaïne ayant transité par son port de Lafito.

Il semble que la guerre des accusations et des dénonciations soit sur le point d’éclater. Il faut croire que, dans les jours qui viennent, l’actualité sera riche en événements suscités par des proches collaborateurs tombés en dis grâce vis-à-vis l’un l’autre.


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur-New York, édition du 5 août 2020, VOL. L No. 30 et se trouve en P.1, 2, 5 : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/08/h-o-5-aout-2020-1.pdf