LA SEMAINE EN VRAC par Moun, en P. 3
Les 12 et 13 septembre 2017, les manifestants ont exprimé leur « ras-le-bol », leur colère, face à la situation économique, sociale et politique du pays. Ces manifestations ont été émaillées d’actes d’agression visant notamment les symboles de la richesse comme, par exemple, les voitures, les vitres de magasin, etc. Mais il faut dépasser ce moment de la lutte par des démarches pour la renforcer et non pour la fragiliser davantage en donnant raison au secteur tèt kale. Ce renforcement ne peut se faire que par l’organisation.
En fait, la lutte pour l’augmentation des revenus des travailleurs s’inscrit dans le cadre des efforts pour réduire les inégalités sociales qui sont en Haïti criantes. Et la réduction des inégalités fait partie des objectifs durables de l’ONU qu’Haïti a promis de respecter. Cette lutte peut se faire dans le cadre d’un dialogue entre les parties prenantes avec lesquelles on peut construire de manière coopérative la responsabilité sociale des entreprises privées et de l’État. La situation de notre pays où beaucoup ne sont pas capables de se procurer leurs besoins de base par leur emploi force à penser qu’il faudrait en Haïti construire un nouveau contrat social basé sur la responsabilité de l’État et celle des entreprises et garantissant la protection salariale et sociale des individus.
Des organismes internationaux, de même que de nombreux pays, envisagent le social comme un outil de management et de développement des entreprises. En effet, si celles-ci ne se concentrent pas uniquement sur leur profit, mais aussi sur l’impact qu’elles ont sur la société, elles en tireront elles aussi bénéfice. Dans le monde, de nombreux États ont développé des modalités et procédures incitant les entreprises à être plus responsables. Plusieurs de celles-ci ont décidé d’agir pour le développement durable afin d’améliorer leur performance et aussi leur image.
Quant à l’État, il lui faut – il lui fallait depuis longtemps – une politique sociale globale et cohérente prenant en compte l’incapacité de la part de la grande majorité des Haïtiens à se prendre en charge. Les travailleurs, les chômeurs, les femmes, les enfants, les vieillards, les handicapes ont besoin de la protection sociale de l’État qui perçoit des taxes de la population et emprunte de l’étranger pour satisfaire aux besoins du pays – ceux des masses défavorisées y compris. Dans un pays comme Haïti, cette politique sociale devrait être systématique et systémique.
Pour arriver à cette fin, il faudrait qu’un leadership collectif se dégage venant des principaux secteurs revendicatifs et capable d’élaborer une plateforme commune, un cadre théorique fixant les analyses et les positions de ce mouvement unifié, de même que le schéma d’un nouveau contrat social pour la société haïtienne.
La faiblesse des partis politiques est évidente. Les programmes politiques qu’ils ont défendus, lors des dernières élections, témoignent d’une préparation insuffisante à prendre en main le leadership de la nation dans toute sa complexité. Les différents syndicats et les autres organisations progressistes pourraient constituer un complément à cet effort d’organisation qui devrait se poursuivre en vue de former un mouvement fort et cohérent. Une armée partisane et des élections au profit d’un seul camp ne sont pas une solution pour la stabilité, condition nécessaire à un développement durable. Laisser pour compte les masses défavorisées et leurs leaders renforce l’exclusion et n’engendre pas la cohésion sociale. La diversité sociale et politique devrait être reflétée dans la représentation politique. La police ne peut être assujettie aux nantis et au gouvernement, et l’État ne peut être un État policier. Il faut au contraire qu’il soit un État serviteur, responsable et stratège. La diaspora devrait être intégrée et non écartée. Une modification du budget dans le sens d’une meilleure répartition pour répondre aux besoins de la population s’impose. Le dialogue et le débat devraient être privilégiés plutôt que la violence et la répression.
Tout en étant conscient de la différence entre syndicat et parti politique, et de la nécessité de l’indépendance des syndicats, est reconnu le rôle que jouent ceux-ci dans la transformation politique et économique de la société en tant que porteurs des valeurs de justice sociale, d’amélioration de la situation économique des salariés, de réduction du chômage et des inégalités.
Il faudrait profiter de la situation actuelle de sensibilisation et de mobilisation de la population pour la porter à s’organiser dans une structure unique qui vise à gouverner pour garantir la défense des intérêts des masses comme du reste de la population. Il faudrait le faire à travers des procédures démocratiques devant aboutir à l’élection de représentants de la majorité sociale et non à travers des plébiscites basées sur l’émotivité. L’opportunité se présente aujourd’hui de tirer les leçons de l’expérience faite durant ces trente dernières années en vue d’éviter de commettre les mêmes erreurs. Le mouvement revendicatif devrait être solidaire, diversité et base sur des objectifs clairs qui per mettront de dépasser les vieux schémas et d’aboutir à une société démocratique, plus équitable sociale ment et économiquement, anti-corruption et reposant sur des principes de justice et de liberté.
La grève du 18 septembre, largement suivie, a démontré l’impopularité du budget auquel s’accroche Jovenel Moise, au mépris des desiderata de la population et de ses besoins. Loin d’aller vers la stabilité et la résolution des conflits, le pays semble s’enfoncer davantage dans la division. Les forces progressistes devraient s’armer de courage pour dresser le bilan des trente et plus dernières années, afin d’être plus crédibles sur les possibilités d’un nouveau projet de changement véritable. 18 septembre 2017.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti Observateur, édition du 27 septembre 2017 et le format PDF se trouve à cette adresse : http://www.haiti-observateur.ca