(deuxième partie) @ Michelle Mevs
[foto illustration. Luis Alberto Moreno reçu par le président Jovenel Moïse, au Palais national] [Le président haïtien Jovenel Moïse. Le président de la BID, Luis Alberto Moreno. Le président Jovenel Moïse et le président de la BID Luis Alberto Moreno, au centre, dans le lit d’une rivière ou doivent commencer des travaux]
« Voyez Berlin, il y avait un mur, il n’y en a plus » (Régis Debray).
Rappelons, d’entrée de jeu, que Luis Alberto Moreno, directeur de la BID était arrivé en Haïti au cours du mois d’octobre, dans le cadre de sa mission visant à pourvoir Haïti en financement par l’entremise du gouvernement Jovenel-Lafontant. À cette occasion, la presse haïtienne critiquait sévèrement son discours appuyant sans réserve la position de Jovenel Moïse, tandis que dans les rues des milliers de manifestants descendaient dans les rues exprimant violemment la colère contre le pouvoir en place. Sans conteste, M. Moreno surprend quand il fait l’éloge de la politique de l’équipe en place, notamment celle de la « Caravane » engagée par l’actuel gouvernement Moïse-Lafontant. De toute évidence, prenant le contre-pied de la volonté populaire, il affirme, malgré tout, vouloir « faire les choses bien pour le peuple… ». Mais. Luis Alberto Moreno s’est délibérément tu sur les décisions du Palais national que les citoyens dénoncent dans les rues.
En effet, le président de la Banque inter-américaine de développement BID) feint d’ignorer la corruption endémique qui sévit au pays, alors qu’il dit compter encourager les réformes institutionnelles et fiscales. Mais, chose bizarre, il ne dit rien concernant l’indispensable réforme des banques et des organismes de financement locaux.
Qui dit corruption endémique, devrait automatiquement interpeller cette autorité de la haute finance internationale qu’est Moreno dont l’institution qu’il dirige devrait se soucier au plus haut point de la corruption, un obstacle majeur au développement et à la bonne gouvernance. Cela devrait préoccuper, surtout dans un système politique où la réforme des institutions et fiscale est menacée par un système local de passe-droits. Indéniablement, celle-ci doit passer nécessairement par la coopération agissante du secteur institutionnel. Car, une fois définies les contours de la corruption se manifestant dans tous les domaines de l’administration publique, particulièrement sur ses méfaits en général; ou encore que l’ensemble de la société s’accorde sur ses méfait, en sus de la coopération de la communauté internationale, il devient possible alors possible de mener avec succès la lutte contre ce fléau. Le cancer de la corruption ayant métastasé, tout le corps social haïtien est en péril. Mais dans les présentes circonstances une telle réforme constitue une vraie gageure.
Quand on parle de la lutte anticorruption, en Haïti, un pays faisant partie du système économique mondial, il devient impérieux d’évoquer le texte sur ce phénomène signé par nombre de leaders internationaux sur la corruption sévissant à travers le monde.
En effet, on argue ces derniers : « (…) sous toutes ses formes, du détournement d’argent public au blanchiment d’argent (…) La corruption nuit gravement à l’économie en freinant la création d’emplois et en entravant la prospérité. Elle dégrade la confiance dans nos forces de polices, nos tribunaux et nos représentants politiques, et endommage la justice et l’équité de notre monde. La corruption détourne d’importantes ressources publiques des écoles, des hôpitaux et des autres services essentiels, enfermant ainsi des populations entières dans la pauvreté. On estime que mille milliards de dollars sont soustraits chaque année aux pays en développement par le blanchiment d’argent et les transactions douteuses, autant d’argent qui pourrait générer des ressources fiscales susceptibles de combattre la pauvreté en stimulant la croissance et en créant des emplois ».
Des étapes dans la lutte contre la corruption
Il existe toute une gamme de mesures à mettre en avant dans toute compagne sérieuse contre la corruption. Le public devrait savoir qui détient et bénéficie des profits réalisés par les sociétés et trusts ainsi que d’autres entités légalement établies, mais s’adonnant à cette pratique odieuse. En conséquence, il s’agit de renforcer la régulation de secteurs, tels que l’immobilier et le luxe qu’il engendre pour empêcher qu’ils servent d’outil au blanchiment d’argent et à d’autres facteurs favorables à la corruption.
Un autre instrument de contrôle mis en place, mais trop souvent ignoré, est l’obligation faite aux banques et aux entreprises d’identifier leurs clients et de signaler les sociétés écrans où les pratiques suspectes qu’elles dé couvrent et devraient être dénoncées. Par exemple, les entreprises impliquées dans l’achat du pétrole, du gaz ou des minerais, ainsi que celles qui opèrent dans les secteurs de la défense ou du BTP devraient rendre public tous les détails relatifs aux paiements faits aux gouvernements, projet par projet.
Ces entreprises devraient révéler le montant des taxes qu’elles paient dans chacun des pays où elles ont des activités. Dans le même ordre d’idées, toutes les procédures de marchés publics à travers le monde devraient s’opérer dans la transparence et accessibles. Les budgets nationaux de tous les pays du monde devraient être mis en ligne et accessibles à tous les citoyens.
Les militants de la lutte contre la corruption devraient avoir accès à toutes les données pertinentes, dans la transparence totale en temps réel, notamment dans les technologies qui permet de travailler de manière efficace.
Dans le cas d’Haïti, attirons l’attention sur le dernier point des précédentes recommandations qui nous interpellent, puisque sans informations pertinentes dispensées par le pays, il ne saurait y avoir d´investigation, de jugement et de condamnation; la justice ne fonctionnant que de manière sérieuse et efficace. En ce sens, l’organe en ligne Tout-Haïti a proposé récemment aux citoyens haïtiens de le rejoindre dans la recherche de la transparence conditionnée par le libre-accès à l’information. Soulignons cette citation : « Tout Haïti plaide pour l’adoption d’une Loi sur le libre accès à l’information en Haïti. En effet, l’article 40 dispose qu’obligation est faite à l’état de donner publicité par voie de presse parlée, écrite et télévisée, en langues créole et française aux lois, arrêtés, décrets, accords internationaux, traités, conventions, à tout ce qui touche la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la sécurité nationale. Toutefois, il revient au Législateur d’adopter une Loi per mettant à travers les Institutions publiques la recherche des informations concernant la collectivité et les modalités de cette recherche sans porter atteinte à la Sécurité nationale et à la vie privée ».
Alberto Moreno se tait sur les banques haïtiennes
En tant que président d’une des institutions directement concernées par les activités illicites, particulièrement le blanchiment des avoirs, Luis Alberto Moreno n’a pas mentionné le secteur bancaire dans sa plaidoirie en faveur du développement et une saine administration. Son silence sur la réforme administrative évoquée ici s’adresse particulièrement aux banques qui devraient être sa principale préoccupation.
Pourtant la question de la réglementation des banques haïtiennes est l’objet de grandes préoccupations dans le secteur bancaire international, particulièrement dans les pays où ces institutions haïtiennes comptent des banques correspondantes. Dès lors, il faut demander à quand la révision des procédures régulant le fonctionnement des banques de l’État et de celles des institutions privées ? Nous ne nous referons pas ici aux procédures à l´international, quoique, à titre d’exemple, pour l’année 2011, il est dit que les pays en voie de développement ont perdu environ 1000 milliards de dollars transférés illégalement vers les pays développés; mais, concentrons-nous particulièrement sur les activités du secteur bancaire national.
Les préoccupations sont nombreuses dans le monde des affaires, jugeant ce secteur tout-puissant en ces termes : L’évasion fiscale au niveau des banques elles-mêmes, le manque de transparence des opérations bancaires, l’obligation non-respectée de publier des « bilans annuels complets », les conflits d’intérêt au sein de ce secteur, les excès de lobby, tout ceci reste à déterminer dans une optique d’intérêt national et de futur développement d´Haïti.
Les banques haïtiennes jouent elles leur rôle de manière active ? S´engagent-t-elles dans le financement de l’économie par des prêts à risque ? Les banques privées ne devraient-elles pas constituer un modèle de développement économique par leur apports financiers et leurs prêts octroyés aux différents secteurs de production ou de service qu’ils soient publics ou privés, aux PME ? Les prêts ne devraient-ils pas être accessibles à des taux décents accordés aux secteurs prioritaires au développement et aux PME ?
Les banques commerciales — privées ou publiques — dont les profits en Haïti sont extrêmement intéressants pour propriétaires et actionnaires pourraient-elles faire mieux ? Une des fonctions bancaires les oblige à octroyer des prêts aux entreprises au-delà de la simple collecte des ressources et la mise à jour des comptes-clients et autres transactions bureaucratiques bancaires.
Les banques haïtiennes ne devraient-elles pas être partie prenante de la reprise économique du pays où elles prospèrent ? D’autant plus que ce serait également à leur avantage. Motiver par des prêts à risque à la libre-entreprise en guise d’appui à l’effort visant le plein emploi serait leur moyen de démontrer qu’elles contribuent à créer de la richesse.
Il faut savoir que les banques commerciales d’aujourd’hui ont développé des activités autrefois réservées aux banques d’investissement et d’affaires. Une preuve qu’elles gagnent en importance, tandis qu’en Haïti, les banques commerciales desservent les particuliers habituels, et les banques privées majoritairement les clients fortunés. Il se pourrait que les banques coopératives, dont les usagers sont également les sociétaires, malgré l’échec des coopératives sous la présidence de Jean-Bertrand Aristide, deviennent une option de financement plausible. Il s´agirait d´en assurer le sérieux.
Ce que Moreno n’a pas dit est important, de même que sa prise de position, y compris ses déclarations jugées favorables à politique générale de Jovenel Moïse. En ce sens, les Haïtiens bien informés et les dirigeants devront répondre courageusement et sans distraction rhétorique aux problèmes du pays. Il s’agit du plus grand bien au plus grand nombre de la population nationale, par-delà les orientations politiques et les mobiles pécuniaires. à suivre
original de cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti Observateur en P. 1. 9 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2016/12/ho29nov2017-1.pdf