Ce qu’une administration Biden signifierait pour Haïti par Emmanuel Roy
En septembre 1991, le président Jean-Bertrand Aristide, premier président démocratiquement élu d’Haïti des temps modernes, a été destitué par un coup d’État orchestré par Raoul Cédras, alors général de l’armée haïtienne, sous l’administration de George Herbert Walker Bush. La politique du gouvernement américain vis-à-vis d’Haïti s’articulait ainsi : la démocratie était une bonne chose, tant que le peuple choisissait le bon candidat, c’est-à-dire un prétendant approuvé par les Américains. Avec sa rhétorique anti-impérialiste, Aristide a été jugé trop antagoniste envers les intérêts des puissantes fractions haïtiennes. Il a passé près de quatre ans en exil, jusqu’à ce que Bill Clinton soit élu président.
Durant l’administration Clinton, le Département d’État a changé de politique, exigeant le retour à l’ordre démocratique. Aristide est retourné à Haïti le 15 octobre 1994, sous la protection de quelque 23 000 soldats américains, suite à un marathon de négociations à Governors’ Island, à New York. Le 29 février 2004, Aristide, qui avait été réélu président, en novembre 2000, a été déposé à nouveau ― sous le président républicain George Walker Bush, ou Bush jr. Durant la guerre froide, avant l’effondrement de l’Union soviétique, la politique étrangère américaine était généralement bipartisane, en particulier par rapport à l’OTAN et les intérêts des nations européennes. Mais en ce qui concerne des pays comme Haïti et les États africains, la politique étrangère américaine a toujours cédé aux caprices de l’occupant de la Maison-Blanche.
Une administration Biden serait confrontée à de nombreux problèmes internationaux à gérer, notamment l’anarchie, qui sévit en Haïti, les élections législatives et les exécutions extrajudiciaires perpétrées par des voyous parrainés par le gouvernement haïtien. Mes nombreux interlocuteurs haïtiens misent leur espoir sur une victoire de Biden, s’imaginant que le candidat du Parti démocrate libérerait le peuple haïtien de l’emprise de son chef meurtrier actuel, le président Jovenel Moïse. Élu président en 2016, le mandat de M. Moïse expire officiellement le 7 février 2021. En raison de son administration calamiteuse, ses opposants ont exigé sa démission et la mise en place d’un gouvernement intérimaire pour organiser les élections. Considérant que depuis janvier, M. Moïse gouverne par décret, sans un pouvoir législatif fonctionnel, et que l’administration Trump l’a soutenu n’augure rien de bon. De plus, il déclare avoir l’intention de gouverner jusqu’au 7 février 2022, toujours avec la bénédiction de l’actuelle administration de Washington.
Bien sûr, le soutien de l’administration Trump n’a pas été facile à obtenir. Le régime Moïse avait cédé aux pressions américaines et s’était joint aux Américains lorsque l’Organisation des États américains a voté la résolution condamnant le président Nicolas Maduro du Venezuela et bannissant ce pays de l’Organisation hémisphérique. Ce qui, de puis 2019, a mis fin aux relations d’amitié traditionnelle qui existait entre Haïti et le Venezuela.
Nombre de citoyens haïtiens souhaitent qu’un président Biden force la démission du président Moïse. Malheureusement, la déception est toujours possible, car l’attention d’une nouvelle administration démocrate serait probablement portée sur des problèmes mondiaux jugés plus urgents, tels que la prolongation du traité relatif au contrôle des armes nucléaires « New Start » (« Nouveau Dé part ») avec la Russie, la reprise de l’Accord de Paris sur le climat, le rétablissement des relations avec l’Organisation mondiale de la santé, et même la révision de l’Accord nucléaire iranien. La réforme indispensable de l’Organisation mondiale du commerce et la participation aux réunions moins controversées du G7 et de l’OTAN sont également des questions urgentes. Présentement, Haïti pourrait faire l’objet de réflexion sur le tard, M. Biden étant susceptible de donner priorité aux questions internes urgentes.
À l’instar de Trump, en 2016, au début de ce mois, Biden a fait plusieurs promesses, lors de sa visite à la communauté haïtienne de Little Haïti, à Miami, en Floride. Les dirigeants haïtiens du Sunshine State, dont Bernice Fidélisa, ancienne ministre des Haïtiens vivant à l’étranger, sous l’administration Martelly, ont soutenu Biden et font activement campagne pour lui. Une nouvelle organisation, la « Haitian Power-House », a été créée en prévision d’une administration Biden. Cette structure est prête à représenter et à défendre les intérêts d’Haïti et des Haïtiano-Américains, dans l’éventualité d’une victoire démocrate.
Karine Jean Pierre, une Haïtiano-Américaine, est une conseillère principale de la campagne Biden-Harris, et elle rallierait très probablement l’administration. Une autre Haïtiano-Américaine, Karen André, se signale comme conseillère principale de la campagne Biden pour la Floride et pour le « National Faith Based Outreach ». Elle travaille en étroite collaboration avec Mme Fidélia en vue d’assurer la victoire de Biden en Floride. D’aucuns souhaitent que leur présence au sein de la nouvelle administration permette à Haïti de rester au premier plan. Je leur rappellerai toutefois que Patrick Gaspard, un Haïtiano-Américain, était un conseiller principal dans la campagne d’Obama, en 2008 et avait même rejoint l’administration en tant que directeur politique de la Maison-Blanche, en sus d’avoir été nommé ambassadeur américain en Afrique du Sud. Sa présence à la table des négociations n’a pas beaucoup aidé Haïti.
Il est possible qu’une administration Biden ne soit pas différente de celle d’Obama, Haïti étant considéré comme une peste. Après le tremblement de terre de 2010, au cours duquel plus de 250 000 personnes ont trouvé la mort, l’administration Obama a remis Haïti aux Clinton. L’incompétence et la corruption ont transformé le slogan «Reconstruire Haïti en mieux », en vogue à l’époque, en un échec colossal, en raison de milliards de dollars qui n’ont jamais été comptabilisés.
À mes amis, que j’estime beaucoup, et qui voient en Joe Biden le sauveur d’Haïti, vêtu d’un manteau féérique, avec une baguette magique en main, et doté de pouvoirs de transformer, en un clin d’œil, Haïti en un en droit meilleur et plus sûr, je dis : «Réveillez-vous ! Une administration Biden ne signifiera probablement rien pour Haïti, tout comme une administration Trump, ou celle qui l’a précédée ne signifiait rien. En fait, le seul président américain, de mémoire récente, qui ait fait quelque chose pour Haïti est Bill Clinton, et nous savons à quel point cela a mal tourné ».
En clair, seuls les Haïtiens peuvent résoudre leurs problèmes. Nous ne devrions pas nous tourner vers d’autres pour trouver des solutions aux crises que nous avons créées, à cause de l’intransigeance, de l’incompétence, de la corruption et de la haine de soi. Quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle du 3 novembre, Haïti continuera sa descente aux enfers, à moins, bien sûr, que nous disions C’est assez ! Mais, pensez-y bien, quand est-ce que c’est vraiment assez ? N’est-ce pas lorsque des Haïtiens, visionnaires et patriotes de tous bords, se souviennent de la devise de nos ancêtres, et décident de s’unir, vraiment, en vue d’accomplir la tâche qui s’impose, dans l’esprit de L’Union fait la force ? Manny@Haitiobservateur.com
cet article est publié par l’hebdomadaire Haiti-Observateur NYC, le 28 octobre 2020 VOL. L, No, 42 et se trouve en P.13 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/10/H-O-28-octobre-2020-1.pdf