CONFRONTÉE À LA DÉTERMINATION DES PETROCARIBE CHALLENGERS
- L’équipe Moïse-Céant se tord les mains de désespoir
- Création d’une milice en catimini et embauchage de mercenaires... Par Léo Joseph
En période de fin de règne, quand les dirigeants tombés en disgrâce se retrouvent au bout de leur rouleau, ils sortent toutes sortes de magies de leur chapeau. Dans l’empressement pour se tirer d’embarras, les décisions qu’ils prennent à la dernière minute ne font que précipiter la fin. C’est bien le cas de Jovenel Moïse et de Jean Henry Céant qui, pensant écarter l’inévitable, ont commis bêtise sur bêtise. Au point que, d’ores et déjà, plusieurs observateurs se croient autorisés à dire «le sort en est jeté » pour le régime tèt kale deuxième version.
En effet, la première décision prise par Moïse et Céant pour tenter d’avoir raison du peuple haïtien debout comme un seul homme, pour exiger la tenue du procès des voleurs des USD 3,8 millions $ du fonds PetroCaribe, ainsi que la démission immédiate de Jovenel Moïse, est l’introduction d’une force de sécurité totalement étrangère à la Police nationale d’Haïti (PNH). Il s’agit d’individus dotés d’armes différentes et inconnues de la hiérarchie policière, et, vêtus en uniformes noirs et grotesques. Ces agents de sécurité, identifiés par leur uniforme comme des membres de la PNH, circulent à bord de véhicules flambants neufs. Ce qui donnait lieu à toutes sortes de conjectures par rapport à leur origine.
Des mercenaires engagés par l’administration Moïse-Céant
Mais le mystère entourant l’étrange spectacle offert par ces membres de cette force de sécurité est dissipé parle directeur général de la Police nationale, Michaël-Ange Gédéon. Dans une communication faite à la radio, il a déclaré ne pas reconnaître ces «policiers » dont l’uniforme est différent de ce que portent les différentes brigades spécialisées de la PNH. M. Gédéon a précisé en outre que la Police haïtienne ne possède pas les armes M-60 que portent ces faux policiers circulant à bord de véhicules affichant l’insigne de l’« USPGN ».
Gédéon a demandé à ces derniers, qui semblent appartenir à l’Unité centrale de sécurité du Palais national (UCSPH) de rentrer à leur base et d’y rester. Selon lui, ces faux policiers seraient sous le commandement du dirigeant de cette composante de la PNH, qui reçoit ses ordres directement de l’exécutif. Le DG de la PNH aurait passé des instructions au directeur de l’UCSPH l’enjoignant de rappeler à leur base (Palais national) les forces qu’il contrôle et qui commet des exactions contre les manifestants et ceux perçus comme étant opposés au gouvernement Moïse-Céant. Rappelons que la UCSPH a pour coordonnateur le commissaire Vladimir Paraison. D’après des sources judiciaires, à Port-au-Prince, Vladimir Paraison serait impliqué dans l’affaire des armes de Saint-Marc. Il persiste à ignorer une convocation du juge instructeur de Saint-Marc Dieunel Lumérant, en vue de l’interroger sur son rôle dans le dossier. D’aucuns disent que les autorités judiciaires américaines veulent interroger Paraison, indiquant que d’autres moyens seront utilisés pour l’inciter à se conformer. Selon des informations obtenues sur le terrain, la plupart des faux policiers disposent de mitrailleuses de gros calibres, dont certains sont des francs-tireurs. On laisse croire qu’ils seraient responsables de la mort de personnes ayant atteint des projectiles à la tête.
Tout cet étalage d’armes pour lesquelles une provision adéquate de munitions doit être assurée, ajouté à ces nouveaux véhicules observés, en sus des uniformes doit coûter une importante somme d’argent. Cela surprend au superlatif quand on connaît la condition désastreuse des finances du pays, au point que l’administration Moïse-Céant doit plusieurs mois d’arriérés de salaire au personnel diplomatique et consulaire, qu’elle tarde encore à payer. Sans oublier des policiers, dont certains attendent depuis plus de cinq mois des arriérés de salaire promis. Même chose pour les enseignants. À moins que les fonds ayant servi au financement de cette armée de mercenaires proviennent de ressources liées aux trafics illicites, le gouvernement, qui aura succédé à Jovenel Moïse, aura une lourde facture à payer.
Contrairement aux suppositions faites autour du déploiement d’étrangers comme force de sécurité, des sources diplomatiques ont informé que ce sont des mercenaires dominicains recrutés grâce aux bons offices du sénateur dominicain Félix Bautista, qui se trouve logé à la même enseigne que Moïse et consort, dans le dossier PetroCaribe. Ayant une épée de Damoclès suspendue sur sa tête, par rapport à ce dossier, Bautista n’hésite pas un instant à prêter main-forte à Jovenel Moïse et ses alliés impliqués dans le vol des USD 3,8 milliards $ provenant de la vente du brut vénézuélien sur le marché haïtien.
Les récriminations dirigées contre le gouvernement dominicain par certains observateurs l’accusant d’avoir expédié des policiers pour prêter main-forte à son homologue haïtien se sont révélées fausses. Dans le présent contexte politico-diplomatique, les autorités dominicaines n’auraient jamais souscrit à un tel projet. Surtout que la République dominicaine collabore avec les autorités judiciaires américaines dans la gestion du dossier PetroCaribe.
Suivant de près l’évolution de la campagne PetroCaribe Challenge, dont les manifestations de rues non seulement font cheminer inexorablement le dossier vers la mise en accusation des voleurs, mais ouvre aussi la voie à la démission dans le meilleur délai de Jovenel Moïse du pouvoir. Une telle perspective donne la frousse à M. Bautista. Car, déjà dans le collimateur de la justice dominicaine, dans l’affaire Odebrecht, le puissant sénateur dominicain craint que lui et ses compagnies de constructions ne soient appelés à rendre compte de leur rôle dans le détournement de plusieurs centaines de millions de dollars issus du fonds PetroCaribe. Surtout quand ses firmes ont versé de juteuses commissions à Michel Martelly et à d’autres hauts fonctionnaires haïtiens en contrepartie de contrats passés de gré à gré à lui octroyés par les hommes et femmes au pouvoir, notamment René Préval, Jean-Max Bellerive, Michel Martelly et Laurent Salvador Lamothe, ainsi que leurs proches collaborateurs au sein des institutions d’État.
Tous ces faits indiquent que l’équipe Moïse-Céant a créé son corps de police personnel, qui est tout à fait différent et indépendant des différents corps spécialisés de la PNH. Cette manière de pro- céder crée une situation extrême- ment dangereuse. Car on ne sait à quel moment, le pouvoir en place pourrait se décider à commettre une nouvelle bêtise. Car il est fort possible que, se rendant finalement à l’évidence que son mandat touche inexorablement à sa fin, Jovenel Moïse et son entourage ne prennent une ultime décision consistant à intensifier ses attaques sur la population civile en lâchant sur elle ses mercenaires.
La communauté internationale sur le point de lâcher Jovenel Moïse
Depuis la méga manifestation du 18 octobre 2018, la communauté internationale commençait à s’inquiéter du sort du reste du quinquennat de Jovenel Moïse. Aussi certaines ambassades commençaient-elles à exprimer les préoccupations de leur pays. Ayant misé initialement sur les possibilités du chef d’État haïtien de renverser la vapeur, celles-ci se mettaient à suivre au jour le jour la situation sécuritaire du pays. Leur préoccupation a grimpé de plusieurs crans quand les diplomates en poste à Port-au-Prince ont constaté qu’un mois après la première manifestation orchestrée par la mobilisation « Kote lajan PetroCaribea », l’équipe au pouvoir en Haïti, loin de trouver une stratégie pour stabiliser la situation, a perdu le contrôle de la situation.
À cet égard, le président français, Emmanuel Macron, dans un tweet glissé sur les réseaux sociaux, a lancé un appel à la « fin de la violence » qui se déroule en Haïti. Par la même occasion il a suggéré la fermeture du Lycée Alexandre Dumas, à Port-au-Prince, en sus d’exhorter « à la vigilance » le personnel de la Mission diplomatique française à la capitale haïtienne. Dans ce même avis, M. Macron a invité ce dernier à ne pas s’aventurer dans la rue le lendemain, soit le mardi 20 novembre.
Par ailleurs, des sources diplomatiques ont laissé entendre que le CORE Group aurait averti Jovenel Moïse qu’il est urgent de reprendre le contrôle du pays « le lendemain » (mardi 20 novembre). Autrement il ne pourra plus compter sur son appui. Faisant état de ce même avertissement, d’autres informateurs ont fait savoir que le CORE Group a avisé Moïse qu’autrement il sera forcé de s’en aller.
Washington fait profil bas
En dehors d’une rencontre que l’ambassadrice américaine aurait eue avec le président Moïse avec Joseph Lambert et Gary Bodeau, respectivement président du Sénat et de la Chambre des députés, rien ne transpire par rapport à la position de Washington concernant la crise. Vu que chaque fois qu’Haïti se trouve confronté à des crises sociopolitiques, les États-Unis, par le truchement de leur ambassade, communique sa position. Mais, dans le cadre du conflit opposant M. Moïse aux promoteurs du mouvement PetroCaribe Challenge, ils font profil bas. Pourtant, à la capitale américaine, des diplomates et des groupes de réflexion se penchent en urgence sur la présente situation d’Haïti.
Au moins deux participants à ces rencontres ont fait savoir que, en ce qui concerne les dirigeants américains, « Jovenel Moïse et son équipe, c’est le passé ». C’est sans doute ce qui explique le long silence des Américains par rapport à cette crise.
Ces mêmes observateurs ont précisé que les décideurs de Washington débattent sérieusement des questions relatives à la « relève » après le départ de Nèg Bannann nan. Ces derniers pensent qu’il est urgent de trouver une solution sans perdre de temps. Car la manière dont évolue la situation sur le terrain, pensent deux diplomates précédemment en poste, à Port-au-Prince, le président haïtien « est complètement débordé. Il est dépassé par les événements ».
Préoccupés par les mercenaires et les armes introduites clandestinement
Déjà aux prises avec l’affaire des armes introduites en contrebande en Haïti, à travers du port de Saint-Marc, en septembre 2016, les autorités américaines se déclarent « consternées » par l’introduction d’armes de guerre dont l’origine reste incertaine; aussi bien des inconnus présentés pour des policiers ou militaires originaires de la République dominicaine. On laisse croire que parmi les mercenaires observés dans les rues de Port-au-Prince se trouvent également des Équatoriens. Des informations diffusées sur les réseaux sociaux prétendent que ces sujets équatoriens sont arrivés en Haïti à l’initiative de Dimitri Hérard. Ce dernier avait fait le déplacement expressément à Quito, en vue de les ramener en Haïti. M. Hérard, qui était, auparavant, directeur de la UCSPH, est diplômé de l’École militaire supérieure Eloy Alfaro d’Équateur.
D’une manière générale, la communauté internationale, notamment, le Canada, la France les États-Unis, etc. ont mal accueilli la décision de l’administration Moïse-Céant d’embaucher des mercenaires pour constituer une force qui fait pendant à la Police nationale.
À ces faux policiers, qui sont appelés à jouir le rôle de tueurs à gages, il faut ajouter une centaine d’hommes, ceux qui reste des Forces armées d’Haïti (FAdH), qui seraient arrivés à Port-au-Prince pour assurer la défense du gouvernement.
Tout compte fait, la présence de mercenaires portant des armes de gros calibre n’a pu empêcher la mobilisation PetroCaribe Challenge de suivre son cours. La deuxième journée de grève (lundi 19 novembre) s’est révélée plus intense que la veille. Et au train où continue l’action des militants, la troisième journée risque de dépasser la deuxième. Dans la mesure où la nation presque entière s’aligne derrière les activistes PetroCaribe Challenge, les chances que Jovenel Moïse peut durer encore une semaine diminuent d’heure en heure. On doit demander pendant combien de jours les chefs d’entreprises et le commerce pourront encore endurer cette période de vache maigre ?
cet article est publié par l’hebdomadaire Haiti-Observateur, édition du 21 novembre 2018 en P. 1, 2, 3 et se trouve à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2018/11/H-O-21-november-2018-1.pdf