LE CHEF DE LA USGPN RÉAPPARAÎT DISCRÈTEMENT
- Cuisiné par les interrogateurs de la DEA, il s’est mis à table
- Désormais, qui contrôle vraiment ses activités ?…
- Par Léo Joseph
Le chef de l’Unité de sécurité générale du Palais national (USGPN) était introuvable durant deux jours, sans indiquer où il se trouvait. Bien qu’il réapparaisse, ni lui ni le Palais national ou la Direction générale de la Police n’a donné d’explication par rapport à son absence insolite prolongée. Il est retourné discrètement à son poste, comme si de rien n’était, sans préciser pourquoi il était absent et qui l’avait retenu loin de son poste. Les mêmes milieux qui avaient informé de sa mise en état d’arrestation par des agents de la Drug Enforcement Administration (DEA) ont révélé qu’il a été libéré après une interrogation très musclée. Un tel fait soulève toute une série de questions et pourrait même soulever un peu le voile sur l’évolution de plusieurs enquêtes fédérales sur des trafiquants de drogue haïtiens
Le papotage colporté lundi dernier (19 mars) sur les média sociaux, particulièrement sur What’sUp faisant état de l’arrestation de Dimitri Hérard Selva, chef de la USGPN, et qui s’était propagé intensément comme une traînée de poudre, s’est arrêté net en milieu de la semaine, ni vu ni connu. Puisque les colporteurs de ce qui avait l’allure d’une rumeur infondée ont tout bonnement vaqué à autres choses. Cela semble donner raison au journaliste Gary Pierre-Paul Charles, ainsi qu’à l’expéditeur d’un tweeter se réclamant de la Police nationale qui informait sur l’intéressé en ces termes : « La rumeur qui circule depuis hier lundi autour d’une pseudo arrestation, par la DEA, du commandant a.i. de l’USGPN, Dimitri Hérard, est fausse et dénuée de tout fondement ». Cet informateur, relié par l’Agence haïtienne de presse (AHP), faisait croire que M. Hérard se trouvait au pays, continuant « à faire son travail » et ajoutant, dans la foulée, que ce dernier reçoit une formation à l’Académie de Police haïtienne et attend d’être diplômé le 5 avril il prochain, au grade de commissaire.
Interrogé par des enquêteurs de la DEA ?
Depuis la réapparition du commandant de la USGPN, voici bientôt une semaine, aucune autorité du pays, du Palais national à la Direction générale de la PNH, n’a pipé mot de son absence. Un cas vraiment bizarre, car la disparation du commandant du corps responsable de la sécurité de la résidence officielle du chef de l’État avait donné lieu à un véritable vacarme sur les réseaux sociaux. Et pour cause.
En effet, Dimitri Hérard Selva a la réputation d’avoir été impliqué dans l’affaire du « Bateau sucré » ou « Bateau Acra ». Sa nomination par Jovenel Moïse comme chef de la USGPN, en avril 2017, avait suscité de vives critiques dans certains milieux politiques, mais surtout dans le monde diplomatique. Aussi sa présentation à l’ambassade des États-Unis, où il avait rendez-vous au consulat lié au renouvellement de son visa, avait-elle déclenché la rumeur concernant son « arrestation » par des agents de la DEA.
La rumeur était lancée par une source proche de la mission diplomatique américaine à Port-au-Prince, qui savait que, par le fait d’être lié au Manzanares, le bateau panaméen qui avait transporté plus de 60 tonnes de cocaïne, d’héroïne et de marijuana dissimulés parmi les 665 tonnes de sucre qu’avait commandées la firme ANABATCO, du groupe Acra, Selva était considéré comme un personnage important. Dès lors, son arrestation faisait croire que le dossier du Bateau sucré serait tout au moins relancé. Selon des observateurs avisés, le silence est maintenu autour du chef de la USGPN durant toute la durée de son absence jusqu’à aujourd’hui. Car, d’un côté comme de l’autre, on n’ose faire de commentaire, ni donner des explications concernant cette absence.
En effet, on apprend de sources proches de l’ambassade U.S., que si tôt arrivé auprès du consul avec qui il avait rendez-vous, Dimitri Hérard Selva a appris qu’il avait un contentieux avec la justice fédérale américaine. Il a été immédiatement mis en état d’arrestation, dit-on, puis ordonné d’accompagner des agents fédéraux qui l’attendaient. Sachant dès le début qu’il allait être transféré à Miami, immédiatement après son arrestation, cette rumeur a été lancée le plus naturellement du monde.
Selon ces informateurs, le scénario prévu n’a pas été suivi à la lettre. Car les agents fédéraux ont conduit Selva à une salle aménagée pour tenir des interrogatoires. Sans préciser durant combien de temps le chef de la USGPN a été interrogé, l’informateur a laissé entendre qu’il a passé plusieurs heures à se faire griller.
Faut-il dire gare aux associés de Vladimir Selva ?
Le chef de la USGPN, un militaire formé à l’Académie militaire supérieure Eloy Alvaro, en Équateur, a été trié sur le volet par Jovenel Moïse, sur recommandation de Michel Martelly, dit-on.
Nommé chef de cette institution à l’âge de 32 ans, peu de temps après la fin de son entraînement militaire et son retour au pays, il a été vivement contesté. Ses détracteurs critiquaient sévèrement son accession à ce poste, jugeant son manque d’expérience un risque à ne pas prendre. Mais le nouveau président, qui venait de prêter serment, repoussa de telles objections d’un revers de main. En sus de cela, il n’avait même pas daigné tenir en ligne de compte les accusations selon lesquelles il faisait dans la drogue.
À l’époque, d’aucuns se demandaient si ces objections soulevées contre lui n’ont pas précisément déterminé M. Moïse à vouloir le nommer à cette fonction. Dans les milieux proches de la Direction générale de la PNH, on faisait savoir que le chef de l’État, qui voulait se débarrasser de Michel-Ange Gédéon, au commandement de l’institution policières, trouvait un « remplaçant idéal » en la personne de Dimitri Hérard Selva. Toutefois, il fit une concessions aux critiques de ce dernier en décidant de le nommer chef de la USGPN ad interim. Maintenant, il est fort probable qu’il soit nommé de manière permanente à cette fonction un fois diplômé de l’Académie de Police, le 5 avril prochain. Si la séance d’interrogatoire à laquelle a été soumis M. Selva s’est déroulé comme d’habitude, les associés du chef de la USGPN (s’il en a) ont toutes les raisons au monde de se faire du souci. Car la mise en liberté de ce dernier fait croire que son interrogatoire par les agents fédéraux a abouti à lui attribuer le rôle d’« informateur». Certes, à entendre une personne qui passe pour être bien informée de la manière dont se déroule ce genre d’interrogatoire, il ne reste aucun doute que Selva est pris dans les filets des agents fédéraux, l’obligeant à moucharder.
En effet, explique cette personne, on ne manquera pas de lui poser des questions du genre s’il est impliqué dans le trafic de drogue. S’il répond négativement, on lui fait voir des photos ou entendre des conversations enregistrées qui ne lui laissent point de doute que ses conversations et ses mouvements ont été suivis.
Rappelons qu’arrivé au tribunal, après son arrestation en Haïti, Guy Philippe s’était rendu compte que tout ce qu’il faisait et disait avait été enregistré par T.S.F.
Une fois qu’il s’est rendu compte qu’il était « piégé » et qu’il se retrouvait à bout d’arguments pour établir son innocence, Selva n’avait plus rien à faire, sinon qu’à accepter un marché, généralement au profit de la justice fédérale.
À partir de ce moment, on passe aux vraies questions, telles que : quels sont, à votre connaissance, les gens qui font la drogue, comment distribuent-ils la marchandise ? Qui collabore avec vous dans ce trafic ? Par quels moyens disposez-vous de l’argent gagné dans ce trafic ? D’après vous, quelles hautes autorités font ce genre de trafic ou toute autre activité assimilée au commerce illicite ? Avez-vous jamais participé à un débarquement de ces marchandises, seul ou en collaboration avec d’autres personnes ? Qui sont ces personnes ? Comment vous y prenez-vous pour sortir les bénéfices du commerce de la drogue du pays ? etc., etc.
Généralement, la personne interrogée commence par raconter des balivernes, jusqu’à ce qu’il comprenne que les enquêteurs sont au courant de beaucoup de choses concernant ses activités illicites. Mais elle se ravise, au bout du compte, comprenant qu’elle agirait à son propre détriment si elle persistait à donner le change.
La plupart du temps l’interrogatoire se solde par la mise en état d’arrestation pure et simple de la personne interrogée. Dans le cas d’une séance menée à l’ambassade américaine, où sont également logés le consulat américain ainsi que les bureaux du FBI, de la DEA et de celui du « Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives», si l’interrogatoire se termine sur une décision d’arrestation immédiate, les formalités sont remplies pour que se produise dans l’immédiat le transfert du prisonnier à Miami, aux États-Unis.
Maintenant que Dimitri Hérard Selva a été autorisé a rentrer chez lui et à continuer jouer son de commandement de la USGPN, il faut se demander sous quelles contraintes il se trouve maintenant. Autrement dit, qu’est-ce qu’on attend de lui ? En tout cas, il sera suivi de très près, afin que soient vérifiés les rapports qu’il fera à la DEA.
D’aucuns se demanderaient pourquoi Selva garde le silence depuis plus d’une semaine et qu’il n’a pas jugé nécessaire de faire une mise au point concernant sa disparition. Selon toute vraisemblance, il n’est plus maître de lui-même, ce qui l’assujettis à des mots d’ordre stricts, dont l’interdiction de faire de déclarations publiques.
À partir de ces paramètres, le chef de la USGPN doit s’imposer une conduite presque modèle, car ne sachant au juste qui le surveille, quand et où. Il est opportun de conclure, désormais, il va se comporter comme s’il porte un bracelet doté de GPS à la cheville. L.J.
l’original de cet article se trouve en P.1, 2 de la version PDF de l’édition courante de l’hebdomadaire Haïti Observateur et à cette adresse : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2018/03/H-O-28-mars-2018-1.pdf