Éditorial: C’est un fait : Haïti n’a jamais essuyé une crise de produits pétroliers

Éditorial

C’est un fait : Haïti n’a jamais essuyé une crise de produits pétroliers aussi longue que celle que les consommateurs endurent maintenant. Mais il y a une réalité encore plus cruelle et plus humiliante : celle-ci risque de durer encore long temps. C’est ce qu’il faut conclure, suite au communiqué presse non daté émis par Novum Energy, la firme américaine fournisseuse de gazoline, de kérosène et de diesel au pays. Puisqu’une sévère crise économique est à l’origine de cette carence dont les conditions financières, sous l’administration Moïse-Céant, ne permettent d’en prévoir la fin.

Pour commencer, on ne peut faire confiance à l’équipe au pouvoir de dire la vérité au peuple haïtien quant à la durée de la présente crise pétrolière. Le comportement du Bureau de monétisation d’aide au développement (BMPAD), dans la gestion de la présente crise, ne donne aucun espoir qu’il saura tenir les consommateurs au courant de l’état des lieux. Nous basant sur les révélations faites par Chris Scott, chef de la di rection financière de Novum Energy (ou Chief Financial Officer ― CFO), dans son communiqué de presse sur l’affaire, nous pouvons prévoir que les autorités du pays ne pourront, de sitôt, s’acquitter de leur dette envers cette compagnie.

Indiscutablement, cette situation est imputable à l’administration calamiteuse des ressources du pays par Jovenel Moïse et son équipe, qui ne savent définir clairement leurs priorités, ayant, de ce fait, détourné les recettes du pays à des fins toutes autres que celles pour lesquelles elles étaient prévues. En raison de la gestion dans l’opacité complète des affaires du pays, les citoyens étaient tenus dans l’ignorance totale de l’obligation de l’État envers Novum Energy. Pour avoir payé leur achat régulièrement à la pompe, les consommateurs n’avaient aucune idée que les autorités restaient devoir des dizaines de USD millions $ à la fournisseuse de produits pétroliers. N’étaient les révélations de Chris Scott, le pays serait encore dans l’ignorance par rapport à la réalité de la crise. Mais, à la lumière des faits révélés, il est évident que le régime en place fait faillite. Dès lors, la dette accumulée sur les livraisons antérieures de carburant ne sera facilement remboursable.

En effet, financièrement, le tandem Moïse-Céant a le dos au mur. Le compte PetroCaribe, qui servait de tirelire à ces gestionnaires malhonnêtes, n’est plus disponible. La communauté internationale qui, dans le passé, volait à la rescousse, ne se hâ te plus de courir au chevet du patient. Car la dilapidation des USD 3,8 milliards du Fonds PetroCaribe et la corruption qui bat son plein à tous les niveaux de l’administration publique haïtienne découragent les « gestes de bonne volonté » envers Haïti.

De leur côté, les bailleurs de fonds locaux, en qui Jovenel Moïse croyait avoir trouvé des substituts aux bailleurs de fonds étrangers, ont perdu confiance, le remboursement des dettes contractées par le gouvernement à leur égard tardant à s’effectuer normalement. Comme c’est le cas pour Shérif Abdallah, qui avait pourtant une bonne relation avec le président Moïse. Il semble que d’autres prêteurs sur place soient l’objet du même traitement qu’a connu ce dernier, mais qu’ils se soient montrés plus discrets.

 En tout cas, quant à Abdallah lui-même, il a affiché publiquement son refus d’accorder de nouveaux cré dits, allant jusqu’à laisser le président au sol, au moment où il avait besoin d’un hélicoptère pour se rendre dans l’Artibonite. Le Premier ministre Céant en sait long, puisqu’il s’est lamenté du fait que le gouvernement ne soit pas en mesure de posséder son propre hélicoptère. En fait, la crise pétrolière reste inchangée, puisqu’un système de ration ne ment de facto est en place.

En effet, jusqu’au début de cette semaine, bientôt un mois depuis que se sont manifestées les premières raretés d’essence, les automobilistes n’ont pu s’approvisionner régulièrement. Car les stations qui fonctionnent, somme toute au ralenti, n’autorisent que l’achat de deux gallons par client. En conséquence, la majorité des automobilistes préfèrent garer leurs véhicules, puisqu’ils risquent d’épuiser le contenu de leurs réservoirs pour regagner leurs maisons.

Telle est la situation des propriétaires de véhicules qui consomment la gazoline. Dans certains cas, les consommateurs de diesel pourraient avoir la chance d’obtenir quatre gallons. Le cas des automobilistes qui désirent s’approvisionner en diesel est bien meilleur, le rationnement étant moins strict.

En clair, Jovenel Moïse a le dos au mur. Le BMPAD n’avait toujours pas payé les arriérés dus à Novum Energy, cette dernière semaine. Dans son communiqué de presse, le chef de la direction financière de Novum Energy a indiqué que, selon ce qu’ ont expliqué les dirigeants haïtiens, l’impossibilité de payer à temps leur dette envers cette compagnie se justifie par le fait que les distributeurs locaux ne se sont pas acquitté de leurs obligations avec promptitude, d’une part. D’autre part, la carence de dollars au pays empêche d’effectuer la conversion en devises des USD 30 millions $ qu’il reste à payer.

Mais, quand bien même l’administration Moïse-Céant aurait, finalement, trouvé cette valeur pour couvrir les arriérés, rien n’autorise à croire, après cette expérience, que Novum Energy sera enclin à livrer ses produits dans les mêmes conditions. Une telle perspective mettrait le régime Tèt Kale dans ses petits souliers. Parce que, à coup sûr, tandis que les bateaux de la compagnie fournisseuse de produits pétroliers attendent que les arriérés soient payés, Haïti continue de consommer l’essence. En moins d’un mois, cette crise, qui n’aura pas été résolue, se renforcera, puisqu’il y a de fortes chances que les arriérés n’auront pas été payés.

Vu la condition désastreuse de l’économie du pays, sans aucune perspective de s’améliorer à court terme, l’administration Moïse-Céant n’aura pas le temps de se rattraper et de trouver les valeurs nécessaires pour payer la prochaine livraison de produits pétroliers, presqu’immédiatement après s’être acquittée des derniers arriérés. Surtout aussi que la disparité de la gourde par rapport au dollar s’est accentuée encore depuis la semaine dernière. Car on laisse croire, dans les milieux financiers, à Port-au-Prince, que la monnaie nationale a franchi le seuil de 81 gourdes pour un billet vert américain.

On se demande si pendant qu’il est acculé par ces crises financières, qui ne cessent de l’affaiblir politiquement, Jovenel Moïse ne pense pas qu’il est temps de réévaluer la protection sans réserve qu’il assure aux dilapidateurs du Fonds PetroCaribe! Particulièrement quand on sait que, dans quelques banques, des coffresforts, à l’intérieur de matelas ou enterrés quelque part sur des propriétés vacantes, des USD milliards $ inactifs se trouvent tranquillement en résidence, on peut imaginer combien il serait facile d’épargner la nation cette honte spectaculaire que lui fait essuyer l’équipe Moïse-Céant. Pourquoi ne pas traîner devant la justice les voleurs du Fonds Petro Caribe ?

C’est donc l’extrême infamie que le peuple haïtien est porté à subir, par la faute de Jovenel Moïse. Rien ne l’assure d’être au bout de ses tourments dans les prochains jours. À moins qu’il décide de se défaire d’un dirigeant incompétent et d’intégrité douteuse. C’est, d’ailleurs, l’observation qu’a faite le Premier ministre de Saint-Vincent et Grenadines. Dans la foulée du vote d’Haïti contre Nicolas Maduro, Ralph Gonsalves s’est apitoyé sur le cas de Moïse, estimant que celui-ci ne peut supporter les pressions américaines. Pourtant, dit-il, il était « un supporteur inconditionnel du Venezuela ». Le problème, a-t-il ajouté, « Ce type est arrivé à la présidence entièrement non préparé pour accomplir la fonction ».


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 30 janvier 2019 et se trouve en P. 10 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2019/01/H-O-30-jan-2019-1.pdf