Éditorial : Jovenel Moïse s’est fait une réputation d’administrer les aff…

Éditorial

Jovenel Moïse s’est fait une réputation d’administrer les affaires du pays dans l’opacité totale. Cachotier jusqu’à en être malade, il ajoute à son palmarès la multiplication de promesses non tenues. Si bien qu’il s’est fait décerner la palme de menteur invétéré de l’année sur les médias sociaux. À la faveur de la carence de pro- duits pétroliers, qui s’étire déjà sur deux semaines, les faits qu’il s’évertuait à cacher au pays relatif à quand les consommateurs pourront avoir accès aux produits pétroliers, sont exposés au grand jour. Grâce à la firme américaine « Novum Energy Trading Co. », la vérité est connue. C’est le cas de dire le linge sale ne se lave pas en privé, mais en public.

Cela fait déjà environ trois semaines que des rumeurs persistantes faisaient état d’une rareté imminente de produits pétroliers sur le marché national. Au fil des jours, celles-ci commencèrent à se confirmer avec des lignes de véhicules s’étirant aux abords des stations-service, à la capitale. Des automobilistes alarmés s’étaient mis en mode d’approvisionnement pour ne pas se laisser prendre au dépourvu. Entretemps, les nouvelles en provenance des métropoles de province, comme le Cap-Haïtien, Port-de-Paix, Saint-Michel de l’Atalaye, Gonaïves et Saint-Marc, dans le Nord, le Nord-Ouest et l’Artibonite; ainsi que Les Cayes, Jérémie, Jacmel, dans le Grand Sud et le Sud-Est, faisaient croire que la rareté d’essence était extrême. À la capitale, les bidons ― signe évident de carence aiguë des précieux  liquides ― étaient visibles partout.

À ces maux se sont aussi ajoutés des incidents au cours desquels les esprits se sont emportés, donnant lieu, par moments, à des pugilats, des clients se disputant leurs places dans les lignes. Pour comble de malheur, des automobilistes impatients, et dans l’ignorance de l’heure à laquelle seront approvisionnées les pompes à essence, a acheté au prix fort le gallon d’essence, soit USD 6,00 ou 7,00 $. Un correspondant, basé au Cap-Haïtien, a même informé que le gallon se vendait à USD 10,00 $. C’était donc le désespoir partout. Pourtant des informations fiables quant à l’heure où seront renflouées les pompes tardaient à venir. Sans oublier que de nombreux quartiers de la capitale étaient plongés dans l’obscurité. Une situation qui s’aggravait progressivement, des coupures du courant électrique se prolongeant chaque jour davantage.

Même situation dans les villes de province. Pire encore dans les zones les plus éloignées. Pas de gazoline ou de kérosène. À Port-au-Prince comme en province, les réserves de diesel, qui se distribuaient avec parcimonie, s’épuisaient rapidement. D’un point à l’autre du pays, les propriétaires étaient forcés de garer leurs véhicules. Les maisons de résidence ainsi que les établissements commerciaux enduraient le black-out à tour de rôle. Inutile de dire à quels points sont paralysées les activités à tous les niveaux.

Face à de telles calamités, les informations sûres se font attendre indéfiniment. Les responsables de l’Électricité d’Haïti (EdH), l’organe dont la responsabilité consiste à distribuer le courant à toute la République, s’enferment dans le mutisme complet. Par contre, un des pourvoyeurs d’électricité, Dimitri Vorbe, de la firme Sogener, a indiqué, sur son compte « Twitter », que sa compagnie ne peut fournir d’électricité à cause de la crise pétrolière.

De tous les acteurs concernés par l’importation de carburants, seul le BMPAD (Bureau de Monétisation d’aide au développement) a le monopole d’achat de ce produit. À lui donc la responsabilité de négocier avec les fournisseurs étrangers qui effectuent la livraison au fur et à mesure des besoins. Une fois les produits pétroliers débarqués aux centres de stockage, la phase de distribution est assurée par les compagnies régulièrement patentées par l’État pour rendre la gazoline et le diesel disponibles dans les stations-service.

Toutefois, le BMPAD, détenteur de tous les renseignements relatifs à l’importation des produits pétroliers, se fait avare d’information, se limitant à multiplier des communiqués de presse par lesquels il cherche à rassurer les clients quant à la disponibilité  de  la  gazoline  et  du mazout «dans les prochaines heures »; ou bien il jongle avec les chiffres par rapport aux vraies raisons derrière la non-livraison de ces produits en temps opportun. Ou se montrant peu enclin à expliciter l’heure de débarquement des carburants dont les consommateurs ont tant besoin.

Mais Ignace Saint-Fleur, le directeur général du BMPAD, continue de cacher la vraie nature de la crise. Cherchant à soulager les consommateurs, il avait assuré que la crise prendrait fin samedi (19 janvier). Il a jugé utile d’entraîner des journalistes à Thor, point de stockage de produits pétroliers, pour qu’ils voient eux-mêmes se dérouler le processus de débarquement des produits. Il n’a rien dit pour informer le public des problèmes de « crédit » auquel se trouve confrontée l’institution qu’il dirige, étant dans l’impossibilité de s’acquitter des arriérés dus sur des livraisons précédentes. Bien que Novum Engergy, la fournisseuse américaine du Texas, ait effectué une livraison partielle proportionnelle au montant des arriérés payés, les carburants n’ont toujours pas abouti dans les pompes. En tout cas, la carence de ces produits persistait encore.

Enfin, l’heure était venue de  tirer les choses au clair. Novum Energy a jugé le moment opportun de situer les faits dans leurs contextes, afin d’éviter les malentendus et les fausses interprétations qui peuvent surgir.

Aussi Chris Scott, chef de la direction financière de Novum Energy, a-t-il émis un communiqué de presse dans lequel il étale au grand jour la vérité sur la crise pétrolière que traverse présentement Haïti.

En effet, écrit M. Scott, après avoir été le fournisseur de carburant à Haïti, durant les quatre dernières années, par le truchement du BMPAD, le paiement à temps des factures se faisant sur une base régulière, nous avons fini par décider d’octroyer progressivement un crédit de plus de USD 70 millions $ au BMPAD moyennant paiement dans 45 jours. Mais, a-t-il souligné, « la performance du BMPAD, en termes de paiement, s’est regrettablement détériorée de manière signifiante ». Précisant que les conditions de paiement ont été violées à plusieurs reprises, il précise que présentement l’acquittement est en retard de plus de 60 jours au-delà des 45 impartis, soit 105 jours au total.

Pour justifier ce retard, explique encore M. Scott, dans son communiqué de presse, les responsables du BMPAD ont évoqué le retard mis par les distributeurs locaux à rembourser leurs dettes envers le BMPAD; aussi bien par l’indisponibilité de dollars sur le marché haïtien.

Le communiqué de presse émis par Chris Scott précise encore qu’à l’occasion du dernier appel d’offres, Novum Energy a bénéficié d’un contrat au terme duquel cinq cargos de gazoline et de diesel seront livrés en décembre. À cette occasion, dit-il, sa compagnie avait reçu l’assurance que le paiement de tous les arriérés serait effectué à temps. Mais BMPAD n’a pas tenu parole.  Un montant non identifié par Scott sur les arriérés a été versé. Ce qui a déterminé Novum à libérer une quantité proportionnelle de gazoline et de mazout. Toutefois, les bateaux ayant à leur bord 60 000 barils de gazoline et 260 000 barils de mazout sont ancrés au large de Port-au-Prince, attendant paiement de la part du BMPAD.

Certes, Haïti a connu des crises d’essence au cours des ans. Mais celle-ci dépasse largement toutes les autres. Car, non seulement les premières n’avaient pas autant duré, celle-ci expose à la face du monde la misère du pays se trouvant en butte à une situation on ne peut plus humiliante. Surtout quand les étrangers qui visitent le pays, ou qui y séjournent, en tant que diplomates, hommes d’affaires ou pour d’autres raisons observent le grand luxe dans lequel se pavanent les nantis et la gent au pouvoir, en termes de mai- sons riches et de villas somptueuses qu’ils habitent, en sus de véhicules haut de gamme qu’ils roulent. Cela témoigne d’une certaine attitude qui ne devrait pas faire honneur aux Haïtiens : le sens des priorités mal placées.

Ici, à Haïti-Observateur, on n’a jamais cessé d’attirer l’attention sur la carence de fonds disponibles à l’équipe Moïse se trouvant confrontée à une carence budgétaire croissante provoquée par les détournements de ressources publiques. Cette dernière crise pétrolière met à nue la misère du pays, sous l’administration tèt kale. Elle permet à tous de voir clairement une situation que Jovenel Moïse et ses alliés ont créée, et s’est évertuée à maquiller durant ses vingt-trois mois au pouvoir. C’est maintenant le cas de dire vraiment, le linge sale se lave en public.


cet article est publié par l’Hebdomadaire Haïti-Observateur édition du 16 janvier 2019, et se trouve en P. 10 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2019/01/H-O-16-jan-2019-1.pdf