SUR LA ROUTE DU CINEMA par Dan Albertini
- Freda Dantor. 4ième fiction sur la politique haïtienne et le cinéma, mettant en vedette Freda dans le rôle de Frida. Une production 2 Contes PRODUCTION.
La douleur de la création de ce qui n’existe pas est presque maîtrisée. Ça me fait penser aux amis chrétiens qui doivent assurément s’interroger sur mes ambitions spirituelles. Dieu a créé un point c’est tout. Je rassure, je l’avoue, nous sommes là dans la création cinématographique, donc dans le virtuel.
Le mot est péjoratif. Plus encore, le titre ni l’affiche ne représentent réellement le contenu. Comme si nous avions raté notre coup, bien que ça ne soit le cas, L’histoire est un mélange d’horreurs issues non de notre imaginaire mais d’une réalité sociale post traumatique. Freda Dantor est une fiction qui rentre dans le cadre de la gestion de la catastrophe du 12 janvier 2010. Elle s’y retrouve dix-huit ans plus tard et crie : «misyé vin n konyin mw – prends-moi mon chéri». Pasteur Blazé est ainsi interpellé, il lâche en direction de son stagiaire : «ça c’est l’esprit de Freda qui habite cette femme. Tu vois, elle nous a repéré dans le but de nous éprouver». Pasteur Blazé se dirige vers Freda, lui applique une formule. L’imposition des mains pour chasser le mauvais esprit. Malheureusement, la Bible de Jérusalem qui accompagnait la main fétiche a frappé trop fort, Fréda est assommée et tombe dans les vapes. Pasteur Blazé s’adresse encore à son second : «vois, la puissance de Dieu a chassé l’esprit qui la possédait, elle a perdu connaissance». Il s’incline vers elle, prononce une prière et, la bénit au non de Jésus. Freda se reprend dans les nuages, l’image de pasteur Blazé est floue, elle sourit, celui-ci lui dit : «Jésus rinmin w». Il s’éloigne, soulagé et fier de son exploit.
Le film. Dantor est dans l’univers imaginaire haïtien une forme de la vierge mais elle est noire. Avec deux cicatrices du côté droit du visage, héritées depuis la Pologne. Elle est violente, elle aime les femmes. Fréda est dans le même contexte, une autre forme de la vierge, mulâtresse mais, plus sympathique. Amoureuse. Tout pour justifier les observations du psychologue Kenneth Clark : le test de la poupée blanche et de la poupée noire (1950). La caméra plonge dans un passé lointain, retourne en Amérique ségrégationniste pour expliquer le présent. Les images sont figées, des portraits peints, Fréda ni Dantor ne sont jamais sur un plateau. Elles sont intemporelles en Haïti, elles prennent possession.
Gare au mâle possédé par Fréda. À San Francisco et à Montréal, ce sont d’autres causes qui produisent ce même effet. Là le réalisateur relativise par une insertion. On sent qu’il a déjà vécu à l’étranger. Mais en réalité, il fait aussi du remplissage intelligent pour bien alimenter son long métrage.
Fréda est aussi le nom d’une jeune femme qui a perdu toute sa famille lors d’un séisme en 2010. Elle
a été amputée de la jambe gauche jusqu’au bas du genou alors qu’elle n’avait que huit ans. Le choc émotionnel était violent. Plus violent que la douleur de la jambe écrasée sous les décombres d’où elle a été miraculeusement sauvée par un très jeune nouveau pasteur. Il s’appelait Blazé. Les images sont apocalyptiques.
Les deux personnages se retrouvent dix-huit ans plus tard sous le coup du hasard. Fréda a vingt-six ans. Elle est installée sous une pergola en paille près d’un péristyle où des adeptes dansaient un rythme samba. Fréda a été recueillie par un parent pratiquant du vaudou, mais elle ne pouvait participer aux rites de danses enflammées et souvent exécutées presque nues. Dix-huit ans de provocation, ce qui avait pour vertu d’éveiller en elle tous les sens aigus de la sexualité. Combien de fois le mont de vénus s’est dilaté, pour la laisser avec ses fantasmes. Elle a fini par sombrer dans une folie légère quand elle a compris qu’aucun homme ne voudrait d’elle avec une jambe amputée et une douleur fantôme confondue avec une malédiction invisible. La caméra nous épargne des détails.
Elle désirait ardemment d’être prise dans les bras d’un solide mâle comme ceux des cérémonies.
On sent que le scénariste n’est un adepte, il est exonéré de la peur culturelle. Il confirme là, avoir déjà vécu autre chose à l’étranger. Il rompt carrément avec le misérabilisme chez les danseurs. L’image est celle des étalons noirs que l’on retrouve généralement dans les shows à Las Vegas, accompagnant des vedettes de la chanson. La poussière n’est plus son artifice, mais les muscles nus.
Ce jour-là, encore à jeun à la mi-journée, sa jambe amputée ne paraissait pas sous le drap sal qui la recouvrait mais laissait apparaître la cuisse droite au passage de pasteur Blazé. Gros plan !
Celui-ci recevait de l’aide des missionnaires américains depuis dix-huit ans. Dieu l’avait béni disait-il. Il ne saurait alors reconnaitre la petite Fréda qui avait huit ans en 2010, quand il s’approcha d’elle. Fréda rêva de fait, qu’un homme l’avait prise dans ses bras. En état d’hypoglycémie, elle a vu le pasteur Blazé si près d’elle que la sensation de la faim s’est transformée en une jouissance sexuelle. Une explosion dans sa tête. L’action se passe là et lui appartient. La psychanalyse verra la fabuleuse magie du contact humain tandis que la religion a vécu un miracle.
Cependant, dans la tête de Fréda, l’image est modulée autrement. Elle a vécu l’effet de ce que Jupiter à fait à Junon. En langage créole cela s’expliquerait comme ce que, Ogoun ferait à Fréda, mais avec tellement de puissance chez lui et autant d’hystérie chez cette dernière, d’où sa cruauté quand elle devient Dantor. Jalouse. La séquence d’images est tellement rapide et mélangée que ça enlève tout caractère pornographique à la scène. La voix de Joseph Coma resterait muette. Interdite.
Pasteur Blazé est devenu un grand gaillard, un prédicateur qui vit aujourd’hui aux dépens de l’aide de missionnaires américains. Ils sont persuadés de sa vocation de prédicateur zélé et de guérisseur au nom de Jésus. Mais sur son terroir. Quand il retourna par le même chemin qui l’avait confronté au milieu du jour à Fréda, il ignorait totalement qu’un autre miracle l’attendrait au même endroit. Fréda soulagée à demi de son fantasme sexuel délurant, s’est levée ce jour-là pour se préparer dans l’espoir que son bienfaiteur repasserait par là. Elle s’installa par contre en face, sur l’autre bord du chemin à cause du soleil. C’est ainsi que son regard croisa de loin celui de pasteur Blazé. Une fois à sa portée, elle lui dit : « emmène-moi avec toi, je ne veux plus rester sous ce péristyle ». L’index pointé en face. Un grand portrait de Dantor avec ses cicatrices le regardait du haut du mur. Celui-ci crut à une conversion miraculeuse et, aidé de son aide de camp et de quelques nouveaux convertis, il repartit, accompagné de Fréda qu’il rebaptisa du nom de sœur Frida.
Fréda est depuis guérie de sa folie légère et suit pasteur Blazé dans l’espoir de revivre cette même sensation. Elle devient fonctionnelle. Mais en réalité, elle vit avec une paramnésie réduplicative qui lui fait croire que l’église du pasteur Blazé est située dans l’accomplissement de son enfance, dix-huit ans plus tard. Elle ne perd rien pour attendre un autre élan de celui-ci qui fit d’elle une convertie.
Le film va finir sur un transfert étonnant. La scène rentre dans une autre dimension. Politique. Le récit est d’une autre version. Quand l’état haïtien commençait à recevoir les dons en faveurs des déshérités du séisme, c’était beaucoup trop tard pour la majorité. Cela a eu des effets catastrophiques sur la vie des estropiés du séisme et des orphelins aussi. Personne ne s’occupait de leur sort. D’où Fréda Dantor devenue sœur Frida.
Ce sont des entrepreneurs qui étaient sur la liste des bénéficiaires de l’aide internationale malgré la vocation de celle-ci. Fréda était encore une fois victime dans son pays, mais de son propre pays. Les animateurs culturels ne la voyaient pas lors de leurs tournées de motivation financées par des organismes internationaux. C’est sur cette note que prend fin le film, l’image animée de Fréda qui s’éloigne avec une prothèse financée par les missionnaires étrangers.
Le film pourrait paraître comme un mélange d’ésotérisme et d’horreur, mais c’est en fait un drame social qui se termine par une issue plus réconfortante. Quelle école ! Le réalisateur choisit d’embellir les scènes de volupté, mais propose la lucidité pour exposer la douleur et le malheur, comme le drap sale. Le personnage de Fréda Dantor est authentique, avec un peu de maquillage. Cependant, je suis persuadé qu’en allant chercher une actrice telle que Fabienne Colas, quand on connaît l’emploi de ses charmes devant la caméra, le casting aurait mieux réussi le coup de la sensualité.
- Merci d’y croire !
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-observateur, édition du …2012. VOL No., et se trouve en P. à : o