Jean Louis Joseph Seymour Lucien-Polynice

REQUIESCAT IN PACE Par Louis Carl Saint Jean

  • Jean Louis Joseph Seymour Lucien-Polynice

Jean Louis Joseph Seymour Lucien Polynice n’est plus! Quelle indicible peine ! Je le connaissais, ce père, ce grand-père, cet arrière-grand-père, ce frère, cet oncle, cet ami, ce chrétien, qui, pendant 86 ans, a mené un train de vie exemplaire. Et, je le connaissais très bien, pour l’avoir pratiqué tout au long de la décennie 1990.

Né à Port-au-Prince le 22 mai 1934, donc, près de trois mois avant la fin de l’Occupation américaine de notre pays (1er août 1934), Jean Louis Joseph Seymour Lucien Polynice était le fils du général Edmond Polynice et d’Elvira Lucien et le petit-fils du général Edmond Sylvestre Polynice. L’on se souviendra que ce dernier, ancien maire de Port-au-Prince, fut trois fois président par intérim d’Haïti (comme membre du Comité de Salut Public) et membre du Comité révolutionnaire après l’assassinat du président Vilbrun Guillaume-Sam, le 28 juillet 1915.

De taille bien au-dessus de la moyenne, sa démarche bien assurée, son air martial et son port altier lui donnèrent l’allure d’un ancien militaire ou d’un superbe athlète, type Gérald Haig, Guy Saint Vil ou Henri Francillon. Bel homme, d’une rare élégance, Seymour était toujours tiré à quatre épingles, pimpant, tel un «ancien bon», comme on dit chez nous. Ce furent ces divers traits périssables qui frappaient d’abord les yeux de ceux qui le regardaient au loin. Au physique, la nature l’avait grandement comblé.

Quiconque a eu, comme moi, la bonne fortune de partager son intimité, identifiera d’autres qualités encore plus durables chez Seymour. L’homme était d’une parfaite urbanité, raffiné comme un ancien député, sénateur ou diplomate d’un temps très éloigné de chez nous. Il était aussi gentil, aussi charmant et aussi sympathique qu’il était possible de l’être. Il était d’une bonté naturelle. Au moral, Dieu l’avait abondamment béni.

Je n’oublierai jamais la première fois que j’ai fait la connaissance de Seymour Lucien. C’était un dimanche d’été de 1990 après une réunion de dévotion tenue à l’Église adventiste Gethsémané où j’évoluais alors comme diacre et secrétaire d’Église. Sa fille Marie Christine Lucien, arrivant fraîchement d’Haïti, s’y était affiliée, encouragée par sa tante Violette Lucien, diaconesse, et sa cousine Chilaine Lucien, mes sœurs spirituelles dont j’avais longtemps déjà acquis l’estime.

Le plus naturellement du monde, je ne tarderai pas à gagner l’admiration de Christine, l’une des jolies fleurs jamais écloses dans «Le Jardin vert». Elle me considère comme son grand frère. Le plus respectueusement possible, à mon tour, je la prends effectivement pour cette petite sœur que je n’ai jamais eue, l’entourant de tout mon amour et de toute mon affection. D’ailleurs, tant elle que Chilaine (comme le font mes meilleurs amis) ne m’ont jamais appelé ni par mon prénom ni par mon nom, mais affectueusement par mon surnom…Tilou. Et cela jusqu’à aujourd’hui!

Sans tarder, Christine m’invite chez elle. Elle habitait, à l’époque, à New York Avenue, presque au coin d’Empire Boulevard, en face du Bureau de Police. C’était en quelque sorte à moins de cinq cents mètres de notre église commune. J’honore volontiers son invitation. À mon arrivée, elle me présenta à son père et à son frère Loulou. Ils me firent un accueil chaleureux, m’offrant après quelques instants seulement un verre de «Kola Lakay» bien frais, au son de l’émission radiophonique «Moment Créole».

En un rien de temps, nous nous mîmes à converser familièrement, parlant de tout et de rien. Au fil de la conversation, nous parlâmes du Jazz des Jeunes, de Gérard Dupervil, de Lumane Casimir, de Guy Durosier, de Martha Jean-Claude, de l’Orchestre Septentrional et d’autres artistes et groupes musicaux haïtiens. Seymour s’étonna que, vu mon âge, je fusse aussi versé dans des aspects de notre musique datant des années 1940 – 1950. Dans une large mesure, avec mon excellent ami Jean Junior Joseph et le frère et brillant professeur Antoine M. Jean, il fit partie des premières personnes qui m’avaient vivement encouragé à écrire sur l’histoire de la musique haïtienne. Depuis cette visite dominicale, Seymour et moi devînmes de bons amis.

Je dois avouer qu’à seulement remémorer cette période, connue comme «Gethsémané de la Belle Époque», je me protège piteusement d’une cruelle nostalgie. En effet, ce que j’appelle «les années gethsémanéennes» (décennies 1980 et 1990) furent, sans conteste, les plus belles de ma vie, après celles de mon enfance. Elles furent même de loin plus radieuses que celles que j’ai coulées au Collège Bird de 1974 à 1980, au cours de ma scolarité secondaire. C’était l’époque de ma croissance sociale, intellectuelle et spirituelle. Et, je le dis sans peur d’être démenti, c’était le cas des O’Connell Benoit, Clarence Saint Hilaire, Harry Voltaire, Dona-Hario Clermont et tant d’autres encore, tous instruits par des leaders spirituels bien trempés intellectuellement. Ȏ temps!

Entre-temps, à Gethsémané, le temps s’écoulait avec toujours le même esprit fraternel. Au milieu des années 1990, les Lucien déménagent de New York Avenue et s’en vont habiter à Lefferts Avenue, toujours dans les parages de cette église. Seymour, sabbat après sabbat, y assiste aux services d’adoration. Les liens d’amitié qui nous unissent depuis plus de cinq ans se resserrent davantage encore.

Et comme elle était agréable la compagnie de Seymour! Il parlait toujours à bon escient. Tantôt, en peu de temps, il vous racontait avec entrain des tranches oubliées de notre histoire ou de notre petite histoire. Personne, en ma présence, n’a jamais raconté avec autant de menus détails le lynchage du général Charles Oscar Etienne et celui du président Vilbrun Guillaume Sam, le 28 juillet 1915. D’ailleurs, ce fut son grand-père – le général Edmond Sylvestre Polynice – qui s’était rendu en personne à la Légation de la République dominicaine, située alors au haut de Lalue, pour y enlever et livrer à la foule Charles Oscar. Rappelons que, la veille, ce dernier avait fait massacrer près de deux cents prisonniers politiques, dont trois fils de Polynice père – Sylvestre, Maurice et René.

Non seulement, Seymour excellait dans la narration, il avait aussi la blague facile. À peine avait-il fini ses exposés historiques qu’il se mettait à raconter des blagues, toutes de bon goût et dénuées de grivoiserie. Si Molière recommandait de «corriger les mœurs par le rire», lui, paraît-il, comme jadis Théodore «Languichatte» Beaubrun ou Théophile «Zo» Salnave, avait toujours voulu «enrichir les esprits par le rire». Je dois avouer que, grâce à sa verve amusante, j’ai appris bien des aspects de la vie et de la politique de Florvil Hyppolite, de Faustin Soulouque, d’Antoine Simon et d’autres anciens chefs d’État haïtiens que certains, par manque de recherches, ont ― souvent à tort ― transformé en risée.

Au fil du temps, notre relation s’intensifie autour d’un esprit encore plus fraternel. J’avais de plus en plus confiance en lui et me sentais de plus en plus à l’aise de lui parler de nombreux points de ma vie. L’homme était pour moi comme un père, un confident, un pasteur. De très souvent, il m’arrivait de l’accompagner à certains de ses rendez-vous médicaux et à d’autres. Alors, tel un vrai père, il profitait de ces occasions pour me donner des conseils judicieux et salutaires qui, plus tard, me permettront d’éviter bien des obstacles. C’est le propre d’un devancier et surtout d’un vrai chrétien!

Toutefois, rien n’est éternel ici- bas! En effet, vers la fin des années 1990, Seymour décidait de quitter New York pour aller s’établir dans le Massachusetts. Malheureusement, nos rapports de jadis n’allaient pas survivre à la distance. Si en de très rares occasions, nous nous parlions au téléphone, toutefois, c’est par l’entremise de Christine que ses nouvelles me parvenaient de temps en temps.

Je fus donc sidéré au possible quand, ce matin, j’ai lu via WhatsApp le message laconique de Chris- tine m’apprenant: «My dad died, Tilou. We’ll talk later». Franchement, à ce moment, seul une bonne tasse de thé de verveine tiède et une cuillère de sirop de canne-à-sucre auraient pu apaiser mon saisissement. Et je n’ai aucun doute que tous ceux qui le connaissaient et qui appréciaient son entregent ont eu la même impression.

Seymour laisse le souvenir d’un père de famille laborieux. Durant toute son existence, il a accepté à se multiplier pour subvenir honnêtement aux besoins de sa progéniture. En Haïti, à partir des années 1950, à peine dans la vingtaine, on l’a vu pendant longtemps conducteur de train à la HASCO. Arrivé aux États Unis en 1974, même exposé aux plus amères déceptions réservées aux immigrants du Tiers-Monde, il a cumulé les petits boulots, piochant durement pour assurer le bien-être matériel de presque tous les membres sa famille restés au pays. Cet homme généreux avait donc fièrement fait sienne l’expression «Métro, boulot, dodo » du poète et fabuliste français Pierre Béarn. Celui-ci l’avait inventée en 1968 pour peindre la vie quotidienne à Paris.

Je compatis à la douleur de tous ses amis et de tous les membres de la famille, en particulier à celle de sa bien-aimée sœur Violette Lucien, de sa nièce, mon amie de toujours Chilaine Lucien, de ses six enfants, Lwiss, dit Loulou, David, Seymour, Barachi, Matilde et, last but not least, de mon indéfectible amie, ma petite sœur de toujours Marie Christine Lucien Valmyr, femme du dynamique pasteur Yoner Valmyr.

La tête haute, notre bon vieux Seymour, a dit adieu au train-train de la vie le 8 avril en cours, aux environs de 2 heures du matin à Newton-Wellesley Hospital, situé à Newton, dans le Massachusetts. Il avait 85 ans et 11 mois.

  • Comme il a longuement voyagé, notre cher Seymour! On dirait que je l’entends nous déclamer cet extrait du poème combien significatif «Le train de la vie» de Jean D’Ormesson :
  •  «Donc vivons heureux, aimons et pardonnons !
  • Il est important de le faire, car lorsque nous descendrons du train,
  • nous devrions ne laisser que des beaux souvenirs à ceux qui continuent leur voyage…

Soyons heureux avec ce que nous avons et remercions le ciel de ce voyage fantastique». Requiescat in pace, Seymour ! Louis Carl Saint Jean louiscarlsj@yahoo.com 10 avril 2020


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. L No.14 New-York, édition du 15avril 2020 et se trouve en P.14 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/04/H-O-15-april-2020-1.pdf