Joseph Jouthe a-t-il mauvaise conscience de rallier l’équipe de Moïse ? par Léo Joseph

CORRUPTION, DÉTOURNEMENTS DE FONDS PUBLICS ET MAL GOUVERNANCE

  • Joseph Jouthe a-t-il mauvaise conscience de rallier l’équipe de Moïse ? par Léo Joseph

Nonobstant sa déclaration d’obéissance aveugle à Jovenel Moïse, le jour même de sa prestation de serment, Joseph Jouthe a lâché une note discordante par rapport à l’harmonie qui devrait caractériser la coopération au sein de l’équipe gouvernementale qu’il dirige. À observer certaines attitudes qu’il affiche, ou à entendre des prises de positions qu’il a véhiculées, il donne l’impression d’avoir mauvaise conscience de servir en tant que chef de la primature. Serait-ce une stratégie oblique visant à exprimer sa répudiation de la politique de son patron ? Il ne serait pas étonnant qu’il ait un atout en réserve.

En effet, depuis sa déclaration de soumission aveugle initialement exprimée disant subordonner ses opinions et prises de position aux caprices de celui qui a fait choix de lui comme Premier ministre, M. Jouthe ne s’est pas révélé tout à fait ce qu’il devrait être. Une attitude, croit-on, qui s’inspire de certains membres de sa famille l’ayant reproché pour ses propos empreints de servilité à l’égard du chef de l’État. Ceux qui abondent dans le même sens que ses proches, qui l’ont pris à parti pour ses propos de chien couchant adressés à Jovenel Moïse, ne sa- vent quel sens donner à ses déclarations relatives aux gangs armés, qui ont déclenché un tollé dans certains milieux politiques.

Joseph Jouthe a déclaré, sans ambages, lors d’une intervention publique, qu’il entretient des rapports avec les bandits, tout en précisant : «Tous les bandits du pays m’ont appelé depuis que je suis devenu Premier ministre», ajoutant que (…) «Oui, je parle à tout le monde. Je parle aux bandits et je continuerai à leur parler». Par ces mots, le Premier ministre de facto reprend les paroles du président Moïse à l’égard de l’homme d’affaires Marc Antoine Acra, un des patrons de la société NABATCO, du groupe Acra, impliqué, lui et son frère, dans l’affaire du «Bateau sucré». Ce navire, qui battait pavillon panaméen, transportait plus de 600 tonnes de sucre en provenance du port Ventura, de Colombie, dissimulant des tonnes de cocaïne, d’héroïne et de marijuana parmi les sacs de sucre et à l’intérieur des murs, qui se trouvait accosté au Terminal Varreux où s’effectuait le déchargement. Inculpé pour trafic de stupéfiants, Acra avait décidé de se réfugier en République dominicaine, pour se soustraire à une éventuelle décision judiciaire de l’arrêter et de le mettre en détention préventive. Lors d’une visite à Santo Domingo, avant sa prestation de serment, en janvier 2017, le président élu Jovenel Moïse a eu une rencontre avec lui. Critiqué d’avoir eu un long aparté avec «un trafiquant de drogue se trouvant sous le coup d’une inculpation», il devait répondre à ses détracteurs : Président de tous les Haïtiens, il a le droit de rencontrer n’importe quel Haïtien. Il faut se rappeler qu’à l’époque, le président élu Jovenel Moïse avait le même statut qu’Acra. Il allait prêter serment alors qu’il était, lui aussi, sous le coup d’une «inculpation pour blanchiment d’argent».

Scission au profit des bandits?

On se demande si Joseph Jouthe a l’intention de soulever le pays contre Jovenel Moïse, ou bien s’il a perdu le nord. En tout cas, l’idée qu’il a lancée déclarant qu’il serait prêt à dresser un mur, pour protéger le reste de Port-au-Prince contre les bandits armés, a déclenché tout un tollé contre lui. Et pour cause ! Quel État souverain aurait souhaité vouloir protéger ces citoyens contre les criminels en cédant une partie du territoire à la pègre ?

D’abord, d’autres membres de l’équipe de Moïse, avant lui, avaient tenu ce langage dur à l’adresse des chefs de gang. Un d’entre eux, le prédécesseur de Rameau, après avoir fait une déclaration d’appréhender un chef de Cité de Dieu, allant jusqu’à proposer une récompense à celui qui aurait aidé à le livrer à la Police, le chef de bandit en question se croyait, à son tour, habilité à mettre à prix la tête du directeur général de la PNH. Finalement, les choses se calmèrent. Mais les bandits armés sont toujours maîtres de leurs fiefs, continuant à semer le deuil dans les quartiers qu’ils contrôlent.

Même si le Premier ministre de facto menace de lancer une campagne en vue de maîtriser les criminels, ces derniers savent qui ils ont pour alliés, protecteurs, fournisseurs d’armes et de munitions. N’ayant aucun doute qu’ils sont des partenaires sûrs de Jovenel Moïse et de ses alliés du PHTK, qui sont des parlementaires, des policiers dévoyés, ou des PHTKistes criminels, ils n’ont aucune raison de se faire du souci. Et si Joute persiste avec ce langage dur, il finira par être éjecté de la primature. Il est vrai que d’autres ont été précédemment forcés de rendre leurs tabliers pour d’autres raisons. Joseph Jouthe ne doit pas oublier qu’il appartient à Moïse de prendre l’ultime décision de montrer la porte à celui qui occupe le poste de Premier ministre.

Quoique pense ou rêve Joseph Jouthe, il n’a aucun pouvoir sur le sort des bandits armés. Les menaces qu’il a proférées à l’égard de ces derniers mettent davantage en péril la vie des familles qui vivent dans leurs fiefs. Si bien que, après l’annonce du Premier ministre de facto relative à la construction d’un mur entre Cité de Dieu et le reste de Port-au-Prince, les gangs armés ont déclenché les hostilités dans la zone sud de la capitale faisant au moins une douzaine de morts. Il semble que ces voyous, qui mettent ces quartiers sous coupe réglée aient voulu démontrer à Jouthe qui a le contrôle de ces quartiers.

Le grand danger que les propos de Joseph Joute attirent sur les populations réside dans le fait que le monde de la pègre peut, à tout instant, forcer le chef de la primature à déclarer vouloir ériger un mur dans un autre quartier pour «isoler» les criminels. Si ces derniers décident de se coaliser, pour affronter les forces de l’ordre, il y a fort à parier que M. Joute sera acculé à d’autres mesures jugées encore plus musclées. Il faut se demander si le Premier ministre de facto pourra se donner les moyens de sa politique.

Joseph Jouthe est-il contre des dilapidateurs du fonds PetroCaribe ?

Il reste à savoir si les déclarations du Premier ministre Jouthe contre les bandits de Cité de Dieu visent à désolidariser ces derniers de Jovenel Moïse. En attendant, il semble encocher des flèches en direction des dilapidateurs du fonds PetroCaribe. Dans des déclarations diffusées à la capitale, le 14 avril, et qui lui auraient été attribuées, il impute à ceux qui ont détourné des centaines de millions de dollars l’absence d’infrastructures médicales et sanitaires rendant impossible la fourniture de soins appropriés aux victimes du COVID-19.

En effet, le Premier ministre de facto a profité d’une réunion à son domicile officiel pour critiquer, sans les citer nommément, ceux qui ont gaspillé les USD 4,2 milliards $ provenant du pétrole vénézuélien. Il a dit «Nous avons détruit le pays. Donc, aujourd’hui nous devons admettre que si nous n’avons pas d’hôpitaux et d’autres et d’autre infrastructure, c’est à cause de notre comportement. Nous devons utiliser cette crise et prendre cette opportunité de reconstruire le pays».

Comment expliquer de telles prises de position de la part de Joseph Jouthe ? Faut-il y voir une stratégie destinée à marquer ses distances par rapport à son patron et ses alliés des administrations Martelly et Préval, ou encore celui de Jocelerme Privet, qui ont fait leurs choux gras du fonds PetroCaribe ?

En tout cas, les diplomates, qui critiquent, en privé, le président Moïse, surtout sa politique consistant à protéger les voleurs des USD 4,2 milliards contre ceux qui cherchent à les traîner devant la justice, à entendre de tels propos lâchés par le Premier ministre Jouthe, cela risque de changer d’opinion que certains milieux diplomatiques font de lui, si d’aventure ils l’avaient mis dans le même panier que l’occupant du Palais national. Surtout que des observateurs avisés, pensant que les notes discordantes apportées par Jouthe dans le dialogue poli- tique national, ― de toute évidence destinées à la consommation internationale ― ont toutes les chances de retenir l’attention d’un chef de gouvernement, que certains milieux diplomatiques semblent identifier comme étant «une immense chance».

Les déclarations à l’allure discordante de M. Joute sont loin d’être une expression de regret de sa part. Dans l’optique de ce dernier, il y a d’importantes dividendes politiques à récolter. Certainement il possède la carte maîtresse. Car il croit possible de réussir dans le jeu de dupes où la victime est loin d’être celui qu’on pense. L.J.


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. L No.15 New-York, édition du 22 avril 2020 et se trouve en P.1, 12 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/04/H-O-22-april-2020-1.pdf