OFFENSIVE CONTRE LES COMPAGNIES PÉTROLIÈRES ET LES BANQUES PRIVÉES
- Jovenel Moïse Peine à Colmater la Rareté d’Essence par Léo Joseph
- INCAPABLE DE S’ATTAQUER AU VRAI PROBLÈME… FUITE EN AVANT…
Les consommateurs de produits pétroliers ne sont pas étrangers à la rareté d’essence, depuis l’accession de Jovenel Moïse au pouvoir, voici bientôt cinq ans ils en ont fait l’expérience d’au moins trois. Mais celle qu’ils endurent cette fois, n’a rien de commun avec les précédentes. Pour tenter de calmer la colère, voire la révolte populaire, qu’il sent déjà gronder, il a fait une vague déclaration de guerre aux compagnies pétrolières qu’il s’est gardé d’identifier. Dans la foulée de cette crise de colère qu’il s’est donnée, il a décidé d’inclure, en passant, les banquiers à qui il impute les déboires de la monnaie nationale. Au moment où le président haïtien tenait sa conférence de presse, au Palais national, la rareté d’essence fait rage, tant à Port-au-Prince que dans les villes de province.
En effet, depuis déjà plus de deux semaines, les longues files de véhicules, y compris taps-taps, motocyclettes, camions, etc. font la queue autour des stations d’essence, dans l’espoir de s’approvisionner dès que le précieux liquide sera disponible à la pompe. Cette situation, qui date déjà de trois semaines, persiste encore. Alors que les autorités ont assuré le public que le bateau citerne se trouve ancré à la rade de Port-au-Prince avec à son bord 600 000 barils de produits pétroliers.
Lors de cette présentation devant la presse, avec, présents à ses côtés, le ministre de Finances et des Affaires économiques, aussi bien celui du Commerce et de l’Industrie, et le directeur général du Bureau de monétisation des programmes d’aide au développement (BMPAD), Jovenel Moïse est parti en guerre contre les compagnies importatrices de produits pétroliers. Sans les identifier par leurs noms, le chef de l’État les a accusés d’avoir réalisé des profits gigantesques en appliquant des frais supplémentaires au détriment des consommateurs. C’est pourquoi, le ministre Michel Patrick Boisvert, a précisé, que les entreprises qui ont bénéficié des appels d’offres ont, entre 2010 et 2020, fait perdre à l’État la somme de USD 1,7 milliard de $ (113,5 milliards de gourdes) sur la vente de ces denrées. Si M. Boisvert n’a pas précisément accusé ces compagnies de voleurs, il n’a pas passé sous silence qu’elles ont réalisé ce qu’il a qualifié de «gains indus». Le grand argentier de la République a précisé qu’il y avait «de l’argent qui se faisait en dehors de la structure par les compagnies importatrices».
Pour Jovenel Moïse, il est absolument nécessaire de faire le jour sur les appels d’offres qui ont été paraphés entre les compagnies importatrices de produits pétroliers et l’État haïtien, au cours des dix dernières années.
À cette occasion (lundi 22 juin), le chef de l’État a demandé que soit diligentée une enquête, en vue de fixer les responsabilités individuelles de ces compagnies par rapport à la somme indument gagnée. Voilà pourquoi Jovenel Moïse dit avoir mis sur pied un groupe de travail, compose de l’Unité centrale de référence fiscale (UCREF), de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) et de l’Inspection générale des finances (IGFf), pour mener cette enquête.
Selon ce qu’a expliqué, le ministre Boisvert, le consommateur paie l’essence 224 gourdes le gallon. Pourtant, sur chaque gallon vendu, les compagnies importatrices réalisent 54 gourdes. Quant à l’État, il perd 75,84 gourdes sur chaque gallon vendu. Telle est la perte que ce dernier a accepté d’encaisser pour maintenir le gallon à 224 gourdes à la pompe. Dans l’optique de M. Moï se, l’État devait pouvoir investir ce manque à gagner à bon escient, notamment, dans la construction d’infrastructure (routes, hôpitaux, écoles).
D’autre part, a encore précisé le ministre des Finances, pour maintenir le gallon de kérosène à 173 gourdes à la pompe, l’État perd 43,22/ gallon. Dans le cas du diesel, l’État subit une perte de 39,74 sur chaque gallon pour que le consommateur soit en mesure de l’acheter à 179 gourdes.
Une fuite en avant de Jovenel Moïse
Cette conférence de presse, dans laquelle Jovenel Moïse s’est attaqué violemment aux compagnies pétrolières, qu’il a accusé de voler l’État, n’est autre qu’une fuite avant. Car ce subterfuge a été trouvé afin de chloroformer les consommateurs qui, après déjà trois semaines de crise d’essence, se trouvent à la limite de la révolte.
En effet, le président haïtien s’est contenté de fulminer contre des anonymes, car se gardant de citer nommément les hommes d’affaires qu’il prend à partie. À cet égard, on se rappelle comment il avait dénigré ceux qu’il qualifiait de «vendeurs de blackout». Il voulait, à tout prix, livrer les Vorbe, Rouzier et Bonnefil en pâture à ses «journaleux» pour les déchirer à belles dents. Mais il procède différemment pour les entreprises qui avaient le monopole de l’importation des produits pétroliers.
Les consommateurs haïtiens ne doivent pas donner dans le panneau par rapport aux balivernes de Nèg Bannann nan. Car la conférence de presse du 22 juin constitue un stratagème qui a pour objectif d’apaiser le peuple haïtien, qui doit lui poser les vraies questions.
Jovenel Moïse devrait, au prime abord, identifier la dernière compagnie bénéficiaire de l’appel d’offres lui donnant le droit exclusif d’importer les produits pétroliers. On se rappelle bien qu’elle a été identifiée récemment comme étant «Preble-Rish Haiti, S.A», dont les propriétaires sont les deux beaux-frères de l’ex-président Michel Joseph Martelly, dit Sweet Mickey, qui s’appellent Kiko Saint-Rémy, le frère de Sophia Saint-Rémy Martelly, et Gesner Champagne, le mari de Claudya Saint-Rémy, la jeune sœur de l’ex-première dame.
Des proches de M. Moïse, qui fréquentent régulièrement le Palais, et souhaitent rester anonymes, ont fait savoir que ces «deux mousquetaires» ont pu décrocher le contrat octroyé, sans appel d’offres, parce que Martine Moïse est affiliée à cette société en tant que «commanditaire». Dans de telles conditions Jovenel Moïse serait lui aussi membre de Preble-Rish Haiti, S.A.
Une situation inhabituelle
L’argument offert par Jovenel Moïse pour expliquer les origines de cette pénurie d’essence qu’essuie le peuple haïtien ne tiennent pas. L’explication évoquée selon laquelle 600 000 barils de pétrole sont disponibles. Mais que le tanker, n’est pas en mesure d’en effectuer la livraison complètement, faute d’espace pour stocker la marchandise. Selon M. Moïse, le bateau a déchargé partiellement sa cargaison, attendant la consommation de la quantité livrée avant d’achever la livraison. Le président a précisé encore que les compagnies pétrolières sont obligées de payer USD 25 000 $ le jour durant tout le temps que le tanker restera ancré dans la rade pour compléter le déchargement.
Voilà une situation pour le moins inhabituelle. Dans le passé, les compagnies pétrolières, qui assuraient l’importation de ces produits, dans le cadre de leur contrat avec l’État, n’avait pas connu un tel inconvénient. D’ailleurs, il n’y a même pas trois mois, au fort de la grave pénurie d’essence, qu’avait connue le pays, notamment quand NOVUM, la compagnie pétrolière du Texas, faisait le transport, il y avait toujours deux points de stockage, à Thor et à Chancerelles. Qu’en est-il advenu de ces installations ? Pourtant la compagnie Prebe-Rish Haïti S.A., qui détient le contrat d’importation, n’ignorait pas l’arrivée prochaine du tanker. Surtout que les officiels haïtiens avaient rassuré les consommateurs quant à l’arrivée imminente de bateau.
Autre question adressée au président haïtien : si les points de stockage sont devenus indisponibles, pourquoi les décideurs haïtiens n’ont pas évoqué la raison d’État relative à un produit stratégique, comme les produits pétroliers, pour faire libérer ces espaces qui, autrefois, étaient toujours prêts pour recevoir les gazolines, le diesel et le kérosène ?
À cette même occasion, le chef de l’État a feint de s’en prendre aux banques privées, dont les propriétaires sont des alliés de la présidence. Une stratégie par laquelle il voudrait donner l’impression de prendre ses distances par rapport à ces institutions qui ont grandement contribué à chute vertigineuse de la gourde face au dollar américain. Toutefois personne n’est dupe d’une telle démarche. On sait très bien que le milieu bancaire contribue largement à favoriser les détournements de fonds de l’État, une activité dans laquelle Jovenel Moïse et ses alliés passent pour maîtres. L.J.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur édition du 24 juin 2020, Vol. L, No.24, et se trouve à P. 1, 3, à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/06/H-O-24-juin-2020-1.pdf