Le Couple Présidentiel Logé Chez Shérif Abdallah ?

Le Couple Présidentiel Logé Chez Shérif Abdallah ?

  • DES INCIDENTS DIPLOMATIQUES POTENTIELS À CRAINDRE par Léo Joseph

Il y a déjà plus de deux semaines, des rumeurs persistantes faisaient état du déménagement du couple présidentiel de leur résidence à Pèlerin 5, sur la Route de Laboule, à Juvenat. Tout récemment, des précisions ont indiquées faisant croire que Jovenel et Martine Moïse, ainsi que leur famille, ont pris logement dans un appartement se trouvant dans la maison de Shérif Abdala, un des bailleurs de fonds de Nèg Bannann nan et proche de ce dernier. Quand on sait que M. Abdallah est un représentant consulaire, il y a fort à craindre que la présence de la première famille d’Haïti sous ses toits n’engendre des incidents diplomatiques susceptibles d’éclater lors des manifestations du 17 octobre 2018.

Bien qu’aucun communiqué ou communication émanant de la présidence n’ait annoncé le déménagement officiel de la famille présidentielle de Pèlerin 5, où se trouve la résidence privée de celle-ci, il semble qu’à l’approche de la date fatidique du 17 octobre, Jovenel Moïse ait pris la décision de quitter ces lieux. Car après avoir, pour raisons de sécurité, dit-on, fait démolir des maisons ayant appartenu à des voisins, qui a suscité la colère de quasiment tous les habitants du quartier, voire même de tout le pays, y compris les compatriotes basés à l’étranger, la résidence de Pèlerin 5 n’offre plus aucune garantie de sécurité à M. Moïse et sa famille. La manière dont on décrit les événements annoncés pour le 17 octobre fait croire que le chef de l’État a jugé plus prudent de déménager de cette zone dangereuse, sachant que les décisions qu’il avait prises relative à la démolition des maisons de ses voisins, afin de faire construire une rampe de lancement pour hélicoptère, sont capables de revenir le hanter. Des sources proches de la présidence ont fait savoir que le couple Moïse aurait pris logement dans une maison se trouvant dans le complexe résidentiel de Shérif Abdallah.

Consul honoraire général d’Italie en Haïti En se logeant avec sa famille dans le complexe résidentiel de Shérif Abdallah, qui est le «  consul honoraire général d’Italie en Haïti », Jovenel Moïse demeure une partie du jour (ou de la nuit), avec sa famille en terre étrangère. Puisque, selon le protocole établi par la Convention de Vienne sur les relations consulaires conclue à Vienne, le 24 avril 1963, et approuvée par l’Assemblée fédérale le 18 décembre 1964, tout ce qui fait partie de la résidence de l’agent consulaire d’un pays, biens meubles et immeubles, y compris les personnes se trouvant sous le drapeau d’un pays étranger sont « inviolables » pour quelques motifs que ce soient.

L’Italie a fermé son ambassade en Haïti depuis des années, ayant décidé d’y établir une représentation consulaire honoraire. Celui qui assure cette fonction est l’homme d’affaires Shérif Abdallah, un Arabe d’origine égyptienne, également de souche italienne (par sa mère, dit-on). Du consulat général d’Italie situé au numéro 40, à la rue Lamarre, à Port-au-Prince, il assure toutes les attributions attachées à cette fonction. C’est l’unique représentation diplomatique italienne dans ce pays.

Passé pour un bailleur de fonds, d’abord de Michel Martelly, puis de Jovenel Moïse, bien plus discrètement qu’un Réginald Boulos, Abdallah se voit attribuer, lui aussi, la réputation de « faiseur de roi ». Dans le milieu politique haïtien, on pense que l’influence dont il avait joué dans les élections de Michel Martelly, puis dans celles de Moïse lui donne une « responsabilité délictuelle » par rapport à la politique de ces deux régimes tèt kale. Pour avoir financé l’accession au pouvoir de ces administrations PHTK, dans l’esprit des critiques de la politique de Martelly et de Moïse il est associé à tous les méfaits reprochés à ces derniers.

À l’approche des événements du 17 octobre, que semble redouter tout le monde, au premier chef les décideurs du pays, ceux qui se sont affichés ouvertement, tant par leurs actions, leurs décisions que leur financement des régimes tèt kale, plus précisément celui de Jovenel Moïse, doivent avoir de bonnes raisons de s’inquiéter. Cela vaut pour Abdallah et tous les autres manieurs d’argent qui ont dominé la politique haïtienne.

En tant que chef d’une mission consulaire étrangère, le rôle de Shérif Abdallah dans l’élaboration de la politique de Jovenel Moïse pourrait bien attirer l’attention de militants cherchant à identifier les alliés du pouvoir. Aussi l’hébergement du chef de l’État dans un site consulaire étranger quelconque placé sous la protection d’une bannière étrangère risque-t-il de provoquer des remous, tout au moins. Cela invite à évoquer la question de l’inviolabilité des locaux consulaires en général.

De l’inviolabilité des locaux consulaires Si le président et sa famille ont effectivement déménagé au complexe résidentiel du consul honoraire d’Italie, en la personne de Shérif Abdallah, ce geste pourrait soulever une série de points litigieux au regard de la Convention de Viennes. Pour mieux comprendre cette situation, il faut lire ce que dit ce document.

« 1. Les locaux consulaires sont inviolables dans la mesure prévue par le présent article. »

« 2. Les autorités de l’État de résidence ne peuvent pénétrer dans la partie des locaux consulaires que le poste consulaire utilise exclusivement pour les besoins de son travail, sauf avec le consentement du chef de poste consulaire, de la personne désignée par lui ou du chef de la mission diplomatique de l’État d’envoi. Toutefois, le consentement du chef de poste consulaire peut être présumé acquis en cas d’incendie ou autre sinistre exigeant des mesures de protection immédiates. »

« 3. Sous réserve des dispositions du par. 2 du présent article, l’État de résidence a l’obligation spéciale de prendre toutes mesures appropriées pour empêcher que les locaux consulaires ne soient envahis ou endommagés et pour empêcher que la paix du poste consulaire ne soit troublée ou sa dignité amoindrie. »

« 4. Les locaux consulaires, leur ameublement et les biens du poste consulaire, ainsi que ses moyens de transport, ne peuvent faire l’objet d’aucune forme de réquisition à des fins de défense nationale ou d’utilité publique. Au cas où une expropriation serait nécessaire à ces mêmes fins, toutes dispositions appropriées seront prises afin d’éviter qu’il soit mis obstacle à l’exercice des fonctions consulaires et une indemnité prompte, adéquate et effective sera versée à l’État d’envoi ».

Un président haïtien sous protection étrangère ?

On ignore si en prenant la décision de se faire héberger chez Abdallah le président haïtien et ses proches collaborateurs ont pris en compte le fait que ces derniers se retrouvent, en fait, sous la protection d’une puissance étrangère. Il est fort possible que cette éventualité n’ait été évoquée au moment de prendre cette décision. Cela n’empêche, pour autant, que le consul général honoraire d’Italie prenne des dispositions pour défendre sa résidence au cas où les conditions sur le terrain, le 17 octobre, le rendrait nécessaire. À coup sûr, telle disposition viserait aussi à protéger M. Moïse et sa famille, en prévision de possibles événements incontrôlables, le 17 octobre, qui pourraient déborder les forces de l’ordre du pays.

Il faut se demander quel processus a été suivi pour aboutir à cette décision, serait-ce suite à des négociations privées entre M. Moïse et Shérif Abdallah ou bien en Conseil de ministres, puisqu’on se retrouve en terrain inconnu. Dans ce cas, le président haïtien continuerait d’exercer ses fonctions, de prendre des décisions engageant normalement les intérêts du pays et ceux du peuple alors qu’il se trouverait logé « en terre étrangère ». On ne peut pas évoquer ici le cas de Vilbrun Guillaume Sam, qui s’était plutôt réfugié à la Légation de France pour échapper à la fureur de la populace qui était à ses trousses. Poursuivi jusqu’à son refuge d’où il fut extrait, l’histoire rapporte qu’il fut renversé du balcon par terre et massacré séance tenante. Sans aucun doute cette situation va susciter un débat national, faute de disposition constitutionnelle pour la traiter.

Tout compte fait, il y a toutes sortes d’affirmations et de conjectures faisant le tour de la capitale haïtienne en prévision du 17 octobre. La veille de cette date, il semble qu’il y ait deux catégories de personnes : ceux qui sont en passe de fuir le pays ou de se mettre à l’abri quelque part en Haïti, d’un côté; et de l’autre, ceux qui s’apprêtent à investir les rues de la capitale et des villes de province pour faire l’événement si redouté par les citoyens concernés par les crimes qui sont à l’origine de cette gigantesque mobilisation.

Dans de telles conditions, il faut prévoir que des incidents diplomatiques surgiront dont on ne peut de sitôt évaluer ni connaître les conséquences. LJ


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti Observateur, édition du 17 octobre 2018 et se trouve à la P.1.14, à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2018/10/H-O-17-Oct-2018-2.pdf