Le marché konpa dirèk et les nouveaux produits des groupes musicaux par Robert Noël
Tout marché s’axe autour de la théorie de l’offre et de la demande, nationalement ou globalement. Cependant, le marché konpa dirèk est plutôt saisonnier, et les produits pour l’alimenter ne sont pas vraiment fonction d’une saison bien spécifique. Dans un temps, les groupes musicaux haï- tiens avaient choisi la période de fin d’année pour mettre leurs disques en circulation. Avec le temps, les habitudes de production ont vraiment changé.
Les productions faites à la va vite peuvent causer des dommages irréversibles
Les groupes musicaux s’empressent de produire soit un album ou un paquet de quelques chansons, avant que débute la saison estivale 2018, simplement pour rappeler leur existence. Par exemple, le
groupe Zenglen va, avant la fin du mois d’avril, afficher deux chansons sur les réseaux sociaux. La formation « Kreyòl La » a déjà un nouvel album titré « Domination », et annonce déjà le lancement de ce disque, à New York, pour le 25 avril. On ne peut laisser passer sous silence la production du nouvel album titré « Game Over » du groupe « VAYB » de Mickaël Guirand, l’ancien chanteur-vedette du défunt « Carimi ».
Sans même auditionner tout l’album de VAYB, déjà les gens font valoir leurs opinions. Certaines gens sentent le parfum de Carimi qui s’y dégage. D’autres, au contraire, voient un changement de style. L’on se demande si ce n’est pas une forme de précipitation. Ils sont allés trop vit en besogne. D’autres encore disent que la chanson « Game Over » a le caractère d’une polémique forcée, voilée à travers des métaphores et même sous le couvert des figures de style qui visent Richard Cavé et son groupe « KAÏ ».
Chacun est maître de son interprétation du texte de cette composition musicale de « VAYB ». Certaines gens pensent que Richard Cavé ne va pas se laisser prendre au piège d’une polémique, mais il va sans doute, disent-ils, alimenter une compétition pour faire avancer ce genre musical qu’ils ont embrassé tous les deux. Au fait, ils sauront choisir ce qui joue dans leur intérêt et ceux des groupes dont ils dirigent la destinée. Les gens manifestent aussi un grand intérêt dans les productions musicales des groupes comme Klass, Nu Look, Harmonik, Disip, puisque Djakout #1 profite de l’espace vide pour pavoiser comme bon lui semble. Pour l’instant, la cohorte de Djakout #1 navigue bien et n’a peur d’aucun mauvais temps.
On dit quand « Pétion-Ville mare, lapli pral tonbe », Djakout n’aura pas à plier bagages. Mais, tous ceux dont le toit de l’édifice est troué auront besoin d’imperméables pour éviter une inondation irréparable. Jusqu’à présent, la formation Djakout #1 gère bien le succès qu’elle connaît aujourd’hui. Il fait la planche pendant qu’il regarde certains de ses compétiteurs utiliser la technique de nage en brasse pour essayer d’atteindre les rivages.
Les années se succèdent, mais ne se ressemblent pas
Les groupes d’aujourd’hui choisissent la période pré-estivale pour produire un nouvel album ou un petit paquet de chansons. Ils ont tous le même rêve, celui d’assurer une tournée estivale en Haïti, croyant que le succès d’un groupe musical vient de là. Enfin, certains artistes croient que produire un album de 10 chansons constitue une perte de temps et d’argent. Le problème des groupes musicaux ne réside pas à ce niveau, mais il est plutôt lié à leurs approches promotionnelles. En plus, toutes les œuvres des groupes sont des autoproductions, causant la négligence de la promotion des disques. On se rend compte que les orchestres ne disposent pas de budget destiné à cette fin.
Produire quatre ou 10 musiques sur un album est également risquant dans ce marché informel. Les stratégies de promotion et de marketing qu’adoptent les groupes musicaux devraient établir la différence entre eux. Cependant, il existe un grand danger, c’est qu’ils attendent qu’un compétiteur initie un modèle de promotion pour l’imiter. Le manque de créativité fait que toutes les formations musicales acceptent que les animateurs, assurant la promotion de leurs œuvres, utilisent tous la même formule. La situation s’aggrave de jour en jour. On a même vu des musiciens faire du porte-à-porte pour vendre le CD de leur groupe.
L’absence de maisons de promotion et de marketing dans l’industrie de la musique haïtienne confirme l’informel (caractère) du marché, affectant du même coup la bonne marche de ce circuit. En sus, il n’existe aucune compagnie de distribution dans cette industrie, et les musiciens n’en parlent pas. Tous les rôles sont inversés. Les promoteurs n’assurent aucune promotion,ils ne font qu’organiser des bals. Et, s’ils mettent en place une stratégie de promotion, c’est simplement pour annoncer une soirée qu’ils organisent. Et ses démarches s’arrêtent là. Considérant tous les faits susmentionnés, on est en droit de dire que le konpa dirèk n’a aucune chance de percer sur le marché international.
Les musiciens de cet univers musical n’y pensent pas et ne s’y intéressent pas non plus. Ils se contentent de peu, pourvu qu’ils soient à l’affiche chaque fin de semaine, soit à Miami, à Orlando, à Fort Lauderdale, à New York, New Jersey, Georgia, Boston, Connecticut, ou bien à Montréal. Cela n’exclut pas les orchestres basés en Haïti, où l’admission aux soirées dansantes doit être maintenant affichée en gourde, la monnaie nationale. Une telle exigence va, en quelque sorte, affecter la saison estivale, mais elle peut, du même coup, faciliter l’accès des gens à faible pouvoir d’achat aux soirées. Pourtant, le cachet des groupes musicaux doit être en dollar américain puisqu’ils résident aux États-Unis.
À se rappeler que le mois de mai sera la période des réceptions de première communion. Les organisateurs de soirées, tant en Haïti qu’en diaspora, doivent aussi considérer l’horaire des rencontres de la Coupe du monde de football. Cet été, tous ces paramètres auront un effet considérable sur le marché konpa dirèk.
Prévenir vaut mieux que guérir, dit le proverbe. La Coupe du monde 2018, qui commence en juin, va certainement causer un ralentissement au niveau des activités des groupes musicaux et celles des organisateurs de soirées dansantes. Et cela sera d’autant plus grave, si le Brésil ou l’Argentine perd un match. Ce qui affectera les sympathisants de ces deux sélections de football, en majorité en Haïti, incluant des musiciens passionnés de ces deux équipes.
cet article est publié dans l’édition du 25 avril 2018 de l’hebdomadaire Haïti Observateur et se trouve en P. 16 http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2018/04/H-O-25-April-2018-2.pdf