SCANDALE AU NOUVELLISTE, JOURNAL PLUS QUE CENTENAIRE D’HAÏTI
- Lemoine Bonneau, éditorialiste, acculé à démissionner – par Léo Joseph
Mon attention a été attirée par un texte diffusé sur les réseaux sociaux, précisément sur WhatsApp, sous le titre « Lemoine Bonneau révoqué par Frantz Duval». Je me suis immédiatement donné pour tâche de tirer le vrai du faux. Car, journaliste (directeur d’opinion), et directeur administratif, à la fois, je me sens directement concerné, surtout ayant fait l’expérience de ces deux fonctions. Au bout du compte, je me sens soulagé, après l’analyse du dossier, de constater que le rédacteur en chef du Nouvelliste, Frantz Duval, n’a pas révoqué M. Bonneau, tel qu’allégué. Je m’en réjouis ! Mais le cas est extrêmement grave, car confirmant l’idée que la presse haïtienne ne peut se féliciter d’être libre.
En effet, un appel adressé au rédacteur en chef du plus ancien quotidien haïtien m’a permis de me renseigner objectivement. Répondant à ma question, M. Duval m’a déclaré : « Non, je n’ai pas révoqué M. Bonneau ! »
Mais, il est un fait certain : le secrétaire de Rédaction et éditorialiste, désormais « ci-devant », ne fait plus partie du personnel de Le Nouvelliste, car ayant été acculé à quitter le quotidien où il a milité depuis plus de deux décennies. Aussi ceux qui auraient la velléité d’accuser Frantz Duval de l’avoir mis à la porte se trompent-ils lamentablement. En tout cas, quoiqu’on puisse dire et faire, cela constitue un scandale, qui n’aurait pas dû éclater à mon quotidien de prédilection et impliquant des ouvriers de la presse que j’admire à distance. Pour ma part, je souhaite que soit trouvée une solution permettant de retourner à la situation ante.
Le dossier en résumé
Dans le cadre de l’achat d’armes et d’équipements militaires, au Canada, par le régime d’Ariel Henry, Lemoine Bonneau avait décidé d’intervenir, suite à des interventions, à des radios haïtiennes, de l’ambassadeur du Canada, Sébastien Carrière confirmant le cheminement normal de la commande. Après avoir constaté un retard de plusieurs mois, dans la livraison du matériel, M. Bonneau a jugé opportun de dénoncer cet état de fait, s’en prenant aux décideurs canadiens ne s’étant pas empressé de faire honneur à la commande haïtienne, alors que d’autres pays demandeurs de telle aide, comme l’Ukraine et des États africains bénéficient de la célérité des États pourvoyeurs d’armes. Essuyant un premier refus d’hospitalité au journal dont il fait partie, à son article critiquant le Canda, Lemoine Bonneau a décidé de déballer le dossier à la radio. Lors d’une interview téléphonique avec lui, M. Bonneau a précisé que la situation s’est corsée, voire arrivée au point de rupture après un autre article, également repoussé par la Rédaction du Nouvelliste, dans lequel l’ancien éditorialiste de notre quotidien s’en est pris à des revirements de l’ambassadeur Carrière, par rapport à la livraison, à une date opportune, de blindés. Encore une fois, il s’est réfugié à la radio pour dénoncer, encore une fois, ce qui commençait à prendre l’allure de tergiversations du diplomate. Aussi a-t-il qualifié ce dernier de « menteur ».
Les dirigeants du journal ont trouvé osée la dernière intervention de M. Bonneau, sans doute la prenant pour irrévérencieuse, à l’égard de l’ambassadeur canadien. Dans cette optique, il s’est vu demander de présenter « des excuses » à M. Carrière.
Trouvant cette demande mal venue, en sus d’être humiliante, ou encore contraire au fonctionnement d’une presse indépendante, Lemoine Bonneau a réagi en par adressant sa lettre de démission à Max Chauvet, directeur administratif du Nouvelliste, qui s’est empressé de répondre par lettre à celui-là acceptant sa décision. Voilà, Bonneau out ! Un coup terrible est assené à la liberté de la presse !
Il est donc à souhaiter que la dernière cartouche n’ait pas encore été tirée dans cette affaire. Car il y a fort à parier que les critiques, même isolées et silencieuses, ne seront pas tendres envers notre Nouvelliste.
À Haïti-Observateur le droit d’expression (plume ou gueule) n’est pas négociable !
De toute évidence, cette situation impliquant une entité gouvernementale étrangère ne doit pas être prise à la légère. Non seulement elle expose la faiblesse de la presse haïtienne, par rapport aux décideurs politiques et diplomatiques, nationaux et internationaux, il met en évidence l’hypocrisie de certains pays se faisant passer pour bastions de la liberté de presse. Étant la cause de ce scandale, au Nouvelliste, l’ambassadeur Carrière aurait dû intervenir pour éviter la consommation de la démission de Bonneau, sinon produire la demande de rejeter sa
lettre de démission. Faut-il donc lui rappeler que, dans son pays, personne n’oserait demander à ce qu’un journaliste fasse des excuses, sous peine d’être banni de La Presse ou de Le Devoir, pour avoir critiqué une autorité gouvernementale, judiciaire, parlementaire ou policière ?
Dans le cas qui nous concerne, si M. Carrière se trouvait au Canada, il aurait sollicité du journal auquel est lié le journaliste reproché un droit de réponse, afin de présenter sa version personnelle sur le dossier en question. Sinon, la Rédaction du journal se serait chargée elle-même de la responsabilité de présenter ses points de vue aux antipodes des idées véhiculées par ce rédacteur.
À Haïti-Observateur, des situations similaires se sont présentées, au moins à quatre reprises. Mais le principe établi, au nom de la démocratie, nous a per mis de sortir en beauté de ces crises : Le droit d’expression (plu me ou gueule) n’est pas négociable.
En effet, les premières contradictions ayant éclaté à H-O remontent à l’année 1991, avant la prestation de serment du président élu Jean-Bertrand Aristide. Deux rédacteurs avaient, l’un après l’autre, soumis, pour publication, des textes encensant, sans retenue, ce dernier. Leurs articles étaient publiés intégralement, sans poser de questions. Par contre, pour chacun de ses documents soumis à la Rédaction, je soumettais également des textes prenant le contre-pied des arguments de ces collaborateurs, qui ne s’attendaient pas, du reste, à lire de sitôt (dans les mêmes éditions) des réponses appropriées.
Il n’y a jamais eu de rupture, excepté quand était venu le moment de répondre à l’appel à collaboration qui leur fut adressé par le nouveau chef d’État.
D’une manière générale, les collaborateurs d’H-O étaient idéologiquement proches de la Rédaction du journal. Aussi la situation décrite ici devait-elle attendre vingt-sept ans pour se déclarer encore.
Un rédacteur, qui travaillait en équipe avec des PHTKistes, présentait des articles élogieux sur Michel Martelly quasiment du rant tout son quinquennat. Sachant que le journal avait décrété la permanence, par rapport à nos critiques de ce dernier — et pour cause — aucune objection n’avait jamais été opposée à leur publication. Le mandat de Sweet Micky terminé, le même journaliste s’ était mis au service de Jovenel Moïse, passant le plus clair de son temps à attaquer avec virulence tous ceux qui osaient critiquer ce dernier. Encore une fois, la Direction lui laissait les coudées franches, jusqu’à ce qu’il eut dépassé notre seuil de tolérance. Dans son dernier texte, consacré à la défense de Jovenel Moïse, il s’était montré d’une virulence inquiétante, au point d’engager les intérêts du journal.
Là encore, son texte ne fut pas repoussé. Hospitalité lui fut régulièrement accordée. Mais un texte responsif fut également publié dans la même édition du journal. Sans tenir compte que son article, super agressif, à l’égard de tiers, a été véhiculé, comme d’habitude, dans H-O.
Dans de telles conditions, il décida de cesser de présenter de textes pour publication.
Aucun doute, au Nouvelliste, la Rédaction n’a pas d’autorité pour révoquer un membre du personnel, une prérogative qui appartient à l’administration. Mais acculer Lemoine Bonneau à la démission, c’est le mauvais choix !
L.J.