LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION SE DIRIGE-T-ELLE SUR HAÏTI par Léo Joseph
- Les biens du sénateur dominicain saisis
- Quel sort attend les dirigeants haïtiens ?
Les autorités haïtiennes continuent de faire la sourde oreille par rapport à la lutte contre la corruption en cours en Amérique latine, en Afrique, en Asie et ailleurs dans le monde. Jovenel Moïse et ses alliés dilapidateurs du fonds PetroCaribe ont d’autres chats à fouetter que de s’émouvoir outre mesure de l’affaire PetroCaribe. Pour eux, les USD 3,8 milliards $ détournés de ce compte ne valent pas toutes ces histoires que font les citoyens qui demandent que la justice s’empare sérieusement du dossier, afin que soient jugés et punis les voleurs au col blanc qui ont perpétré ce crime. Mais il semble que, soudain, tout le gratin de la classe politique, sous Préval, Martelly et même Moïse ont de bonnes raisons de s’inquiéter.
En effet, si, en République dominicaine, le richissime sénateur a su contourner la justice et protéger ses biens mal acquis, il s’est heurté à la justice américaine qui a mis en branle les grands moyens contre lui : ses biens, meubles, immeubles et comptes en banque sont saisis parles autorités américaines. Le puissant sénateur dominicain est accusé de corruption, dans le cadre du double scandale Odebrecht et PetroCaribe.
En ce qui concerne PetroCaribe, Félix Bautista Rosario est sanctionné par la justice américaine pour avoir volé ces fonds, en complicité avec les plus hautes autorités haïtiennes, notamment les ex-Premier ministres haïtiens Jean-Max Bellerive et Laurent Salvador Lamothe. Pour qui s’agit d’Odebrecht, il serait impliqué dans une vaste opération de pots de vin à des parlementaires et ministres dominicains qui ont bénéficié des millions de dollars en échange de juteux contrats de construction, en République dominicaine.
En effet, l’Office chargé du contrôle des biens de citoyens étrangers au Département des Finances des États-Unis (cigle anglais OFAC) a annoncé que cette mesure a été prise à l’encontre de M. Bautista ainsi que du général cambodgien Hin Bun Hieng, ce dernier accusé de faire partie d’une entité impliquée dans la violation des droits humains, selon l’Ordre exécutif (EO) 13818 visant ceux engagés dans la corruption.
Le communiqué diffusé à cet effet fait état de cinq sociétés contrôlées et possédées par Bautista qui sont tombées sous le coup de cette décision. Dans une déclaration faite par Sigal Mandelker, ministre des Finances adjoint pour le terrorisme et l’intelligence financière, « Les États-Unis continueront d’utiliser Global Magnistsky et d’autres autorités disponibles pour s’assurer que les acteurs corrompus et les violateurs des droits humains ne peuvent utiliser notre système financier en vue de permettre et
de supporter leurs odieuses activités et exploiter les innocents ».
Le sénateur Bautista exposé par la justice américaine
Quant on prend connaissance du rapport détaillé sur les activités professionnelles du sénateur dominicain par le ministère des Finances américain, on ne peut que conclure que les responsables haïtiens, qui ont été partie prenante des magouilles de Félix Bautista, sont aussi dans le collimateur de la Justice des États-Unis.
Dans le document publié sur le sénateur dominicain, celui-ci est décrit comme suit : « Bautista est un sénateur de la République dominicaine impliqué dans des actes de corruption considérables, en République dominicaine et Haïti, et qui a été accusé publiquement de blanchiment d’argent et de détourne- ment de fonds. On rapporte que Bautista a participé aux activités liées aux pots de vin, en tant que sénateur, et on prétend qu’il a donné dans la corruption en Haïti. Là, il a utilisé ses contacts
en vue d’obtenir des contrats de travaux publics, afin d’aider à la reconstruction d’Haïti, après plusieurs désastres naturels, y compris un cas où sa compagnie a touché USD 10 millions $ pour des travaux qu’elle n’a pas complétés ».
Dans une action connexe, l’OFAC a identifié cinq sociétés appartenant à Félix Bautista, et qu’il contrôle. Ils’agit de : Constructora Hadom SA, Soluciones Electricas Y Mecanicas Hadom S.R.L., Seymeh Ingenieria SRL, Immobiliaria Rofi S.A. et Constctora Rofi S.A.
Qu’en est-il des associés en Haïti de Bautista ?
Dans les milieux proches du ministère des Finances américain, on laisse savoir que les autorités judiciaires américaines suivaient de près les procès qui ont été intentés en République dominicaine contre le puissant sénateur et que les Américains avaient toujours lié le cas de ce dernier aux autorités haïtiennes, en tout premier lieu Jean-Max Bellerive. Car, ont révélé ces mêmes sources, si Bellerive était le premier à s’allier aux activités illicites de Bautista, Laurent Lamothe a vite pris la place de son prédécesseur dès qu’il devint, d’abord ministre de la Coopération externe et chancelier en même temps. Par la suite, ayant accédé au poste de Premier ministre, il n’avait pas déposé son chapeau de ministre de la Coopération externe. Ceci pour avoir les coudées franches pour mener ces transactions et activités illicites avec Félix Bautista. Grâce aux interventions de Bellerive et de Lamothe avec leurs alliés, au sein des gouvernements Préval-Bellerive, puis Martelly-Lamothe, les firmes de construction de Félix Bautista avaient touché un fort pourcentage du coût des travaux avant même d’avoir commencé les ouvrages.
Au département de la Justice des États-Unis, où l’on suit de près la trajectoire des mil- lions de Bautista et la fortune des hommes au pouvoir en Haïti, on tient pour une vérité de la Palisse que les firmes de construction du sénateur dominicain ayant décroché les contrats de construction n’auraient jamais pu encaisser ces millions sans l’implication des autorités haïtiens dans ces transactions malhonnêtes.
On affirme, dans des milieux autorisés, aux États-Unis, que les décideurs américains suivent avec beaucoup d’intérêt ce qui se passe en Haïti avec le dossier PetroCaribe, tout comme ils suivaient les inculpations suivies des procès qui avaient été menés contre le puissant sénateur dominicain.
En clair, les dernières mesures prises contre Bautista ne sont pas issues de rien. Autant dire, on ne devrait pas s’étonner d’entendre sous peu que des décisions spectaculaires soient prises, en guise de « mesures conservatoires » à l’encontre des personnalités épinglées dans les deux rapports du Sénat dont les enquêtes ont été pilotées tour à tour par les sénateurs Youri Latortue et Évalière Beauplan.
On est en mesure de rapporter aussi que Jovenel Moïse se trouve dans les lunettes de la justice américaine, surtout suite au vote d’abstention d’Haïti à l’OEA, la semaine dernière, qui avait pour objectif d’expulser le Venezuela de l’organisme régional.
Signalons que la communauté internationale tient la dragée haute à Moïse en guise de sanctions dans le dossier blanchiment d’argent dont le président haïtien est accusé. Jovenel Moïse et son équipe prétendent ne pas comprendre les signaux envoyés par les bailleurs de fonds traditionnels d’Haïti. Car, tant que l’inculpation pour blanchiment d’argent, qui reste suspendue comme une épée de Damoclès sur la tète du président haïtien, n’est pas résolue, les problèmes d’argent qui tracassent Nèg Bannann nan persisteront.
Mais il semble que Moïse commence à comprendre. Quand, à son retour du Canada, où il a assisté au dernier sommet des G-7, il a déclaré : « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts », il a lâché un cri du cœur. Mais il continue à faire le marronnage, quand il invite tout un chacun à prendre ses responsabilités en vue de sauver le pays. Car, dit-il, c’est une responsabilité qui incombe aux Haïtiens, qui doivent se mettre ensemble « pour sauver notre pays ». Car, dit-il, les étrangers ne le feront pas à notre place.
Mais, le marronnage persiste ! Car Jovenel Moïse n’a pas encore dit les mots magiques : régler ses problèmes personnels avec la justice; et donner carte blanche aux autorités compétentes pou qu’elles résolvent l’affaire PetroCaribe.
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 13 juin 2018 et se trouve en P. 1, 14 à cette adresse : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2018/06/H-O-13-June-2018-2.pdf