L’ingérence mal gérée des politiques états-unisiennes envers Haïti, l’heure du mea culpa !
- Éditorial
Voilà déjà plus d’un siècle qu’a été initiée l’ingérence des États-Unis en Haïti, commencée avec l’envahissement du pays, le 28 juillet 1915, suivi de son occupation, qui a pris fin le 1er août 1934. Bien que d’autres pays de l’hémisphère, comme la République dominicaine et le Nicaragua, aient été infligés le même traitement, Haïti, État créé sur le tombeau de l’esclavage, dont la France, plus que tous les autres royaumes esclavagistes, exerçait sans merci, a payé chèrement le prix. La première République noire du monde devait payer son effronterie au prix de l’humiliation. Se faisant le vengeur de l’abolition de l’esclavage, les Américains ont exprimé cette politique, sous toutes formes, à l’avantage de sa diplomatie et à sa politique internationale. Jusqu’aux déboires qu’ils essuient présentement avec Ariel Henry.
Si, dans un premier temps, les États-Unis avaient, parfois, du fil à retordre avec des politiciens haïtiens rebelles, se disant nationalistes, dans leur gestion de la politique d’interférence américaine, dans les affaires internes d’Haïti, les choses ont bel et bien changé avec la mort de François Duvalier. Avec l’installation de Jean-Claude Duvalier, le fils de ce dernier, comme président à vie, l’ère annonciatrice d’une nouvelle classe de politiciens « plus dociles », par rapport aux tendances hégémoniques des Américains envers Haïti, s’annonçait. Après une longue période de « vache maigre » imposée par les États-Unis, ayant réduit l’aide étrangère au strict minimum, en représailles à l’inflexibilité politique et diplomatique de Duvalier père, son successeur trouvant les caisses de l’État vides, était disposé à tout faire pour que soit ouverte la vanne des millions.
La coopération haïtiano-américaine continuait, plus intensément avec les États-Unis, à la chute de fiston Duvalier, puisque les nouvelles équipes parvenues au pouvoir, avides de millions et de pouvoir, s’adaptent aux besoins des décideurs américains. Des deux administrations de Jean-Bertrand Aristide à celles de René Préval, en passant par Joseph Michel Martelly et Jovenel Moïse, ainsi que les administrations intérimaires, c’est l’harmonie parfaite. Au point que suite à l’assassinat de Jovenel Moïse, le Département d’État ignorant la volonté du peuple et le prescrit de la Constitution haïtienne, s’est cru autorisé à imposer une administration hybride à Haïti. Voilà un Exécutif à deux têtes, président et Premier ministre en une seule et même personne, désigné par le CORE Group, ce syndicat d’ambassadeurs occidentaux installé à Port-au-Prince, sous la dictée des États-Unis. Les diverses protestations de citoyens haïtiens lancées contre cette violation des droits de notre pays sont restées lettre morte.
Dans les rues de la République, tant à la capitale que les villes de province, le peuple haïtien vocifère sa colère contre les actions du syndicat diplomatique et ceux dont ces derniers exécutent les ordres. Tout est ignoré. Même mépris infligé aux protestataires intervenant dans les journaux. Telle est l’attitude des protecteurs-dirigeants d’Ariel Henry durant ses 32 mois à la primature, multipliant les rencontres inter-haïtiennes, à la recherche d’un consensus sur un accord pour arriver à une sortie de crise, tantôt en Haïti, plus tard dans les capitales des pays de la CARICOM. Mais ces réunions, sous la supervision des États-Unis ont toujours débouché sur le néant. En effet, pendant que nous rédigeons cet éditorial, un autre sommet des tuteurs étrangers concernant l’avenir d’Haïti se déroule à la Jamaïque, où le Secrétaire d’État américain, Antony Blinken est à l’honneur.
Puisque cette réunion vise à trouver une formule visant quoi faire pour apporter une réponse aux gangs qui ont envahi la capitale, on notera que l’instauration des gangs armés, a été entamée sous Michel Martelly, a continué avec Jovenel Moïse et s’est accrue inexorablement avec Ariel Henry, ainsi que l’importation d’armes et de munitions des ports de Miami, aux États-Unis, qui continuait d’aller son bon train, sans désemparer. Au fort des affrontements des forces de l’ordre avec les bandits armés ayant, trop souvent, abouti à la mise en déroute de celles-là, le Dr Henry et son équipe, comme son prédécesseur, d’ailleurs, n’ont pas pris au sérieux ces épisodes sanglantes. La mise en garde d’Haïti-Observateur, qui avait été lancée depuis avant l’arrivée du neurochirurgien à la primature, attirant l’attention sur le danger d’une éventuelle coalition des gangs armés voulant s’emparer du Palais national, le siège du pouvoir, n’a causé la moindre émotion au sein de l’administration du Dr Henry. Non plus chez ses tuteurs, qui l’ont placé à la tête du pays. Alors, l’on comprend bien pourquoi, dans l’opinion publique, en Haïti, d’aucuns accusent la communauté internationale et l’équipe au pouvoir d’être des alliés des malfrats, kidnappant contre rançon, tuant, volant, violant et imposant leur loi sur les citoyens, en sus d’occuper 80 % de l’espace de la capitale haïtienne, selon un rapport de l’ONU.
Alors, on se pose la question de savoir comment les criminels armés en sont-ils arrivés à contrôler le pays, jusqu’à mettre la Police en déroute, forçant Ariel Henry à solliciter des forces étrangères à la rescousse, pour mater les gangs armés qui, en tout dernier lieu, ont fait du premier ministre de facto un refugié ambulant, ne pouvant retourner au pays. Comme on l’a déjà dit, les gangs armés n’ont pas évolué jusqu’à ce point, du jour au lendemain.
En effet, les précurseurs des gangs armés ont vu le jour après le retour d’exil, à Washington, du président Jean-Bertrand Aristide, sous la protection de 24 000 soldats américains déployés à cette fin par le président Bill Clinton. Dans l’objectif de régler les comptes à ses ennemis, réels ou présumés, le prêtre-président créa les organisations populaires dans divers quartiers de Port-au-Prince. Parallèlement, dans le cadre de l’instauration de la nouvelle force de Police, par la Mission onusienne, appelée à remplacer les Forces armées d’Haïti (FAd’H), M. Aristide imposait, sans vetting (enquête de sécurité), plusieurs candidats aux autorités onusiennes, comme futurs membres de la nouvelle force de Police. Aussi, à l’intérieur de la nouvelle force de sécurité, Aristide avait ses tueurs, et dans les quartiers populaires il disposait de ses assassins au sein de gangs officiels dénommés « Chimères ».
Si François Duvalier et fiston Duvalier (Jean-Claude) avaient leurs tontons-macoute pour exécuter leurs basses œuvres, Jean-Bertrand Aristide pouvait compter sur ses tueurs, au sein de la Police; et parmi les organisations populaires, qui tuaient sous les ordres du ministre de l’Intérieur d’alors, Mondésir Beaubrun.
Les assassins de Duvalier affichaient une certaine délicatesse, dans l’exécution de leurs crimes, kidnappant les victimes, qui sont tués loin des yeux du public. Tandis que les tueurs d’ Aristide agissent en plein jour, souvent bloquant le trafic pour coincer les véhicules de leurs proies. Parmi celles-ci figuraient, par exemple, le journaliste Jean Léopold Dominique, abattu dans la cour de sa station de radio, Haïti-Inter; l’avocate Mireille Durocher Bertin, criblée de balles en plein midi avec son client Baillergeau; et le pasteur Emmanuel Leroy, pour ne citer que ceux-là.
Les autorités américaines n’ignoraient pas les crimes commis sous Aristide. Prenons, par exemple, le cas de Mme Bertin, dont a été informé le commandant militaire des forces militaires américaines, dénonçant l’assassinat de celle-ci par le ministre de l’Intérieur d’Haïti, Mondésir Beaubrun.
Les gangs armés se sont épanouis pour devenir cette force qu’ils sont aujourd’hui, sans inhibition, car rien n’a été fait pour empêcher leur développement. Les autorités n’ont rien fait pour les mettre hors d’état de dépasser la Police. Au contraire, l’ONU a contribué` à leur développement en favorisant leur fédération.
Pour n’avoir rien fait pour éviter la montée des bandits mettant la Police en déroute, les États-Unis se trouvent dans l’obligation de faire la diplomatie dans la rue, dans la gestion de la crise d’Ariel. D’aucuns diraient que le Département d’État lave son linge sale en public. N’est-ce pas une humiliation pour cette super-puissance, qui se voit dicter sa politique par un ramassis de gens méprisables ? Les Américains ont juré de ne pas déployer leurs forces en Haïti pour ramener Ariel Henry, qu’ils avaient installé à la primature, alors qu’ils ont été forcés d’évacuer le personnel non essentiel de leur ambassade, en pleine nuit, pour éviter de mesurer leurs forces avec les criminels qui font la loi en Haïti, à l’encontre du peuple haïtien. Cela aurait pu tourner différemment, si la Constitution haïtienne n’ait été violée avec tant d’effronterie, dans le choix d’Ariel Henry comme Premier ministre; et que la voix du peuple haïtien dénonçant la violation de ses droits n’ait été méprisée sans aucune retenue.
Après plus d’un siècle de politique et de diplomatie américaine de mépris et d’humiliation, à l’encontre d’Haïti, la force des choses rend aux États-Unis la monnaie de sa pièce. Cela signifie qu’il est temps de changer la politique et la diplomatie scélérates envers Haïti.
- Editor
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur édition du 13 mars 2024 New York, VOL. LIIII, No.4 et se trouve en P.10 à : h-o 7 fevrier 2024