Naissance de la populations noire en Amérique
- BLACK LIVES MATTER par Frantz Célestin
Avant 1503, il n’existait pas d’individus de race noire en Amérique. Il n’y a rien d’anormal qu’aujourd’hui, les anciennes colonies européennes se composent d’ une mosaïque des quatre races humaines qui sont, selon certains auteurs : la race des Noirs, celle des Blancs, celle des Rouges (Amérindiens) et celle des Jaunes (Asiatiques). Cependant, on ne peut s’empêcher de se choquer, de crier : «ô racisme! » et de condamner l’injustice qui s’inscrit à l’origine du débarquement, en 1503, des tous premiers contingents de Noirs victimes des rigueurs de la «traite transatlantique». Cette injustice consiste en une décision arbitraire et, répétons-le, raciste prise principalement par deux monarques espagnols de race blanche : la reine Isa belle la Catholique et le roi Ferdinand II d’Aragon.
À un moment donné, il était évident que les indiens (de race rouge) étaient en train de se décimer en raison des labeurs exténuants auxquels ils étaient astreints dans les mines d’or. En vue d’éviter leur extermination complète, les deux monarques espagnols décidèrent de les libérer de la servitude. En conséquence, ces derniers autorisèrent les négriers espagnols de s’emparer des Noirs d’Afrique, de les réduire en esclavage, de les transporter à Hispaniola et de les soumettre aux travaux forcés pour remplir le vide laissé par les Amérindiens.
Rappelons qu’en 1492, Christophe Colomb entendait réaliser un rêve audacieux, celui de naviguer tout droit de l’Est à l’Ouest sur l’Océan Atlantique pour ainsi, arriver sans détour du continent européen jusqu’aux Indes orientales. Il entendait créer ainsi un raccourci pour simplifier un tel voyage qui jusqu’alors était très long. Du même coup, il voulait amplifier les relations commerciales entre l’Europe et ces régions de l’Asie qui étaient très riches en épices.
Après avoir obtenu l’aide de certaines personnalités espagnoles le navigateur d’origine génoise prit la mer le 3 août 1492. Et, selon Steven Marlowe, après environ 70 jours de navigation, il était rendu, avec ses hommes : «Là où jamais navire n’était allé depuis le commencement des temps».
A leur grande surprise, ils y ont découvert des terres et un nouveau type d’êtres humains qu’on n’avait jamais vus jusque-là.
Sans scrupule, Colomb prit vite possession de tout. Tandis qu’à son arrivée, les lieux s’appelaient «Haïti, Quisqueya ou Bohio», le génois remplaça aussitôt ces noms par «Hispaniola» (Petite Espagne). Aux gens rencontrés sur les lieux, il donna le nom, d’Indiens parce qu’il croyait atteindre les Indes. Pourtant, c’était erreur car cet endroit, à cette époque, complètement ignoré du reste du Monde, se trouvait en réalité, loin des Indes.
Compte tenu de sa forme, cette nouvelle portion de terre allait être, plus tard, reconnue, comme un cinquième continent à côté de l’Europe, l’Asie, l’Afrique et l’Océanie. Elle aura pris le nom d’Amérique. Ce nouveau monde abondait en or et les Européens, cupides au maximum, n’en demandaient pas mieux. Ils tenaient à s’enrichir au plus vite et sans effort. Pour cela, ils choisirent d’opprimer les indiens et de les réduire en servitude. Les uns d’entre ceux-là furent astreints à travailler dans les mines d’or ; les autres accomplissaient un labeur plus que contraignant dans les plantations de canne à sucre, de coton, de tabac et de café. Ainsi, ces autochtones ne résistèrent pas longtemps.
Car, en plus d’être de nature délicate, ils devaient lutter contre une sévère épidémie de variole qui, en peu de temps, coûta la vie à plus de deux cent mille personnes. Il s’ensuivit alors une pénurie de main d’œuvre. Dans les circonstances, la reine d’Espagne, Isabelle la Catholique fut frappée de pitié pour ce peuple (de race rouge). En 1496, elle ordonna à Christophe Colomb de procéder à la suppression totale et entière de l’esclavage de ces Amérindiens. Cependant, cette décision ne concernait que ces derniers ; elle n’incluait point les Noirs.
La conséquence en est que les nègres allaient devoir écoper. Car, en 1501, les dignitaires espagnols ont fini par donner raison au prêtre dominicain Bartolomé de Las Casas qui réclamait, sans ces se, que des Nègres africains soient importés pour venir travailler dans les colonies à la place des Amérindiens. Du même coup, Colomb qui avait une tendance tant soit peu mitigée à protéger les Indiens, tombait en disgrâce auprès de la Cour d’Espagne.
Nicolas Ovando, son successeur, en profita pour implanter le système d’esclavage des Noirs à Saint-Domingue. Pour cela, il s’agissait d’arracher des jeunes gens de leur terre d’Afrique et de les entasser dans des conditions in humaines pour les transporter, de force, dans les colonies. Le premier contingent de ces noirs qui se faisaient sauvagement kidnappés dans leurs villages natals et mis en situation d’esclavages arriva dans le Nouveau-Monde en 1503.
Une fois pris, ces jeunes se faisaient jetés dans des bateaux et dans très mauvaises conditions ont traversé l’Atlantique dans toute sa largeur de l’Est à l’Ouest pour aboutir à des terres lointaines et inconnues. Ce nouveau type d’esclavage auquel ils étaient soumis et instauré dans les circonstances est connu sous plusieurs appellations comme «Traite des Noirs» ou «Traite transatlantique», ou «Traite intercontinentale»… C’était un système bien plus horrible que celui qu’on connaissait déjà et qui existait même depuis la période d’avant Jésus-Christ. Cette traite transatlantique trouvera son ampleur quand plus tard, en 1518, l’empereur Charles-Quint déclara léga les la «Traite négrière» ou «Traite des Noirs» ainsi que la pratique de l’esclavage.
L’esclavage
Il nous arrive souvent de lire ou de prononcer les termes «esclave», «esclavages». Le commun des mortels croit comprendre ce que c’est que l’esclavage. Toute fois, à bien y penser, ne sont-ils pas rares ceux qui peuvent affirmer qu’ils sont vraiment conscients de ce que représente la situation d’une personne en état d’esclavage ?
Dans un texte qu’elle a publié sous le titre de «Liberté : Qu’est-ce qu’être esclave», Maryse Emel cite Aristote qui écrivait :
«L’esclave est sous la domination du maître (dominus) qui l’utilise comme un outil utile à la satisfaction de ses besoins… Réduit au statut d’objet, l’esclave ne saurait être un homme. Dépossédé de lui-même (et de ce tout qu’est son corps) l’esclave est aliéné, étranger exclu de sa propre humanité».
Pour sa part, le dictionnaire de politique La Toupie, définit «l’esclavage» comme étant :
«L’état d’une personne qui se trouve sous la dépendance absolue d’un maître qui a la possibilité de l’utiliser comme un bien matériel. Il est la privation de la liberté de certains hommes par d’autres hommes, dans le but de les soumettre à un travail forcé, généralement non rémunéré. Juridiquement l’esclave est considéré comme la propriété de son maître. A ce titre, il peut être acheté, loué ou vendu comme un objet».
La «Traite des Noirs»
Ce type de traite se déroula entre le XVe et le XIXe siècle. Dès le départ, elle atteignit une proportion énorme et le déplacement des victimes se faisait plutôt du continent africain au continent américain. Renault-Darget rapporte que durant les quatre siècles qu’elle exista, entre douze et quatorze millions de personnes dont le tiers était des femmes se sont vues, malgré elles, arrachées à l’Afrique, leur terre natale et transportées, sans espoir de retour, vers les colonies européennes du Nouveau-Monde.
Cette «Traite des Noirs» ou «Traite transatlantique» comportait une caractéristique particulière en ce sens que tous les esclaves hommes, femmes et enfants qui en faisaient partie, étaient essentiellement, de race noire. Ceci permit à Morenas, d’opiner :
«L’être noir était si souvent vu en état de servitude qu’il devint l’image de l’esclavage».
L’écrivain L. Sala-Molins, pour sa part, rapporte :
«Une fois achetés, les captifs étaient étampés soit sur l’épaule, soit sur le sein, ou sur la fesse ou encore sur le flanc avec le sceau ou les initiales de leur nouveaux maîtres. Ils subissaient ce supplice autant de fois qu’ils changeaient de propriétaires».
Et de son côté, César Pulvar décrit sommairement, la première étape qui consistait à arracher les jeunes de leur terre africaine pour les transplanter dans les colonies. Il écrit :
«À la tête d’une petite expédition, vingt hommes et une dizaine de nègres porteurs ou guides, il remonte au chaland le cours inférieur de l’Ogové. Son but est d’effectuer une razzia sur l’un des villages pahouins qui longent la rive gauche du Congo, où on est sûr de trouver de superbes pièces d’inde».
Par cette expression : «Ces superbes pièces d’Inde», il faut entendre les vaillants jeunes Africains. Une fois capturés, ils étaient conduits vers la rive pour être vendus. Et Gaston Martin affirme :
«De peur qu’ils s’évadent, les gardiens les retenaient enfermés, nuit et jour, à l’intérieur de LA MAISON DES ESCLAVES aménagée en de multiples locaux incroyablement étroits sur Ile de Gorée, une petite île déserte et isolée au milieu de l’Océan».
L’île de Gorée se trouve dans la baie de Dakar et à une vingtaine de minutes de la ville de ce même nom qui est la capitaine du Sénégal. Évidemment, la MAISON DES ESCLAVES était une prison qui dégageait constamment une mauvaise odeur, mais une odeur pas à peu près nauséabonde. Car, elle n’était pas souvent nettoyée et c’était à cette seule et unique place où l’hygiène n’était pas au rendez-vous, qu’ils faisaient tous leurs besoins. Ils y dormaient ; ils y mangeaient, ils y faisaient «pipi», ils y faisaient «caca»… Cette révélation trouve sa corroboration dans plusieurs documents inédits.
Voilà dans quelles conditions vivotaient ces pauvres Noirs à l’intérieur de cette grosse baraque où ils demeuraient jusqu’au jour où ils devaient emprunter une minuscule porte spéciale, à peine large pour laisser passer une personne. Cette porte débouchant directement sur l’Océan, s’appelait : «la porte du voyage sans retour».
Dans le bateau
Avant d’entrer dans le bateau, ils recevaient de force, le sacrement du baptême de la part d’un prêtre catholique qui ne tenait aucunement compte de leur allégeance religieuse. De plus, de la façon la plus arbitraire qu’on puisse imaginer, ils se voyaient dévêtus, malgré eux, du nom que, selon leur culture et leur conviction religieuse, leurs parents leur avaient donné à leur naissance. Ainsi, dorénavant, ils devaient plutôt répondre à un prénom à consonance chrétienne suivi généralement du nom de famille de leurs maîtres respectifs.
Lorsque c’était le temps pour eux de monter sur le négrier, ils étaient attachés deux à deux, par des chaines, aux chevilles. Les récalcitrants étaient, en plus, entravés aux poignets. Une fois à bord, ils étaient installés dans la partie qui s’appelait «l’Entre pont» et étaient entassés, dit-on, «en cuillère» par soucis de la part des armateurs ou négriers, d’économiser de la place. De plus, Ils étaient dépouillés de leurs vêtements en prévision de maladies.
Chaque matin, ils montaient sur le pont du bateau. Après vérification des fers, ils recevaient de la part de l’équipage un bain d’eau de mer. Deux fois par mois, on leur rasait la tête. Leur nourriture consistait en un bouilli de légumes, de riz, de maïs, d’ignames, de bananes et de manioc. À la fin de la journée, aux alentours de 17 heures, ils retournaient dans l’Entrepont pour la nuit. Autant dire que les conditions de cette «traite négrière» étaient plus qu’abominables.
C’est pourquoi, malgré toutes les mesures adoptées en vue de prévenir les maladies, on ne pouvait que déplorer un taux vraiment trop élevé de mortalité durant les traversées. Seulement au XVIIIe siècle, la moyenne de décès était de 15%. Cela signifie qu’entre le XVIe et le XIXe siècle, sur les 12.500.000 malheureux qui ont été arrachés de force de leurs patelins africains, presque 2.000.000 ne parvenaient pas à atteindre vivants les côtes de la colonie. À leurs décès, les cadavres étaient tout simple ment lancés par-dessus bord.
La traversée de l’océan
La traversée de l’Océan s’appelait «Middle Passage», c’est-à-dire «Passage du Milieu» car durant le voyage, les esclaves ne se tenaient, essentiellement, ni dans la cale, ni sur le pont du négrier mais, surtout durant la nuit, dans l’Entrepont.
Morenas décrit ainsi ce qu’on pourrait qualifier de système d’arrimage :
«Les enfants étaient séparés de leur mère, ainsi que les hommes, des femmes. Ils étaient enchaînés deux par deux et alignés, couchés nus à même le sol, sur un espace de 5 pieds 1 pouce de long et d’un pied 2 pouces de large sur des hauteurs plus ou moins élevées». Ils ne pouvaient même pas se tenir assis. C’est moins d’espace qu’un homme mort n’en occupe dans un cercueil».
La cale du Négrier était réservée pour l’entreposage de l’eau potable et de la nourriture prévues pour le temps du voyage qui du rait entre deux et trois mois. L’effectif de l’équipage s’élevait en moyenne au nombre de 45 membres et 600 esclaves. Il fallait environ 140 000 litres d’eau et 26 000 kilos de vivres alimentaires pour les besoins de la cause. Mal gré tout, la nourriture qui, souvent était loin d’être fraîche, ne suffisait pas toujours pour assouvir la faim des captifs.
L’arrivée
Une fois rendus en rade du Nouveau-Monde, les bateaux négriers observaient la quarantaine. Toute circulation entre la terre ferme et le navire était interdite. Durant ce temps, les autorités compétentes prenaient les mesures pour éviter toute épidémie. Le chirurgien de l’équipage s’en tenait au phénomène dit de «blanchissement» qui consistait à dissimuler les éventuels problèmes de ces Nègres tandis que les propriétaires négriers les «lavaient, les coiffaient et les habillaient», comme il fallait, en vue du débarquement prochain.
Ces dernières informations se confirment amplement quand on considère le rapport suivant tiré du Journal de la Traite des Noirs. Textuellement, ce rapport indique ce qui suit :
«Début mars 1733, nous quittâmes la Guinée après avoir obtenu en tout quatre cent quarante-trois esclaves ; mais au mo ment du départ, quatre-vingt-dix d’entre eux étaient morts. Le 7 mai, nous arrivâmes à Saint Thomas (aux Antilles). Remercions le Seigneur pour sa miséricorde ! Il ne restait plus que deux cent quarante-deux esclaves à bord : on en avait vendu deux sur la côte de Guinée et les cent quatre-vingt-dix-neuf autres avaient succombé. À partir du 7 mars, on perdit un esclave par jour. Ces pertes furent compensées. Dieu soit loué, par les ventes avantageuses. Le bénéfice rapporté par les vivants dépassait largement le coût des dommages subis».
Tel fut le triste décor dans lequel pataugeaient les nègres. Quelles infractions avaient-ils commises pour subir tant de mauvais traitements ? De quoi avaient-ils été accusés ? Avaient-ils comparu devant leurs juges nature ? La réponse à tout cela revient uniquement à dire : «Ils n’avaient rien fait de mal. Leur seul crime, c’était le fait d’être de la race des Nègres»
Inutile de répéter que les traitements qui étaient infligés à ces innocents sans voix s’avéraient plus qu’injustes, plus qu’humiliants, plus qu’inhumains. La violence de ce système esclavagiste atteignait une telle ampleur qu’elle suscita de sérieuses contestations dans plusieurs milieux.
Les résistances individuelles chez les esclaves
Certains historiens révèlent que les esclaves ont rarement essayé de se révolter car, en général, ils ne savaient pas naviguer. De plus, en guise de mise en garde à l’endroit de quiconque en aurait l’intention, la moindre insubordination de la part d’un captif suscitait la sauvagerie extrême des maîtres négriers qui y allaient de féroces tortures. Toujours est-il que plus d’un document témoigne qu’ils étaient nombreux, les esclaves qui ne parvenaient pas à endurer de façon stoïque et passive l’humiliation, l’arrachement total de leur coin de terre, la séparation brutale et complète de leur famille et la grande arrogance dont ils étaient victimes de la part de leurs maîtres.
Ils réagissaient donc, soit en se suicidant, soit en essayant vainement de s’enfuir pour éviter d’être vendus, soit encore en procédant à l’amputation de leur tendon d’Achille ou de leurs doigts de la main droite en vue de manifester leur refus catégorique de travailler. Malheureusement, de tels types de contestations n’aboutissaient bien souvent qu’à des résultats infructueux et malheureux. Car, contre de tels rebelles, les maîtres réagissaient, à leur tour, en leur coupant complètement le pied ou selon le cas, la main. Quant à ceux qui s’évadaient, lorsqu’ils se faisaient rattraper, ils étaient voués sans rémission au supplice de la flagellation.
Depuis l’antiquité, le système de l’exploitation de l’homme noir par l’homme blanc a toujours existé. Depuis tout le temps, l’homme blanc a toujours essayé d’exercer sa supériorité, sa suprématie sur l’homme noir. Quelle tristesse ! Elle est plus que bizarre, cette mentalité selon laquelle quelqu’un puisse s’autoriser à brimer la liberté d’un autre, seulement parce qu’il prétend que celui-ci lui est inférieur à cause de sa race qui est différente. On a beau entendre, on a beau lire, on a beau croire qu’une telle conception a souvent suscité la désapprobation et même la colère de plusieurs personnalités reconnues comme de farouches défenseurs de l’égalité des races. Rien n’y fait !
Plus cela doit changer, plus cela demeure pareil. C’est déconcertant que, en dépit de tous les efforts sans cesse déployés, rien ne laisse poindre à l’horizon qu’un jour viendra que les hommes, quelle que soit leur race, pourront vivre dans une atmosphère d’harmonie et de sérénité fondées sur la franche camaraderie, l’amitié sincère et l’amour du prochain. Pourquoi tant de discrimination, tant de «racisme» ? Pourquoi cette lutte perpétuelle ? Quand et comment pourrons-nous en finir ?
* Frantz Célestin, auteur du livre «Haïti : le colon, le Nègre et l’empereur».
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, New York VOL. L, No. 31 12 août 2020, et se trouve en P.12, 13 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/08/H-O-12-aout-2020-1.pdf