Qu’est-ce qui se cache derrière l’arrestation de Joseph Félix Badio en ce moment ?

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Qu’est-ce qui se cache derrière l’arrestation de Joseph Félix Badio en ce moment ?

UNE ANALYSE Par Raymond A. Joseph

L’arrestation, jeudi 19 octobre dernier, de Joseph Félix Badio est déconcertante, suscitant toutes sortes de commentaires, y compris que cela ferait partie d’une décision en haut lieu de congédier enfin le Premier ministre de facto, Dr. Ariel Henry, du poste auquel il a été nommé par un tweet du syndic d’ambassadeurs occidentaux du groupe CORE à Port-au-Prince, le 20 juillet 2021.

Badio, considéré comme le cerveau derrière l’assassinat, aux petites heures du 7 juillet 2021, du président de facto d’Haïti Jovenel Moïse, se déplaçait librement depuis, bien que pour des raisons de formalité, un mandat de police a été délivré pour son arrestation peu après le magnicide. Puisqu’il se cachait à la vue de tous, vaquant à ses occupations, on se demande pourquoi il a été arrêté, paisiblement, jeudi dernier, alors qu’il faisait ses courses dans un supermarché de Pétion-Ville, cette banlieue huppée de Port-au-Prince ? Le commissaire de police Ernst Dorfeuille, avec des renforts, aurait effectué l’arrestation.

Il est rapidement noté que l’arrestation de Badio a eu lieu alors que son principal protecteur, le neurochirurgien devenu politicien, maintenant Chef suprême en Haïti, portant les chapeaux de Premier ministre et de Président, était à l’extérieur du pays. Comme on l’a signalé, Ariel Henry était au Canada avec les chefs d’État et de gouvernement des 15 membres de la CARICOM qui participaient à un sommet de deux jours à Ottawa, au Canada, à l’invitation du premier ministre Justin Trudeau. À l’issue du sommet, le Premier ministre haïtien s’est envolé pour le Mexique, le vendredi 20 octobre, pour assister à une conférence à l’initiative du président mexicain.

Sans aucun doute, M. Henry a appris l’arrestation de son protégé, tout comme nous tous, lorsque Garry Desrosiers, le porte-parole de la Police nationale haïtienne (PNH), a fait l’annonce, confirmant ce qui était d’abord considéré comme une rumeur, une sorte de blague du poisson d’avril à la mi-octobre. Il est rapporté que même le chef de police Frantz Elbé n’était pas au courant que l’arrestation devait avoir lieu. Est-ce pour cela qu’à son retour en Haïti, le premier ministre a congédié Frantz Elbé? C’est ce que nous avons appris mardi matin. Si c’est vrai, on peut dire que l’intrigue s’épaissit.

Pourquoi tant d’agitations autour de l’arrestation de Badio ?

Certains se demandent pourquoi tout ce tapage autour de cette arrestation ? Eh bien, Félix Badio, qui aurait joué un rôle majeur dans l’assassinat du président Moïse, est un proche du Premier ministre. Le mardi soir 6 juillet 2021, avant l’assassinat, et après l’acte horrible, quelque temps après une heure du matin du 7 juillet, il était en conversation avec Ariel Henry qui avait été nommé au poste de premier ministre par le président assassiné, mais qui n’avait pas encore été assermenté. En fait, il devait être assermenté à ce poste le 7 juillet. Même le New York Times a rapporté, vendredi dernier, qu’il avait mis la main sur les heures des conversations téléphoniques entre les deux hommes. À plusieurs reprises cependant, le Dr. Henry a dit qu’il a parlé à tant de gens ce jour-là, il ne se souvient pas avoir parlé à Badio.

Cependant, l’action parle plus fort que les mots. Depuis qu’il est devenu Premier ministre le 20 juillet 2021, après que le groupe CORE a chassé Claude Joseph, qui avait brièvement assumé le rôle de président, après l’assassinat, Dr. Henry a été le principal protecteur de Félix Badio. À noter que Claude Joseph, ancien ministre des Affaires étrangères et Premier ministre par intérim lors de l’assassinat du président, avait rapidement assumé le rôle de président avec l’aide d’Helen Ruth Meagher La Lime, le représentant du Secrétaire général de l’ONU António Guterres, qui était responsable du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti, connu sous son acronyme français BINUH.

Depuis l’assassinat, il est noté que Félix Badio a, plus d’une fois, rencontré le premier ministre, qui a même facilité son départ clandestin d’Haïti pendant un certain temps. Finalement, il est revenu aussi subrepticement qu’il l’avait laissé et a vécu en Haïti, se cachant à la vue de tous, comme nous l’avons déjà dit, et n’a pas été arrêté comme d’autres accusés d’être impliqués dans l’assassinat. Certains d’entre eux ont été déportés aux États-Unis, où ils ont été jugés. Au moins deux d’entre eux ont été condamnés à la prison à vie pour le rôle qu’ils ont joué. La question troublante demeure donc : pourquoi Badio a-t-il été arrêté, que maintenant ?

Un rôle de Michel Martelly dans l’arrestation de Badio ?

Bien qu’une rumeur circule sur les réseaux sociaux selon laquelle Michel Joseph Martelly, l’ancien président (2011-2016) est celui qui a ordonné au commissaire de police Ernst Dorfeuille d’arrêter Badio, certains croient que l’auto déclaré « bandit légal » dispose encore d’assez de pouvoir, et même le contrôle d’un secteur de la PNH. Mais Haïti est un pays mystérieux et personne ne doute que Martelly influence encore certaines actions au sein même du gouvernement d’Ariel Henry, tout comme il l’a fait au sein de celui de Jovenel Moïse, « l’Homme Banane » qu’il a choisi de le remplacer à sa sortie du pouvoir.

Enfin, pourquoi Martelly ordonnerait-il l’arrestation de Badio en ce moment précis? On dit qu’il l’a fait, surtout pendant qu’Ariel Henry était à l’extérieur du pays, pour se venger du premier ministre qui, selon lui, l’aurait dénoncé aux Nations Unies pour son lien présumé avec des gangs qui ont causé des ravages en Haïti. Apparemment, dans le dernier rapport des experts de l’ONU sur la situation en Haïti, le nom de Martelly apparaît dans la liste de personnes sanctionnées pour usage de gangs dans la perspective de maintenir le pouvoir politique.

Le raisonnement derrière l’action de Martelly serait que l’arrestation de Badio forcera ceux qui poursuivent supposément l’idée de « Justice pour Jovenel Moïse » à ordonner l’arrestation d’Ariel Henry, qui serait également impliqué dans l’assassinat du président.

La communauté internationale peut aussi vouloir que Ariel Henry soit écarté

D’autres pensent que certaines grandes pointures de la communauté internationale peuvent aussi avoir des raisons de se débarrasser du Dr. Henry, après l’avoir soutenu pleinement depuis le premier jour. Cela a à voir, mais reste à confirmer, avec la prochaine intervention étrangère en Haïti, le Kenya ayant offert de prendre la tête avec la participation de 1000 policiers. Depuis lors, quelques pays de la CARICOM, certains d’Amérique latine, ainsi que des États européens et africains ont annoncé leur participation à la force non onusienne qui, néanmoins, a été approuvée par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. À noter que 13 des 15 membres du Conseil ont voté pour, tandis que la Russie et la Chine, disposant du droit de veto, se sont abstenues, mais ne l’ont pas bloqué. On dit que leur abstention a été obtenue parce qu’ils ont reçu la confirmation que le premier ministre ne bénéficiera pas de cette intervention étrangère. En fait, la Chine et la Russie avaient appelé plus tôt à des sanctions de l’ONU contre Ariel Henry.

Pendant ce temps, un gouvernement intérimaire, sans M. Henry, devrait être mis en place, dans lequel la société civile aura une voix déterminante sur la façon dont une force d’intervention aidera à la stabilité du pays à long terme. Il est soutenu qu’il faut trouver une formule pour mettre fin à ces forces étrangères directes ou indirectes de l’ONU, qui ont commencé à arriver en Haïti, avec le MICIVIH en 1993, la MINUSTAH en 2004, la MINUJUSTH en 2017 et le BINUH actuel depuis 2018. Ils ont tous échoué à assurer la stabilité d’Haïti ou à aider le système judiciaire du pays. En fait, la fédération des gangs a été créée en 2020, sous les yeux du BINUH. Et les gangs maraudeurs ont causé la mort et la désolation dans tous les secteurs de la société.

Pourquoi ne pas remobiliser les forces armées haïtiennes ?

Cela met en avant l’idée de remobiliser les forces armées d’Haïti, les FAd’H, détruites avec l’aide de cette même communauté internationale qui a donné carte blanche au Président Jean-Bertrand Aristide pour se venger quand il a été ramené de l’exil, le 15 octobre 1994, sous l’égide de plus de 20 000 soldats américains. En janvier 1995, inconstitutionnellement, Aristide a démobilisé les FAd’H, alors qu’il aurait dû réformer le corps en se débarrassant des mauvaises oranges responsables du coup d’État du 27 septembre 1991 qui l’a contraint à l’exil. Mais après la Seconde Guerre mondiale, l’armée nazie d’Hitler n’a pas été détruite, mais réformée. Idem pour celui de Mussolini en Italie.

Quoi qu’on puisse dire au sujet des FAd’H, pendant qu’elles existaient, il y avait un service de renseignement qui couvrait tout le pays, y compris toutes les villes et les villages, ainsi que la campagne d’Haïti, etc., avec la police rurale et leurs auxiliaires, le « Soukèt Lawouze », le créole pour Dew shakers, qui se levaient tôt le matin à la recherche d’informations sur les affaires locales. Ainsi, tout mouvement indésirable était rapidement détecté et signalé au quartier général de l’armée par la chaîne de commandement, et traité rapidement. Il n’y avait pas de gangs, sauf sous la dictature Duvalier lorsqu’ils ont été officiellement établis. Je parle des individus de type Tontons Macoute Gestapo.

Depuis la dissolution des FAd’H, en janvier 1995, la Police nationale haïtienne a été créée avec l’aide de la communauté internationale. Elle n’a pas été en mesure de sécuriser le terroir. Aucun service de police n’est formé pour faire face à des gangs lourdement armés. Seule une armée peut le faire. Ainsi, une PNH démoralisée et atrophiée ne peut pas résister aux gangs mieux équipés qui contrôlent actuellement environ 90% de Port-au-Prince, la capitale, selon les Nations Unies. Le renforcement de la PNH ne sera pas efficace, car elle est tellement infiltrée de gangs qui soit dit en passant, ont été introduits dans le pays en 1995, par le président Aristide, dont la grande catégorie des Chimères, qui avaient leurs unités distinctives, comme « Lame  Dòmi nan bwa » « Lame ti Manchèt », « Lame Wouj », « Lame Saddam Hussein », « Lame Kanibal », et plus encore.

Ils ont ouvert la voie aux quelque 200 gangs qui sévissent actuellement en Haïti, après avoir reçu un grand coup de pouce lorsque l’auto déclaré « bandit légal » Martelly, avec l’aide de son ancien ministre des Affaires étrangères devenu premier ministre, Laurent Salvador Lamothe, les a dotés d’armes de fabrication introduites via le Canada. C’était le stratagème utilisé pour contourner les États-Unis qui avaient décrété un embargo sur les armes à feu en Haïti. Mais cela a changé depuis, avec presque toutes les armes qui circulent en Haïti portant l’inscription « Made in America ». Alors que les gangs sont facilement ravitaillés avec ces armes, l’embargo sur les armes à feu pour l’armée haïtienne embryonnaire existe toujours. Et, les meurtres de civils et de responsables de l’application de la loi se sont intensifiés.

Quand cessera l’hypocrisie de la communauté internationale envers Haïti ? Nous suggérons que l’arrestation de Badio, suivie de la destitution d’Ariel Henry, soit le premier pas vers un véritable changement, qui entraînerait également une guerre totale contre la corruption et l’impunité à tous les niveaux du gouvernement. Seule une gouvernance capable et honnête dans un Haïti démocratisé permettra le développement du terroir, car un programme de décentralisation sera entrepris pour minimiser l’importance de la République de Port-au-Prince, tandis que la République d’Haïti deviendra une réalité. Je ferme ici mon enquête

cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. LIII, No.38 Édition spéciale Canada du 25 octobre 2023, et se trouve en P.9 à  : special h-o 25 oct 2023

Haïti-Observateur / ISSN: 1043-3783