SUITE À LA PUBLICATION DU RAPPORT BEAUPLAN SUR LE FONDS PETROCARIBE
Un ex-ministre des Finances : Objet d’une enquête fédérale… Par Léo Joseph
[foto illustration. Wilson Laleau.] P. 1, 2
Ceux qui s’imaginaient que la question du blanchiment d’argent, de corruption, de trafic illicite et de dilapidation du fonds Petro-Caribe laisse la communauté internationale indifférente se trompent sur toute la ligne. Selon toute vraisemblance, quand le scandale Petro-Caribe a éclaté et qu’on parlait de la dilapidation de plus de USD 2 milliards $ de ce compte, les autorités américaines avaient mobilisé leurs ressources en vue de suivre la trajectoire des transferts provenant d’Haïti ou manipulés par des personnes haïtiennes, leurs amis et alliés. C’est ce qui pourrait expliquer l’identification de certaines transactions effectués par Wilson Laleau, un de deux ex-ministres des Finances épinglés dans le dernier rapport de la Commission éthique et anticorruption du Sénat pilotée par le sénateur Évalière Beauplan.
Un agent fédéral a annoncé, presque de manière inattendue, que l’ex-ministre des Finances Wilson Laleau, dont le nom est cité dans le rapport de l’enquête sur l’usage du fonds Petro Caribe comme étant un des hauts fonctionnaires recommandés pour être poursuivis en justice, serait également dans le collimateur de la justice fédérale. Une fois cette confidence faite par cet agent, il s’est vite ravisé pour souhaiter « garder l’anonymat ». Car, selon lui, l‘enquête dont M. Laleau serait l’objet étant à ses débuts, il n’est pas autorisé à en donner de détails.
Mais l’informateur en question a précisé en disant que l’ex-ministre des Finances d’Haïti a investi des dizaines de millions de dollars dans l’immobilier, aux États-Unis, mais surtout dans la zone métropolitaine de Miami. Il a pris le temps de souligner que Laleau et ses agents aux États-Unis ont pris toutes sortes de précautions pour éviter que ses transactions ne soient connues des autorités. Car, dit-il encore, les parties impliquées dans la préparation des contrats de vente ont dû mettre à profit leurs « capacités inventives » pour éviter d’attirer sur leurs pistes les agents fédéraux spécialisés dans la vérification des transactions immobilières. Ces derniers sont particulièrement aux aguets dans l’État de la Floride, notamment à Miami, considéré un aimant pour les étrangers qui s’enrichissent dans des trafics illicites et qui sont toujours à la recherche de spécialistes en matière de blanchiment d’argent.
Des agents immobiliers haïtiens à la rescousse ?
Un avocat, qui suit de près la rubrique de l’immobilier aux États-Unis, a corroboré les révélations de l’agent en donnant les précisions suivantes. D’après les informations qu’il prétend détenir sur le dossier Laleau, celui-ci aurait attiré l’attention des autorités bancaires américaines préposées à la surveillance de transferts d’argent dirigés vers le territoire américain. Selon lui, la surveillance des transactions bancaires s’est intensifiée au cours des dix à quinze dernières années, particulièrement en ce qui a trait aux mouvements de capitaux venant d’Haïti.
Car les autorités ont déclaré avoir observé des déplacements presque « ininterrompus » d’argent destiné aux banques américains en provenance de leurs correspondantes en Haïti. Différentes personnalités et entreprises avaient fini par développer une tendance qui a retenu l’attention du personnel affecté à ces transactions.
Wilson Laleau, dit-il, a projeté le profil qui déclenche le reflexe des « gardiens » placés aux portes d’entrée dans les banques américaines.
De ce fait, il a été constaté que ces transferts avaient pour objectif d’effectuer des transactions immobilières. L’avocat a fait savoir que, vu l’importance des transferts effectués, plusieurs transactions auraient dû être conclues. Un tel constat, souligne-t-il, renvoie aux personnes et institutions ayant servi d’intermédiaires pour faciliter de telles transactions.
L’homme de loi a fait savoir que des représentants immobiliers affiliés à plusieurs agences, dont certaines appartiennent à des Haïtiens, auraient aidé Wilson Laleau à « boucler » ses transactions.
L’avocat parle d’un ancien maire de Miami ayant sa propre entreprise immobilière, et qui aurait aidé l’intéressé à réaliser ces achats.
Dans les milieux proches des agents responsables de l’enquête, on affirme que les agences immobilières engagées dans les transactions avec Laleau auraient décroché des contrats « super-lucratifs ». Car elles auraient touché des commissions des deux côtés de ces transactions. D’un côté, la maison aurait touché le pourcentage régulièrement et légalement destiné aux agences immobilières ayant mené l’affaire jusqu’au bout. De l’autre, elles encaissent une somme supplémentaire pour aider l’acheteur à réaliser la transaction « sans encombre ».
Pour l’instant, personne ne sait où cette enquête va mener, c’est-à-dire si Wilson Laleau a transgressé les lois américaines régissant les transactions immobilières, et si oui, quel degré de gravité. On sait, toutefois, que l’investissement de fonds provenant de trafic illicite dans l’achat de biens immobiliers, aux États-Unis, constitue une violation de la loi sur le blanchiment d’argent. À ce titre, l’ex-ministre des Finances serait doublement responsable : trafic illicite et blanchiment d’argent.
Par les temps qui courent, où les ministres et hauts fonctionnaires de l’État haïtien sont des citoyens d’autres pays, comme les États-Unis, le Canada et la France, etc., Laleau serait dans de beaux draps s’il était un citoyen américain avéré. Alors il serait surtout accusé d’évasion fiscale pour n’avoir pas rendu à l’Oncle Sam son dû.
Tout compte fait, on pense que les Américains sont aux écoutes du déroulement de l’affaire Petro-Caribe, dont les acteurs brassaient des centaines de millions, afin de pouvoir, finalement, demander des comptes à leurs ressortissants en matière de taxes non payées sur les millions volés de la caisse publique haïtienne.
Rappelons que l’actuel président haïtien, Jovenel Moïse, même avant sa prestation de serment, le 7 février 2017, avait décidé de choisir Wilson Laleau comme chef de son cabinet, sachant bien que ce dernier était un fugitif de la justice. En effet, invité par le commissaire du gouvernement d’alors, Jean Danton Léger, pour une audition, dans le cadre de l’affaire Petro-Caribe, l’ex-ministre avait tout bonnement fui le pays.
Avec l’aide de certains amis à Washington — qui seraient depuis, dit-on, désenchantés avec lui —, il avait pu regagner Miami, en passant par Santo Domingo, en République dominicaine.
En clair, le président haïtien, qui se trouvait — et qui se trouve encore — sous le coup d’une inculpation pour blanchiment d’argent, n’avait aucun problème de ramener un fugitif au Palais national. Après tout, comme dit l’adage : « Qui se ressemble s’assemble ».
original de cet article en P. 1, 2 à cette adresse : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2017/11/H-O15nov2017-1.pdf