Jovenel Moïse prend possession du Palais national par Léo Joseph
Pour la première fois, dans l’histoire de la République, un président prend possession du Palais national sous le coup d’une inculpation de blanchiment d’argent et de commerce illicite. En dépit d’un grand nombre d’interventions de nombreux secteurs du pays, la nation est victime cette dérive à nulle autre pareille. Une situation imputable, d’abord, aux autorités qui ont failli à leurs responsabilités de veiller à ce que de tels candidats n’accèdent pas à la liste de personnes autorisées à briguer la campagne électorale ; mais aussi à la faiblesse du système judiciaire privée d’infrastructures appropriées pour débouter une personne ayant une telle prétention. Dans la perspective d’apporter une solution définitive à l’affaire l’UCREF, il va falloir compter sur d’autres structures jusqu’ici non éprouvées.
Les dirigeants actuels, de la présidence au Parlement, sans oublier le système judiciaire, feignent d’ignorer la crise dans laquelle ils ont enfoncé le pays, agissant comme l’autruche face aux dénonciations contenues dans le dossier UCREF.
En effet, si Michel Martelly, le mentor politique de Moïse, soucieux de trouver un successeur pour le protéger contre les poursuites judiciaires qui l’attendent, suite au détournement d’environ USD 2 milliards du fonds Petro Caribe, a tout mis en œuvre pour qu’il prête serment le 7 février, de leur côté, la présidence provisoire et le Conseil électorale provisoire (CEP) n’ont rien fait pour protéger la nation d’une telle catastrophe. Au fait, même quand les dénonciations de l’institution d’enquête faisaient le tour des salles de nouvelles occupant des heures d’antenne, au pays et à l’étranger, ceux qui avaient la responsabilité de sauvegarder les intérêts de la nation et de protéger les citoyens se donnaient d’autres chats à fouetter.
Entre-temps, dans le camp du candidat à la présidence du PHTK, les avocats et les partisans de Moïse avaient recours à toutes sortes d’artifices et de stratégies pour frustrer la justice, s’employant à dénaturer les faits. Aussi ont-ils tout entrepris pour brouiller les cartes, notamment en mettant en avant un faux problème de la dichotomie gourde-dollar américain. Comme pour faire valoir que les comptes qui font l’objet des dénonciations de l’UCREF sont en gourdes, pas en dollars américains. Or dans la logique des choses, quand bien même il serait question de compte en gourdes, d’un montant de 5,5 millions de gourdes, constaté dans le compte numéro 0340 000 272, domicilié à la Banque nationale de crédit, cette somme dépasse de loin le seuil de 65 000 gourdes qui exigent que soit donnée l’origine des dépôts effectués. Dans ce cas, le nouveau présent est bel et bien coupable de faire dans le blanchiment d’argent. Ce qui l’implique automatiquement dans le commerce illicite. Dans un pays comme les États-Unis, ces deux accusations entraînent obligatoirement une dénonciation d’ « évasion fiscale ».
Quelles sont les responsabilités du juge Fabien ?
On ne doit pas chercher à disculper le juge instructeur Brédy Fabien, qui ne s’est pas révélé à la hauteur de la tache dans cette affaire. Car ayant reçu le dossier le 14 septembre 2015, selon des sources proches du parquet de Port-au-Prince, il n’en a pris connaissance que le 20 janvier. Comment expliquer tout ce retard ? La réponse doit venir de M. Fabien.
Par ailleurs, contrairement aux déclarations des avocats du candidat à la présidence du PHTJ, le juge instructeur avait émis un mandat de comparution à l’encontre de M. Moïse. Mais ce dernier a opté pour choisir lui-même la jour de sa présentation au bureau de Me Fabien. En conférence avec le président élu pendant environ quatre heures, rien n’a filtré de ce que les deux hommes ont discuté. Vu la manière dont le juge instructeur a mené l’affaire, on a du mal à rejeter la rumeur faisant croire que Jovenel Moïse et ses conseillers ont fait des « propositions indécentes » au magistrat.
Par son traitement du dossier de l’UCREF, le juge Fabien ajoute son nom à la liste de tous ses collègues accusés de se comporter en délinquants dans l’exercice de leurs fonctions. C’est pourquoi, on ne peut imaginer quel traitement sera donné à Haïti par les autorités bancaires internationales, qui avaient déjà mis Haïti au banc des accusés dans cette affaire de blanchiment d’argent.
On se souvient comment les banques haïtiennes, de concert avec la Banque centrale, se lamentaient sur la mise en accusation des institutions bancaires d’Haïti par les autorités bancaires internationaux, menaçant de mettre les banques haïtiennes sur la liste des institution à écarter du système mondial.
À présent que la plus haute autorité du pays fait partie du monde des blanchisseurs, on peut légitimement craindre que ceux qui prennent les décisions dans le système bancaire international ne soient pas tendres envers Haïti.
Sur ces entre-faits les milieux intéressés ont de bonnes raisons de se faire du souci concernant le cas d’Haïti, surtout que les responsables des banques haïtiennes avaient tout mis en œuvre pour démontrer aux décideurs du système bancaire international qu’ils étaient décidés à prendre des mesures concrètes pour sévir contre ce fléau. Désormais, avec Jovenel Moïse, qui vient de prêter serment comme 58e président d’Haïti, au banc des accusés la donne a bel et bien changé. Comme on dit dans notre savoureux créole, « Apre dans, tanbou lou ». Finies les réjouissances autour de l’accession de Jovenel Moïse au pouvoir, place maintenant à la recherche de moyens pour écarter le malheur qui s’apprête à s’abattre sur Haïti.
Sans l’ombre d’un doute, la communauté internationale ne va pas tolérer un tel intrus parmi elle. On sait que les grands média du monde commençaient déjà à monter au créneau contre le blanchiment des avoirs. Dans les prochains jours, cette tendance va connaître une nouvelle impulsion. En ce qui concerne cette bataille qui s’annonce pour la survie des banques haïtiennes, leurs directeurs et PDG ont du pain sur la planche. S’ils manquent de courage et de détermination pour passer à l’offensive contre ce fléau, au risque même de dénoncer le transgresseur numéro un des lois sur le blanchiment, ils courent le risque de saborder leurs propres banques.
Cet article est publié en P. 1 et 2 dans la version papier de l’hebdo, version PDF à cette adresse-ci : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2016/12/HO8Fevrier2017.pdf