VASTE CONSPIRATION ORCHESTRÉE CONTRE LE FONDS PETROCARIBE par Léo Joseph
- La CSC/CA confirme le crime des différents acteurs politiques
- Des arrêtés de débet en perspective; le temps du procès du siècle approche…
Le procès contre les dilapidateurs des USD 4,2 milliards $ du Fonds PetroCaribe, que réclament, à cor et à cri, l’écrasante majorité des citoyens, depuis déjà plus de deux ans, devient de plus en plus une réalité. Le troisième et dernier rapport de la Cour supérieure des comptes et du Contentieux administratif (CSC/ CA) non seulement confirme les rôles attribués au président, à ses collègues avant lui, et à d’autres hauts fonctionnaires de l’État, il fournit amples détails sur cette vaste opération de détournements de fonds publics jamais constatée auparavant.
D’entrée de jeu, il est possible de confirmer des accusations formulées à plusieurs reprises par Haïti-Observateur faisant état des différentes stratégies mises en place par les gouvernements pour orchestrer leurs crimes. Cet hebdomadaire a, en effet, révélé que des milliards de dollars ont été détournés par le truchement des compagnies de constructions bénéficiaires de contrats octroyés de gré à gré, et dont les conditions prévues dans de telles circonstances n’ont pas été respectées. Ces sociétés privées engagées par les autorités réalisaient d’immenses profits, dont elles versaient de juteuses commissions aux acteurs politiques. D’autre part, aidées de ces derniers, ces compagnies, qui, dans nombre de cas, ne se sont même pas donné la peine d’exécuter les travaux pour lesquels elles ont été payées intégralement, ne versent pas à la Direction générale des impôts (DGI), en tant que représentante de l’État, les taxes prévues dans le cadre de ces contrats. Autres moyens d’escamoter le Fonds PetroCaribe par les différents pouvoirs, qui se sont succédés, passent par des versements non budgétisés à des institutions ad hoc créées de toute pièce par où ont transité des dizaines d’USD millions $ non traçables. Le dernier rapport de la CSC/CA révèle des centaines de projets dont l’énumération démontre l’énormité du crime, confirmant ainsi l’appellation la conspiration du siècle donnée à cette vaste opération d’escroquerie perpétrée contre Haïti et son peuple.
En effet, comme il a été annoncé, le troisième et dernier rapport de la CSC/CA, sur l’utilisation du Fonds PetroCaribe, a été remis au président du Sénat croupion, Pierre François Silidor, le lundi 17 août. Très attendu, le document met en évidence de nombreuses irrégularités additionnelles, en sus de confirmer les rôles joués dans ce brigandage financier par des anciens hauts fonctionnaires de l’État. Mais il confirme encore la participation du président Jovenel Moïse, par le biais de son entreprise moribonde Agritrans, au dépouillement systématique du peuple haï tien dont il a prêté serment, en tant que chef d’État, de défendre les intérêts.
Dans le rapport antérieur, l’institution régulatrice des dépenses publiques a accusé M. Moïse, à travers sa compagnie, de participer à une vaste opération d’escroquerie au détriment des intérêts de l’État. Il s’agissait de paiement illégal effectué au bénéfice d’Agritrans, en vue de la construction d’un tronçon de route reliant Borgne à l’Anse-à-Foleur. Dans le dernier document, elle met en évidence un autre versement illégal fait dans l’opacité totale, au profit de cette même compagnie, pour l’achat de carburant devant servir dans cette construction.
Jovenel Moïse et Agritrans de nouveau épinglés
Le dernier rapport de la CSC/CA jette encore plus de lumière sur l’attitude hostile affichée par Jovenel Moïse à l’égard des secteurs lancés dans la lutte pour que soient traduits en justice ceux qui dilapidé le Fonds PetroCaribe. Partie prenante de cette entreprise criminelle, il ne peut prêter main-forte à pareille démarche. Et pour cause !
Certes, les juges de cette institution, dans leur rapport, font état du versement de 5 millions de gourdes à Agritrans destinées à l’achat de carburant devant être utilisé dans la construction de cette partie de la route signalée avant. Et le rapport d’expliquer la nature de cette dernière opération en ces termes : «Il s’agit d’un acte de détournement de fonds publics qui a causé des préjudices au projet et à la communauté».
Ayant prêté serment, le 7 février 2017, alors qu’il se trouvait sous le coup d’une inculpation pour blanchiment d’argent, on peut comprendre aisément pour quoi M. Moïse s’érige en défenseur intraitable des hommes et femmes des régimes passés qui ont fait main basse sur le Fonds PetroCaribe. Car bien que ne faisant partie du pouvoir alors, il était lié à celui-ci par l’entremise de son mentor et prédécesseur, Michel Joseph Martelly.
Des dépenses engagées sous le coup d’humeur à s’enrichir
Le troisième rapport de la CSC/ – CA porte des accusations absolument accablantes à l’endroit des acteurs politiques mis en cause dans le gaspillage/ dé – tourne ment du Fonds Petro Caribe, en ce sens qu’ils n’ont pas besoin d’établir les besoins du pays par rapport aux projets choisis, et dont l’exécution est confiée à des compagnies privées de leur choix et non celles qui ont bénéficié de contrats dans le cadre du processus de marché public. Aussi, des ouvrages dont les coûts portent sur des dizaines d’USD millions $ sont-ils mis en train à coups d’humeur d’enrichissement illicite.
Les juges de cette institution ont constaté que les centaines de projets financés à partir des ressources générées par les livraisons de produits pétroliers par le Venezuela n’ont pas été objets d’études de faisabilité, d’évaluations de prix ou soumis à tous les différents examens généralement liés aux projets d’infrastructures entrepris par un État qui se respecte et dont les dirigeants restent attachés aux principes de la bonne gouvernance. Sans aucun objectif visé dans l’élaboration et l’exécution des projets lancés, les décideurs ne s’embarrassent pas de l’idée de les porter à leurs conclusions finales. D’où l’abandon purement et simplement des travaux avant même qu’ils ne soient terminés. Ou encore, dans trop de cas, sans qu’ils ne soient même pas commencés. De telles décisions se répètent à l’infini, sur tout quand les dirigeants s’octroient l’autorité de partager les sommes prévues pour la réalisation de ces projets avec les firmes privées de leurs choix.
À titre d’exemple, on peut citer les travaux de dragage de la baie de Port-au-Prince. Ceux-ci ont été confiés au groupe Biggio, proche du pouvoir. Sous la présidence de Michel Joseph Martelly avec Laurent Lamothe aux commandes, à la primature, ainsi que Marie-Carmelle Jean-Marie comme ministre des Finances et des Affaires économiques, plus de 10 millions ont été virés, à partir du compte PetroCaribe, à un compte ayant appartenu aux Biggio. Mais le curage de cet espace maritime ne s’est jamais effectué. On peut imaginer ce qui est advenu de ces millions, puisque la compagnie contractante n’a jamais été poursuivie pour déni de service.
Autre exemple du même genre signalé dans le rapport, projet de drainage en vue de protéger la ville de Ouanaminthe contre les inondations provoquées par la rivière Massacre, à l’occasion des pluies torrentielles. Les plus de USD 5 millions $ extraits du Fonds PetroCaribe pour financer ces travaux ont été détournés à d’autres fins. Cette ville frontalière reste toujours sous les menaces de ce cours d’eau en crue. Les fonds décaissés ont probablement atterri dans les comptes en banque, à l’étranger, de ces dirigeants malhonnêtes, dont le président Moïse se fait le protecteur contre toute poursuite visant à trouver restitution et à infliger aux coupables de ce vol/détournement la juste punition qu’ils méritent.
Non-conformité des compagnies avec la loi sur le versement des taxes
Le dernier rapport de la CSC/CA est riche en nouvelles irrégularités signalées. Mais la référence à la non-conformité des compagnies contractantes, étrangères et nationales, met en évidence une nouvelle série d’actes illégaux, donc d’autres moyens de frustrer l’État, qui pourraient se traduire en des dizaines de USD millions $ additionnels dus à la caisse publique. Appuyées par les hauts fonctionnaires au pouvoir, y compris les chefs d’État impliqués dans ces actes de brigandage, les compagnies engagées n’ont pas tenu à l’obligation de verser à la Direction générale des impôts (DGI) les valeurs proportionnelles aux chiffres des contrats octroyés, selon le vœu de la loi. Tout cela en sus de l’absence de documents comptables fiables qui permettraient d’établir la traçabilité des décaissements et des débours.
Signalons que la loi exige une remise de 2 % à l’État, par les firmes engagées, et 20 % de taxes des sociétés étrangères. Les juges de la CSC/CA ont constaté que ces prélèvements n’ont pas été effectués par les institutions étatiques concernées, notamment le Ministère de la Coopération externe, celui des Finances et des Affaires économiques et le Bureau de la monétisation des projets au développement (BMPAD). Les dirigeants politiques aux commandes des institutions d’État, au fil des ans, qui se sont ligués aux firmes embauchées pour piller le pays, se sont donné de nouveaux instruments de détournements de fonds publics. D’ores et déjà, en attendant que la justice soit saisie de ces cas, un processus qui risque de traîner en longueur, la Cour supérieure des comptes évoque l’émission d’arrêts de débet à l’encontre des personnes concernées.
Rappelons que le dernier rapport de la CSC/CA est presque deux fois plus volumineux que le second. Riche en informations relatives aux malversations commises par des premiers ministres, ministres, directeurs généraux et autres hauts fonctionnaires de l’État, il faut du temps pour l’éplucher objectivement. Cela ne peut se faire que progressivement. Le travail continu dans la prochaine édition.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, New York. Édition du 26 août 2020, VOL. L No. 33 et se trouve en P.1, 5, 9 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/08/H-O-26-august-2020-1.pdf