INVITÉ PAR LE PRÉSIDENT DOMINICAIN DANILO MEDINA

Visite à la cloche de bois de Jovenel Moïse à Santo Domingo P. 1, 9, 16

On observe généralement, après les présidentielles, que la période de transition est marquée par des activités intenses du nouvel élu faisant flèche de tout bois, multipliant les contacts et les voyages à l’étranger. Traditionnellement, de telles activités sont exploitées à fonds par l’équipe de transition, notamment à coups de communiquées de presse en vue de tenir le peuple informé des moindres faits et gestes de l’intéressé. Mais pour des raisons jusqu’ici impénétrables, Jovenel Moïse et son équipe de transition avancent avec une rare discrétion sur le terrain politique. Sa visite à la cloche de bois, à Santo Domingo, en République dominicaine, à l’invitation du chef d’État dominicain, ne fait que renforcer un tel constat.

En effet, n’était-ce la relation de cet événement par la presse dominicaine, surtout le quotidien Listin Diario, le peuple haïtien serait tenu dans l’ignorance de ce déplacement du président élu, déplacement qualifié de « visite privée » par l’ambassadeur d’Haïti à Santo Domingo, Idalbert Pierre-Jean, répondant à une question du quotidien Le Nouvelliste citée dans l’édition du 16 janvier 2017 de ce journal.

Par ailleurs, selon le quotidien dominicain, Jovenel Moïse et sa suite sont arrivés à l’aéroport Isabella (El Higüero) de Santo Domingo où le président élu d’Haïti a été accueilli par le ministre des Affaires étrangères de la République dominicaine, Miguel Vargas Maldonado. Immédiatement après, le convoi officiel l’a conduit au Palais de la présidence pour une rencontre avec le président Danilo Medina. Dans son édition du 16 janvier, Listin Diario rapporte que ces informations ont été communiquées par Hugo Beras, directeur de communications du ministère des Affaires étrangères.

Ce dernier n’a pu apporter de précision sur la rencontre du président élu d’Haïti avec son futur homologue dominicain. Cité encore par Listin Diario, M. Beras a fait savoir que « officiellement », on ignore les sujets qui seront abordés au cours de la réunion avec le chef d’État dominicain, se contentant d’indiquer que l’unique information connue à la Chancellerie portait sur l’heure d’arrivée de Jovenel à la capitale dominicaine, soit à 5 h 30 de l’après-midi. On devait apprendre, par la suite, que l’avion commercial à bord duquel voyageait l’invité, Sunrise Air ways, est arrivé avec un retard de près de deux heures.

Autrement, rien de concret n’a filtré concernant la mission de Moïse en République dominicaine, sinon que de vagues allusions aux sujets portant sur les relations bilatérales entre les deux pays.

Toutefois, il est indiqué, par ailleurs, dans la presse dominicaine, que Jovenel Moïse a déclaré qu’il était en visite « de courtoisie » dans l’État voisin, pour une période de deux jours. Le pays haïtien a dû encore scruter la presse dominicaine pour en savoir plus de la visite de M. Moïse. Celle-ci a encore révélé que le président élu d’Haïti devait rencontrer diverses autorités du pays ainsi que des représentants de nombreux secteurs de la Ré publique dominicaine, ajoutant que le visiteur a profité de sa présence à la capitale dominicaine pour inviter le président Medina à son investiture prévue à la capitale haïtienne le 7 février 2017.

Voyage à Santo Domingo : Évasion hors de la réalité politique ambiante
Au fur et à mesure que la date de prestation de serment de Jovenel Moïse approche, plus les pressions politiques montent. Car des milieux politiques et institutionnels du pays ne cessent de remuer des dossiers accablants le concernant. C’est sans doute ce qui explique sa visite dans la plus grande discrétion, à Santo Domingo, une occasion pour lui de s’éloigner du tumulte qui fait rage à la capitale.

Puisque, durant l’absence du président élu, son dossier initialement lancé par l’Unité centrale de référence fiscale (UCREF), et qui l’accuse de blanchiment d’argent, a connu de nouveaux rebondissements. Le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince, Danton Léger, a révélé que ce dossier avait été, dans un premier temps, transféré au juge d’instruction Jean Wilner Morin; et dans un second, transmis au juge Brédi Fabien. Dans certains milieux politiques, à la capitale haïtienne, on affirme qu’on ne devrait pas s’étonner si ce dernier magistrat aurait blanchi le président élu. Voilà une affaire à suivre.

Entre-temps, le dossier UCREF fait la une dans les média haïtiens d’où s’élèvent des voix demandant que les autorités judiciaires continuent l’instruction de l’affaire sans complaisance. Certains journalistes sont mêmes intervenus sur les ondes pour exhorter le juge chargé de l’instruction du dossier de ne pas y aller par quatre chemins, mais d’avoir le droit et la justice pour boussole dans l’instruction de l’espèce.

Dans le cadre de cette levée de boucliers contre la corruption et le gaspillage des deniers publics auxquels trempe Moïse, le directeur de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) a lancé un appel au commissaire du gouvernement de Port-au-Prince pour que soit mis en branle l’action publique contre les dirigeants de la Banque nationale de crédit (BNC). Selon les informations qu’il affirme détenir, ces derniers ont consenti des prêts octroyés de manière illégale à plusieurs personnalités proches du régime Tèt Kale, notamment Jovenel Moïse. À noter que la compagnie de Moïse, Agritrans, qui se spécialise dans la culture de banane pour l’exportation, n’était pas en bonne santé financière. Il semble qu’en dépit de ce prêt obtenu grâce à l’intervention de l’ex-président Michel Martelly, Agritrans ait côtoyé la faillite. Après l’exportation initiale d’un ou deux containers de ce produit cultivé sur sa propriété, dans le Nord-Ouest, Jovenel Moïse n’a pu effectuer une seule expédition à la société allemande d’accueil de la production bananière de la société du président élu.

Jovenel Moïse est-il en odeur de sainteté à Washington ?
La visite impromptue à Santo Domingo est diversement commenté, en Haïti aussi bien qu’à l’étranger. D’aucuns se demandent pourquoi le président élu n’avait pas, de préférence, mené des démarches en vue d’effectuer une visite à Washington. Car, dans le passé, ceux qui sortaient victorieux des élections considéraient une visite aux États-Unis un bon augure pour leur administration.

En effet, depuis la chute de la dynastie des Duvalier, les nouvelles administrations considéraient que c’était un bon point de faire une visite à la capitale américaine. À l’exception de Jean-Bertrand Aristide, qui n’était pas le bienvenu, suite à sa manière de gérer les émeutes déclenchées par le coup d’État manqué de Roger Lafontant.

Quand le juge Ertha Pascal Trouillot accéda au pouvoir, en tant que président de consensus, grâce à une formule négociée avec la communauté internationale, Raymond A. Joseph, récemment arrivé à Washington en tant que Chargé d’Affaires désigné par cette administration, négocia la visite de Mme Trouillot avec le président d’alors, George W. Bush. Première femme aux commandes de la République, Ertha Pascal Trouillot fut aussi le premier chef d’État à visiter Washington durant l’ère post-Duvalier.

Quant à Jean-Bertrand Aristide, c’était quasiment l’inimitié entre lui et certaines ambassades accréditées en Haïti. La mise en état d’arrestation de Mme Trouillot, par les soins de Bayard Vincent. Ce fut un ex-dirigeant du chapitre à Saint-Marc de l’organisation appelée « Action jean-claudiste nationale »; il fut nommé ministre de la Justice par Aristide. Celui avait passé des instructions à Bayard pour que, immédiatement après sa prestation de serment, il procéda à l’arrestation de Mme Trouillot. Un acte, qui fut jugée scandaleux par les ambassades, était le point de départ des mauvaises relations qui existaient, surtout entre l’administration Bush et Aristide.

En effet, la communauté internationale lui imputait les actes de violence perpétrés par ses ouailles, surtout la violation de la résidence diplomatique, à Morne Calvaire (Pétion-Ville) du Nonce Apostolique. Les hordes lavalassiennes, à la recherche de Mgr Wolf Ligondé pour lui infliger le supplice du Père Lebrun, s’étaient portées jusque chez le Nonce. Plus d’une centaine de personnes avaient alors fait le parcours à pied du centre-ville, à Port-au-Prince, pour envahir la Mission, blessant le secrétaire de la Nonciature, un Zaïrois, et forçant le Nonce à rester en petite tenue, alors qu’une femme déguisée en prostituée (ou agissant comme telle) faisait des pirouettes grotesques devant lui. Sur ces entrefaites, le Zaïrois fut transporté à Santo-Domingo pour recevoir les soins urgents que nécessitait son cas.

Au milieu de la pagaille, qui s’était installée, les diplomates réunis avaient décidé de demander d’une seule voix à Aristide d’intervenir en vue de calmer ses partisans; aussi pour les exhorter à cesser de poursuivre Mgr Ligondé.

Pour toutes ces raisons, les principales ambassades étrangères en Haïti étaient très mal disposées à l’égard d’Aristide. C’est pourquoi, quand il fut victime du coup d’État orchestré par l’équipe Cédras, Biamby et François, il dut se rendre en exil à Caracas, Venezuela, à l’invitation du président Andres Perez.

Élu président fin 1995, René Préval prêta serment le 7 février 1996. Il fut invité à Washington peu après sa prestation de serment. Aristide fut élu pour un second mandat aux élections de 2000 dont les législatives étaient entachées de fraudes et d’irrégularités, et prêta serment le 7 février 2001. Il n’a pas été invité à Washington; il fut forcé d’écourter son mandat et quitta le pouvoir le 29 février 2004 pour être transporté ensuite à bord d’un avion affrété par les Français à destination de Bangui, République centrafricaine, en Afrique.

Aux élections organisées sous le gouvernement Bonifas-Latortue, en 2006, René Préval fut élu pour un second mandat. Président élu, il effectua une visite aux États-Unis. Arrivé en territoire américain, l’ambassade d’Haïti, lors dirigée une seconde fois par Raymond Alcide Joseph, négocia une visite en privé en sa faveur avec le président George W. Bush.

La R.D. est la maison de Jovenel Moïse
D’aucuns pensent qu’il y a quelque chose derrière la visite inattendue de Jovenel Moïse en République dominicaine. Car il n’avait pas daigné informer le pays, qu’il aspire à diriger, de son déplacement hors du territoire national. C’est pourquoi, certains pensent qu’il reste à savoir ce qu’il a été cherché là-bas. Surtout qu’il est très connu dans le milieu des affaires et le monde agricole. On sait que Moïse a de très bonnes relations en territoire dominicain et a créé des partenariats avec des hommes d’affaires de l’autre côté de la frontière.

On apprend aussi, dans les milieux politiques dominicains, que des sommes importantes ont été contribuées pour sa récente campagne présidentielle par des Dominicains. Il reste aussi à savoir s’il avait reçu des fonds d’origine douteuse pour sa campagne. Car le fait qu’Agritans battait de l’aile économiquement incite à croire que les fonds n’étaient pas au rendez-vous pour lui permettre de mener à bien sa campagne. C’est pourquoi ces milieux politiques dominicains croient dur comme fer que des sources d’argent non identifiées ont contribué au financement de sa campagne.

Selon ces mêmes sources dominicaines, plusieurs entreprises dominicaines, particulièrement les firmes de construction, comptent sur l’administration Moï se pour obtenir de juteux contrats, afin de continuer la danse des millions orchestrée particulièrement sous le régime Martelly- Lamothe avec Jean-Max Bellerive comme chef d’orchestre.

Dans ce cas, il est aisé d’expliquer la présence des ministres de l’équipe tèt kale et les grands manitous qui faisaient la pluie et le beau temps avec Martelly au pouvoir.

La version PDF de cette édition se trouve à cette adresse :
VOL. XXXXVII, No.3 – New York ; tel (718) 812-2820; Montréal (514) 321-6434; Port-au-Prince (011 509) 223-0785 ; Paris (33-1)43-63-28-10 – 18-25 janvier 2017