La politique interventionniste dénoncée avec véhémence par Léo Joseph

L’ENVOYÉ SPÉCIAL POUR HAÏTI DANIEL FOOTE PART AVEC FRACAS

  • Les États-Unis et la communauté internationale sur la sellette
  • La politique interventionniste dénoncée avec véhémence par Léo Joseph

L’envahissement du territoire américain par des réfugiés haïtiens arrivés par milliers, à la frontière américano-mexicaine, au niveau de la petite ville Del Rio, au Texas, ayant déclenché leur expulsion massive sur Haïti, est l’occasion d’exposer la politique interventionniste des États-Unis et de ses alliés par un diplomate américain de haut niveau. Les dénonciations qu’il a faites, dans sa lettre de démission, donnent raison à tous les Haïtiens qui n’ont jamais cessé de protester l’ingérence étrangère, surtout américaine, dans les affaires internes d’Haïti, qui ont valu au pays les pires gouvernements qu’il a eu.

En effet, à peine deux mois depuis qu’il a été choisi comme Envoyé spécial pour Haïti, Daniel Foote, un diplomate de carrière, est sorti claquant très fort la porte, en sus d’exposer tous les travers politiques dont les diplomates étrangers se font coupables, à l’égard du peuple haïtien.

Dans sa lettre de démission, Daniel Foote a opté pour « laver le linge sale en public ». Il n’est pas allé par quatre chemins pour mettre en évidence les profonds désaccords qu’il a eus avec l’establishment diplomatique de son pays, dans le cadre de sa mission. De toute évidence, il est profondément frustré, dénonçant les abus dont il a été l’objet, notamment la « falsification » des rapports qu’il a soumis.

L’ambassadeur Foote commence sa lettre de démission, adressée au secrétaire d’État américain (l’équivalent du ministre des Affaires étrangères), en ces termes : « Avec une profonde déception et des excuses à ceux qui recherchent des changements déterminants, je démissionne de mon poste d’Envoyé spécial pour Haïti, avec effet immédiat ».

L’ex-envoyé spécial pour Haï ti expose, sans langue de bois, les raisons de son abandon de cette importante mission qui lui a été confiée, consistant à orienter les négociations inter-haïtiennes dans le sens d’un accord visant la mise en place d’un gouvernement intérimaire de consensus. Il laisse parler son cœur : « Je ne m’associerai pas à la décision inhumaine et contre-productive des États-Unis d’expulser des milliers de réfugiés haïtiens et d’immigrants illégaux vers Haïti, un pays où les fonctionnaires américains sont logés dans des enceintes sécurisées, en raison du danger posé par des gangs armés qui contrôlent la vie quotidienne. Notre approche politique à l’égard d’Haïti reste profondément viciée, et mes recommandations ont été ignorées et rejetées, quand elles n’ont pas été éditées pour présenter un récit différent du mien ».

Une réalité différente que celle présentée par l’ambassade américaine

On n’aurait jamais sur quelle supercherie reposent les relations d’Haïti avec les États-Unis, par rapport à la situation exposée dans les rapports de l’ambassade américaine, à l’adresse du Département d’État. C’est sans doute en faisant lui-même le constat sur le terrain, par l’entremise de sa mission, qu’il s’en est rendu compte. Aussi a-t-il saisi l’occasion offerte par sa lettre de démission pour exposer la situation d’Haïti et du peuple haïtien au secrétaire d’État Antony Blinken. Voici, comme il écrit le témoignage qu’il présente à ce dernier.

« Le peuple haïtien, dit-il, enfoncé dans la pauvreté, otage de la terreur, des enlèvements, des vols et des massacres des gangs armés, et sous la férule d’un gouvernement corrompu allié aux gangs, ne peut tout simplement pas subir le retour imposé de milliers de migrants retournés manquant de nourriture, d’abri et d’argent, sans déclencher une tragédie humaine supplémentaire, qui peut être évitée. L’État, qui s’est effondré, n’a pas la capacité d’assurer la sécurité ni fournir les services de base. L’arrivée de nouveaux réfugiés ne fera que raviver le désespoir et renforcer la criminalité. La migration vers nos frontières ne fera que s’accroître, alors que nous ajoutons à la misère inacceptable d’Haïti ».

Sans aucun doute, Daniel Foote n’est pas logé à la même enseigne que ses supérieurs, au Département d’État, ou ses collègues diplomates déployés en Haïti. Dans le paragraphe suivant, il offre la bonne recette pour mettre le pays en route vers un État de droit, dont parlent trop sou vent les diplomates, tous les pays confondus. Bizarre, il ne semble pas souscrire à la formule diplomatique presqu’universelle voulant que les élections soient tenues dans l’immédiat. Aussi, suggère-t-il :

«Les Haïtiens ont besoin d’une aide immédiate pour rétablir la capacité du gouvernement à neutraliser les gangs et à rétablir l’ordre, par le biais de la Police nationale. Ils ont besoin d’un véritable accord entre la société civile et les acteurs politiques, avec le soutien de la communauté internationale, afin de forger une voie opportune vers la sélection démocratique de leur prochain président et de leur parlement. Ils ont besoin d’aide humanitaire, d’argent en vue de favoriser la distribution de vaccins anti-COVID, et bien d’autres choses encore ».

Il semble que Daniel Foote se se soit trouvé en désaccord avec le personnel de l’ambassade américaine, à Port-au-Prince. Car, dans sa lettre, il expose les besoins des Haïtiens, à partir des griefs qui ont été véhiculés. Pourtant ces mêmes doléances ont été exposées à toutes les délégations qui ont été envoyées en mission en Haïti avant lui. Il a donné le motif de l’échec de ces délégations, et des diplomates en poste au pays. En ce sens, l’ambassadeur Foote a vendu la mèche quand il dit, dans sa lettre, la teneur de ses rapports a été falsifiée, dénaturée, de manière à lui faire dire le contraire des faits qu’il a soumis. Ici, encore, il saisit l’opportunité pour éclairer la lanterne du secrétaire d’État, par rapport aux besoins du peuple haïtien, qui ne coïncident pas nécessairement avec les intérêts des Américains, ou de tous les autres pays ayant des représentations diplomatiques en Haïti. Lisons Daniel Foote :

« Mais ce que nos amis haïtiens veulent vraiment, et ce dont ils ont besoin, c’est d’avoir la possibilité de tracer leur propre voie, sans marionnettes internationales et sans candidats favoris, mais avec un véritable soutien pour cette option. Je ne crois pas qu’Haïti puisse connaître la stabilité, tant que ses citoyens n’auront pas la dignité de choisir réellement leurs propres dirigeants, de manière équitable et acceptable. La semaine dernière, les États-Unis et d’autres ambassades, à Port-au-Prince, ont publié une autre déclaration publique de soutien au Premier ministre de facto, non élu, le Dr. Ariel Henry, en tant que dirigeant intérimaire d’Haïti. Ils ont continué à vanter son “ accord politique “, en lieu et place d’un autre accord plus large, élaboré antérieurement par la société civile. La prétention démesurée qui nous fait croire que nous devrions choisir le vainqueur — encore une fois — est impressionnante. Cette série d’interventions politiques internationales, en Haïti, a toujours produit des résultats catastrophiques. De nouveaux impacts négatifs sur Haïti auront des conséquences calamiteuses, non seulement en Haïti, mais aussi aux ÉtatsUnis et chez nos voisins de l’hémisphère ».

Notons que parmi les personnes à qui Daniel Foote a adressé copies de sa lettre figure aussi Kenneth Merten. Ancien ambassadeur des États-Unis en Haïti, M. Merten occupe la fonction de directeur général par intérim, au Département d’État. On a toujours attribué un rôle à M. Merten, dans l’affaire PetroCaribe. Sinon un salarié des entreprises Bigio. Selon des sources proches du Département d’État, il pilote, derrière la scène, les initiatives diplomatico-politiques sur Haïti, veillant toujours que les intérêts des Clinton dans les affaires haïtiennes soient bien protégés. (On y reviendra).

Ariel Henry déclaré illégitime par Daniel Foote

Il semble que Daniel Foote ne faisait pas bon ménage avec Ariel Henry et l’équipe qu’il dirige. Dans cette même lettre, au secrétaire d’État, il attire l’attention sur lui comme étant de facto, un fonctionnaire non élu. Dans la foulée, il critique la communauté internationale (les Américains et les autres) de privilégier l’accord dit d’Ariel Henry, celui qu’il a signé avec le secteur démocratique et populaire (André Michel, Marjorie Michel et le sénateur Nènèl Cassy), contre celui désigné sous l’appellation Accord de Montana proposé par les partis politiques et la société civile.

Il est opportun de se demander s’il y a eu conflit entre Foote et ses collaborateurs, au Département d’État, autour de la personne du chef de l’Exécutif bicéphale qui continue de bénéficier de l’appui de Washington. Toutefois, le fait par l’ex-Envoyé spécial de dénoncer l’ingérence étrangère, dans les affaires internes d’Haïti — et qui remonte à des décennies — risque d’entraîner des conséquences immédiates, par rapport à la manière dont ces démocraties, cherchant toujours à influencer la politique nationale, jusqu’au choix des présidents, a toutes les chances de s’articuler autrement.

Rien à faire, les accusations de l’ambassadeur Boote concernent, non seulement les États-Unis, mais aussi toute cette communauté de diplomates représentant surtout les bailleurs de fonds d’Haïti et les États assimilés aux grandes démocraties. En un mot, les dénonciations de l’ex-Envoyé spécial pour Haïti mettent toute la communauté internationale sur la sellette.

Les démêlés de Daniel Foote avec le Département d’État basés sur sa dénonciation des mauvais traitements, dont ont été l’objet les migrants haïtiens, ne manqueront pas d’attirer l’attention de journalistes fouineurs, toujours à l’affut d’un sujet intéressant, surtout ce qu’on traduit par « intérêt humain », dont le cas des réfugiés haïtiens constitue un sujet accrocheur. L.J.


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur VOL. LI, No. 37 New York, édition du 29 septembre 2021, et se trouve en P. 1, 8, 14 à : h-o 29 sept 2021