ÉDITORIAL
- Des criminels financiers au pouvoir, le peuple haïtien doit changer la donne
Depuis la chute de la dictature, qui a libéré la parole, et permis aux journalistes et aux critiques en général de dénoncer les abus financiers commis par les dirigeants, de tels faits ne cessent de faire la une dans les médias et dans l’opinion publique. De Jean-Bertrand Aristide à Jovenel Moïse, chacun de ces gouvernements a leur lot de scandales financiers, qui ont particulièrement explosé. Mais c’est sous le régime Tèt Kale dirigé par ce dernier que les esclandres liés aux vols aux détournements et gaspillages de fonds publics ont éclaté à répétition. Car si les criminels financiers commençaient à faire leur apprentissage avec M. Aristide, pour se perfectionner sous les régimes qui lui ont succédé, ils sont devenus de vrais spécialistes sous la houlette de Michel Martelly, avant de s’affirmer pleinement sous Jovenel Moïse.
En effet, le prêtre défroqué a commencé ses déprédations sur l’argent du peuple haïtien en s’appropriant, sans ménagement, des fonds recueillis en diaspora sous la rubrique «Voye Ayiti Monte » (VOAM). Après un premier million remis « à Titid », selon l’hebdomadaire à vocation lavalassienne, Haïti-Progrès, plus rien n’a été dit concernant le montant collecté, voire informer la nation de l’usage qui a été fait des fonds ramassés. Après avoir pris goût de cette pratique, il a détourné les USD 20 millions octroyés à Haïti par Taïwan, pour la construction de la route de Carrefour et la rénovation de ’hôpital Simbie. Puis il s’est jeté à bras raccourcis sur la caisse de la Téléco. Selon le Rapport Denis, USD 50 millions ont été détournés des recettes de cette institution. Mais c’est surtout par le projet des coopératives que M. Aristide a ramassé les millions à la pelle, allégeant des milliers de familles haïtiennes de leurs épargnes, en sus d’endetter des milliers d’autres qui ont décidé de négocier une deuxième hypothèque sur leurs propriétés. Dans la mesure où les gérants de ce projet faisaient miroiter aux premiers investisseurs des taux d’intérêt de plus de 20 %, c’était la ruée de la diaspora, dont la majorité était des partisans d’Aristide, vers les coopératives. Il est aisé de comprendre le silence, sinon l’indifférence des anciens affidés de l’ancien prêtre à l’égard de Titid, le multimillionnaire, devenu l’objet de leur déception.
Premier signataire de l’accord de la République bolivarienne du président vénézuélien Hugo Chavez du Fonds PetroCaribe, René Préval a été aussi le premier à en effectuer de gros détournements. Sous la rubrique des « urgences » occasionnées par les cyclones qui ont frappé le pays à partir de 2008, plus d’USD 600 millions $ ont été décaissés du Fonds PetroCaribe, sous prétexte de venir en aide aux sinistrés. Pourtant, jusqu’à la fin du mandat de M. Préval, les dénonciations faites par les soi-disant bénéficiaires de ces fonds, déclarant n’avoir pas reçu une seule gourde du gouvernement, sont restées lettre morte. Toutefois, la présidence de Préval avait investi à fond dans la campagne électorale des candidats de Vérité, la plateforme politique qu’il avait créée, notamment dans l’achat de véhicules pour les candidats; et de motocyclettes pour les CASECs et ASECs, les agents sur lesquels repose la victoire, surtout dans les coins reculés des communes et des sections rurales.
Si Aristide avait recours au système VAM pour se donner ses premiers millions, dans le cadre de sa vision du détournement de fonds publics, Michel Martelly, quant à lui, en sus d’arracher USD 2,5 millions $ des compagnies de construction du sénateur dominicain Félix Bautista, a mis sur pied son propre projet aux dépens de la diaspora : le Fonds d’éducation universelle gratuite pour tous. Plus d’USD 500 millions ont été collectés, via USD 1,50 sur chaque transfert effectué au profit des parents restés au pays; et USD 0,05 centimes/minute sur les appels télé- phoniques dirigés vers Haïti en provenance de la diaspora. Les nombreux projets passés de gré à gré, sous les administrations Martelly-Lamothe et Martelly-Paul, financés à partir du Fonds PetroCaribe, ont rendu nécessaire le décaissement de plus d’USD 3 milliards $ de ce compte. On ne saura jamais le montant de la somme qu’ont bénéficié individuellement le président, ses Premiers ministres, ministres, directeurs généraux et autres gros potentats accusés dans ce méga vol, sans un procès équitable qui permettra de bien identifier les coupables et les montants qu’ils en ont retirés à titre individuel.
La tentation de vol et de détournement du Fonds PetroCaribe était trop grande pour le successeur de Martelly de ne pas en profiter. Aussi le président intérimaire Jocelerme Privert a-t-il trouvé opportun de négocier et de signer sa part de contrats. Aussi lui et son Premier ministre ne sont-ils pas au-dessus de tout soupçon dans l’affaire PetroCaribe.
Puis s’amène Jovenel Moïse, prenant logement au Palais national, sous le coup d’une inculpation pour blanchiment d’argent, découlant du placement à la banque de l’argent réalisé dans de mauvaises conditions. Habitué à ces pratiques illicites pour gagner de l’argent, la présidence lui offre toutes les opportunités nécessaires pour s’enrichir. Dès lors, il se sert du Front PetroCaribe comme sa tirelire pour financer ses propres initiatives sociales ainsi que celles de la première dame, qui sont financées avec les fonds provenant de la vente des produits pétroliers vénézuéliens sur le marché national, s’ingéniant à consacrer moins de 20 % de ces fonds au financement de telles œuvres.
Mais voici un autre créneau pour escroquer le pays : le détournement des allocations budgétaires des ministères, une stratégie mise en œuvre sous Michel Martelly, et reprise par Jovenel Moïse. La source du Fonds PetroCaribe ayant tari, Neg Bannann nan s’est rabattu sur le Fonds de l’Office national des assurances vieillesse (ONA), ayant ordonné que des prêts soient octroyés à ses alliés politiques, les amis de la présidence, jusqu’à la première dame, à coups de dizaines de millions de gourdes; quand ce ne sont pas des milliards accordés comme prêts aux hommes d’affaires qui ont financé sa campagne électorale.
Un autre moyen utilisé par M. Moïse pour frauder contre l’État consiste à négocier des contrats du genre traité avec la compagnie allemande «Dermalog» selon lequel la première dame a intégré la délégation envoyée pour traiter avec celle-là, aux fins de retirer la commission pour le compte de la présidence. À voir le chef d’État haïtien à l’œuvre, on reste avec l’impression qu’il se démène davantage pour trouver des occasions de bénéficier de juteuses commissions ou de détourner les fonds publics que pour servir les intérêts du pays.
De leur côté, les parlementaires se font élire justement pour s’enrichir aux dépens des ressources de l’État et utiliser les pouvoirs qu’ils détiennent pour accorder des avantages fiscaux à leurs commanditaires et bailleurs de fonds. Les histoires qui ont été révélées, ces derniers temps, à leur sujet, les présentent comme des sangsues se donnant toutes sortes de moyens pour abuser sans honte les caisses publiques. En sus de leurs salaires réguliers, ils s’octroient des millions de gourdes à l’occasion des fêtes patronales, de Pâques et de fin d’année, ainsi que d’autres avantages occultes. Signalons, en passant, qu’ une dispute entre deux sénateurs a permis de révéler que l’État payait une seconde résidence au président du Sénat qui coûtait plus des millions de gourdes l’an, en sus des 123 millions de gourdes l’an que chaque sénateur touche de l’État haïtien; et les 31 millions de gourdes par député.
Selon d’autres révélations faites récemment, les parlementaires font financer leur campagne par des hommes d’affaires qui bénéficient, en retour, de gros avantages sous forme de lois votées en faveur de leurs entreprises. En ce sens, on a appris, de source autorisée que, de concert avec le questeur de la Chambre des députés, le président de celle-ci a autorisé l’épuisement de 80 % du budget de cette institution dans trois mois. Car des millions de gourdes ont été payées à des entreprises fournisseuses d’eau et de café à la Chambre basse; des millions de gourdes aussi ont été versées à des restaurants en guise de paiement pour des réceptions. Tout cela en vue de restituer des fonds qui ont été avancés pour financer sa compagne électorale. On affirme aussi que Gary Bodeau, le président de la Chambre des députés, serait le bénéficiaire de maisons confisquées de trafiquants de drogue par l’État haïtien; aussi bien que des USD millions versés par la présidence pour faire voter ses projets politiques.
Tout compte fait, ces hauts fonctionnaires, qui se sont fait élire, profitent de leur position non pour servir les intérêts du pays, mais plutôt pour faire fortune sur le dos du peuple, formant ainsi avec la présidence un groupe de criminels financiers solidaires dans leurs activités illégales et anti-peuple. Après avoir autant bénéficié de leurs méfaits, rien n’autorise à croire qu’ils fassent amende honorable et changent d’habitude. Le pays n’a pas besoin de ce genre de leaders. Que le peuple prenne ses responsabilités à deux bras et chasse ces faux dirigeants, qui sont des voleurs patentés. Car il appartient aux citoyens haïtiens de changer la donne.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 17 avril 2019 et se trouve en P.10 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2019/04/H-O-17-april-2019.pdf