SUR LA ROUTE DU CINEMA par Dan Albertini
- Le Saxophoniste 5e fiction sur la politique haïtienne et le cinéma, mettant en vedette: Shiller Joseph, dans le rôle de mon oncle,
- Une production 2 Contes PRODUCTION
Quand c’était le temps de titrer votre film, vous aviez sûrement compris. Le responsable du marketing, l’éditeur qui doit choisir ce qui naturellement devra choquer, provoquer, motiver ou tout autre verbe en er. Animer le consommateur pour débourser. La démarche est en ir, remplir une salle de cinéma. L’objectif est irrégulier, il faut jauger, rendre célèbre votre produit, en faire un chef d’œuvre. Le Box-office se partage bien de ce droit de regard avec la critique. Celle-ci n’est pas totalement exonérée non plus quand elle choisi ses actes ronflants, soit pour rabaisser ou pour rehausser. Un poil près, c’est l’oubli. Amina est en ce sens un magazine spécialisé dans la culture, il porte son nom. Il met cependant en valeur l’objet de ses thèmes par des actes. Des titres provocateurs le plus souvent. Dans le No.482 en juin 2010, il a mis en relief le ‘’pas de Merengue’’ sous le couvert du festival du même nom. Les recherches du reporter le conduisent sur l’autre côté de l’île, l’inventeur est haïtien. Le titre a foiré je crois, il n’a pas vécu trois semaines malgré l’intérêt et le lectorat. En fait cela nous ramène à la Cadence Rampa de Webert Sicot. Un témoin vivant est encore dans l’ombre. Shiller ! Je me pose donc la question suivante : qui a caché l’image ? C’est en réalité l’histoire de Pierre-Michel Joseph qui se croyait Shiller mais qui naturellement est devenu ‘’mon oncle’’. Quand il parle de lui, il est ti Shiller. Il est le Saxophoniste
Qui a caché l’image
Avez-vous vu l’image de la fille sur l’affiche du film ‘’l’Artiste’’, assise auprès du saxophoniste à Saint Brieuc ? On ne cache pas une telle image, personnellement ça me fait délirer. Avec en tête, moi Jupiter et une gonzesse enflammée comme sur la couverture du roman de Michelle Marcelin Voltaire. Amour et bagatelle. Faire vibrer. Grand papa Jo m’aurait compris, ça aide, mais le film !
Le film commence avec une image. La caméra est installée pour un zoom vertical qui va chercher un angle serré, une vue en contre-plongée dans le cornet du sax. Le cadrage ramène l’image en gros plan en 1/3 de seconde sur l’ombre contenue dans la partie inférieure du cornet du sax. L’ombre dégage un profil déformé sur la largeur du cornet doré qui brille, offrant une étoile couleur du rétro projecteur. Le son est livré comme s’il arrivait à une vitesse qui irritait le vent au passage de l’image telle que livrée par la caméra. Les vents ont sonné à un régime élevé de décibel, trois trompettes alignées. Puis survint le sax, un alto. Il récupère une relève détachée. Le bruit sourd de la batterie part en roulement, se termine par trois bris de cymbales. Le sax reprend, sol sol sol fa mi, sur la première gamme pour se laisser mourir sur le son majestueux de l’ensemble de l’orchestre. En harmonie. Une voix brise le silence comme au milieu d’une foule dans le noir. Shiller !. Vous comprendrez qu’il exécutait <<Haïti chérie…>>. La musique redémarre par le sax, sur un rythme de Cadence Rampa. Un micro placé quelque part, un souffle qui sort par la bouche, une voix off dit : <<oh ! Mon oncle>>. Qui a caché l’image ? Le maestro a vécu des moments historiques, des émotions fortes, dans l’ombre. Des relations intenses, l’ombre n’arrive plus à le contenir. Quelle heure est-il ?
Comment découvrir un artiste ?
Le Saxophoniste. Il est Webert Sicot, il est Nemours Jean-Baptiste. Sicot aimait s’incliner vers l’arrière avec le sax tandis que Nemours s’exposait en génuflexion, vers la gauche. Sicot au début aussi. Mais il est d’abord et avant tout l’histoire d’une image qu’on a cachée. La gloire a touché les autres mais elle s’est refusée à celui qui par un recul de timidité, a accepté de faire dans l’ombre, c’est aussi le défaut naturel du bassiste. Une autre histoire dans la dimension nationale d’un pays lui a imposée une réclusion sociale et politique. Quelqu’un a volé la gloire d’un acteur. Il est Shiller Joseph mais se découvre Pierre-Michel sur l’acte, aux examens du CEP à Plaisance. La timidité l’enveloppe. Son histoire est authentique, c’est de là qu’un pays découvrira enfin l’artiste.
Le récit. Jeune homme, Schiller Joseph quitte sa ville natale pour rejoindre sa sœur dans une ville voisine de Port-au-Prince. Carrefour porte son nom, elle est incontournable sauf par la mer. Elle héberge Schiller mais lui impose en même temps un mode de vie. Ils sont généralement troubadours à Waney, un grand cartier dans une grande ville. Il ne pourra cependant concrétiser son rêve, celui de jouer avec un musicien de Pétion-Ville. Lui n’irait jamais à Carrefour. Schiller va pourtant créer l’un des bands les mieux organisés. Il devra s’essayer dans la politique pour comprendre que tout rouge ou red peut signifier ‘’communiste’’ aux yeux d’un président jugé mégalomane. C’est le fils qui le lui dit. L’orchestre ne s’appellera pas Les Red Stars mais Bossa Combo. Sur la base de la Bossa nova par Tony Romain et, le combo venant de Tabou Combo, de Super combo etc. L’ombre va peser sur Shiller. Tony Romain menait une double vocation dans les finances, il a été fusillé sur ordre de Roger, un ministre pour qui il avait refusé de signer un chèque. Depuis, le saxophoniste est condamné à rester dans l’ombre. Il choisit de s’y réfugier derrière ses talents pour prétexter que la musique est d’abord l’art et non le musicien.
Il est d’abord guitare bas en Haïti et sax alto par la suite à Montréal.
C’est ainsi qu’il passe une audition avec Webert Sicot d’abord, c’est la Cadence Rampa. Il ne jouera pas. Avec Nemours Jean-Baptiste par la suite. C’est le Compas Direct. Son audition avec Top Compas de Nemours Jean-Baptiste s’avoue révélateur et Nemours l’engage de suite. Le narrateur insiste malgré tout, son accord est finesse. Il juge le saxophoniste sur une grande capacité qui vous permet de fredonner tout de suite après son contact. Ce sont ses neveux qui lui ont offert l’alias mon oncle quand il les intégrait dans la musique. Le nom est resté depuis.
La vocation de maestro était là. Il fait chercher Adrien Janite, l’harmonium de l’église Saint-Michel Archange de Plaisance. Figaro, saxophoniste qui a été à Jérémie et rapatrié à Port-au-Prince, sur demande du président. Celui-ci lui offre tous les instruments et le Bossa Combo voit le jour. À toute bonne chose il y a une fin, il se sent trahi et quitte le Bossa Combo.
C’est de là qu’il part pour le Canada. Il crée Vaccine avec Eval Mannigat à Montréal et poursuit sur sa lancée avec Léopold Molière (alias yoyo et bas de Sicot) pianiste. Fait les Piano Bar jusqu’à Sept-Îles au Québec. La scène principale est très grande mais Schiller mène le combat de sa vie sans le savoir. Il sera enterré par l’histoire tandis qu’il fait dans la musique. L’exil lui est imposé. Des moments inexpliqués. Maréchal Tito est Roger Laurent, il mène la narration. Il livre tout : Voiture chavirée à Chibougamau dans une tempête de neige en allant à Sept-Îles, une petite ville située à 9 heures de Montréal. La scène est recomposée, on les voit pousser la voiture pour la faire rouler, elle retombe sur ses pneus. Ils reprennent la route, sans encombre, vont performer, retournent sans encombre.
Le narrateur rit aux éclats, il raconte sa vie, il vient d’échapper miraculeusement à la mort. Il est connu pour avoir composé la musique Maréchal pwal débaba en allant à Saut-d’eau. Son récit évoque les esclaves qui sortaient des champs pour manger. Ils se lavaient avec une débarbouillette avant. Le mot est resté. Débaba. Shiller écoute en silence. Il est généralement silencieux dans son coin. Une voix importante rentre en scène, Guy Durosier. Maréchal confirme, ce ne sont pas des bit maker qui rajoutent des paroles. Ce sont des compositeurs. Un s’assiérait pour regarder un film sur Shiller. Il apprécierait bien de redécouvrir la fantaisie, la mélodie l’harmonie, dans un film sur le saxophoniste. Il l’est depuis le club el Toro sur la rue Jarry à Montréal pour ne pas perdre le contrat, grâce à la maitrise vocale. Fanfare lycée Pétion carnaval H2o. Trompette. Des images en cascade.
L’histoire s’enrichie de groupes de Compas, de Combo. Des noms ressortent : les Shleu Shleu de Mtl chez tonton rue Lajeunesse, Vodix, Shangania. Le saxophoniste est très impliqué dans sa communauté d’église aussi. Il serait la pierre angulaire du groupe Volo Volo qui mise beaucoup sur les vents. Le maestro est essentiel, il est accompagné d’un spécialiste japonais à la trompette. Un journaliste de passage pour des funérailles dans la ville de Randolph découvre tout. Le découvre.
La fin du film ne fait pas dans le dramatique, Shiller finit par se dévoiler à ce journaliste qui était sur ses traces depuis plus de dix ans. Une fille, une belle femme débarque chez Shiller qui déménage. Deux enfants, des filles. Ce ne sont pas les enfants de la maison. Rien à voir avec Shiller. C’est une beauté qui a réservé une surprise au journaliste. L’effet a provoqué quelque chose de merveilleux, Shiller se dévoile complètement et accepte de ne plus cacher l’image. Fin. Le saxophoniste est un très beau film sur l’art et la musique haïtienne. La question se pose malgré tout, si le saxophoniste est encore vivant, qui devra interpréter son rôle ? On n’a plus le droit de cacher l’image.
- Merci d’y croire !
Cet article est publié l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 2 mai 2012, VOL. XXXXII, No. 35, New York, et se trouve en P.8 à : HO2mai2012