Assassinat de Monferrier Dorval : Gare à une fausse enquête !
- ÉDITORIAL
La manière dont est mise en train l’enquête sur l’assassinat du bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince, Me Monferrier Dorval, présente toutes les caractéristiques d’une entreprise viciée à la base. Les premiers éléments connus semblent indiquer que la stratégie est lancée en vue de brouiller les pistes et éloigner les en quêteurs des vrais auteurs intellectuels et des commanditaires de ce crime, qui soulève l’indignation nationale et internationale. Il reste à souhaiter que le sentiment de révolte générale suscité dans les différentes couches politiques et socio-économiques du pays prenne l’allure d’une mobilisation permanente pour exiger que justice soit rendue au défunt ainsi qu’à sa famille.
Moins de soixante-douze heures après qu’eut été annoncée l’ouverture de l’enquête sur ce meurtre crapuleux, les autorités ont annoncé la mise en «isolation» d’un policier, non identifié, qui avait été soi-disant chargé d’assurer la sécurité de la maison de la victime. Cette mesure a été vite prise, afin d’apaiser les critiques soulevées par la contamination de la scène du crime, car la résidence inhabitée de M. Dorval a été vandalisée et des objets de valeur emportés, y compris le bâton de Saint Nicolas, le patron des juristes du monde entier, prétendument retrouvé au Palais national.
Toutefois, cet agent de Police n’a pas l’air de subir le sort qui lui a été infligé sans grommeler. Dans une vidéo, à lui attribuée, distribuée sur les réseaux sociaux, il se plaint d’avoir été accusé injustement par les autorités d’avoir «déserté» son poste, permettant ainsi à des per sonnes non autorisées à pénétrer la maison du bâtonnier défunt. En outre, il a expliqué en disant que, suite à une série de cafouillages ayant occasionné son arrivée tardive à ce poste, soit aux environs de 2 heures du matin, il ne devrait être rendu responsable de faits ayant eu lieu durant son absence.
À noter que, jusqu’à date, les autorités gouvernementales n’ont pas indiqué la manière dont s’est effectué le suivi du cas de ce policier ni spécifié, jusqu’à date, son identité. Il faut alors s’interroger, quant aux mesures restrictives prises à son encontre, pourtant, à bien des égards, libre de toute responsabilité dans le cambriolage de la résidence de Monferrier Dorval. On ne peut s’empêcher de constater une absence totale de transparence, dans la gestion de cette enquête, à tous points semblables aux autres menées antérieurement, et qui ont toujours débouché sur le néant. À l’instar de celles généralement confiées à la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ), les dirigeants ont fourni peu d’informations sur l’identité des personnes sur qui pèsent des soupçons, dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du défunt bâtonnier. Comme d’habitude, le moment viendra où ces dernières seront tout bonnement libérées à la cloche de bois. Ni vu ni connu !
Nonobstant les déclarations publiques faisant état de l’« avancement» de l’enquête, il n’y a aucune raison d’ajouter foi à de telles révélations. Puisque, presque toujours, les personnes (civiles) dites en état d’arrestation ou policiers «gardés en isolation» finissent toujours par recouvrer leur liberté. On peut citer, à titre d’exemples, les cas d’assassinats, également en leur résidence, de l’éducatrice Farah Martine Lhérisson et de son compagnon, l’ingénieur Lavoisier Lamothe. Les deux ont été assassinés, en leur résidence, à Peggy-Ville, au haut de Pétion-Ville, en sus d’une troisième personne dont le cadavre était trouvé à la barrière de la résidence des victimes. À ce jour, l’enquête, sur ce triple meurtre, qui avait été annoncé, n’a pas abouti, après plus de quatre mois. Mais rien n’autorise à espérer que ces crimes ne seraient jamais résolus.
Presqu’à la même époque, Norvella Bellamy et la mère de son fils de 4 ans, Daphnée Fils-Aimé, étaient abattus en leur résidence à Delmas 75. Un haut cadre de la Banque de la République d’Haïti (BRH), qui avait la responsabilité des Caisses d’épargne, M. Bellamy bénéficiait de la sympathie du président de la République, Jovenel Moïse, qui avait la prétention d’en faire son dauphin. Aussi M. Bellamy figurait-il sur une courte liste de candidats à la présidence qu’envisageait celui-là. Toutefois, l’enquête diligentée sur ces deux derniers cas continue de piétiner. Conformément à la pratique relative aux investigations sur les crimes perpétrés, à la capitale, de tels dossiers finissent par atterrir aux oubliettes. Les meurtriers des cinq victimes dont les noms précèdent courent encore. Pourtant on se croyait en droit de s’attendre à ce que les auteurs de ces crimes soient appréhendées. Tout au moins celui de Norvella Bellamy, qu’on fait passer pour un protégé du président Moïse.
Mais le crime dont est victime Monferrier Dorval a un caractère particulier. Si les autres enregistrés jusqu’ici sont imputables au pouvoir qui, par le truchement de ses nombreux hommes de main et des gangs armés à sa solde, détient le monopole des crimes, la manière dont a été perpétré l’assassinat de cette dernière victime porte l’empreinte du régime Moïse-Jouthe. Le Palais national et la primature auront toutes les peines du monde à éloigner d’eux les preuves qui se sont accumulées.
En effet, on ne peut pas croire que Pèlerin 5, quartier stratégique, en raison de la maison du chef de l’État qui s’y trouve, soit choisi au hasard par des assassins pour exécuter un tel crime. On y a enregistré une série d’incidents qui n’auraient jamais pu se produite sans mettre en branle le système de sécurité déployé, et composé de patrouilles mobiles et fixes. Quand on sait que les personnes qui passent par la seule et même barrière desservant ce quartier, à bord de véhicules ou à pied, sont exposées à une vérification sécuritaire minutieuse, on ne peut concevoir que des assassins puis sent y passer sans éveiller la curiosité des sentinelles. À moins que les criminels soient connus de ces dernières, qui auraient été, sans doute, avisées du déroulement de l’opération scélérate.
À signaler aussi un incident insolite survenu dans le quartier où réside le chef de l’État et sa famille, encore connu comme «zone stratégique», qui ne saurait subir de blackout, à l’instar de la zone où se trouve logé le Palais national. Pourtant, Pèlerin 5 s’est vu priver d’électricité pendant au moins deux heures. Le temps nécessaire pour les assassins de quitter la maison familiale du président pour, se rendre chez Me Dorval, et retourner au point de départ, sans être ni vus ni entendus.
Les auteurs de ce crime ont ajouté une autre couche de protection à leur entreprise assassine. Afin d’étouffer le crépitement des balles, au moment d’exécuter le crime, un spectacle de feux d’artifice a été offert comme si venu de nulle part et de partout. Car, les résidents de Pèlerin 5 auraient dû être avisés du déroulement d’une telle séance de divertissement. Mais personne ne savait ni n’a été informé de la tenue d’un tel amusement.
Certes, d’autres indices sont venus s’ajouter à ceux déjà explorés. Il s’agit, par exemple, d’une autre personne, dont, cette fois, l’arrestation a été annoncée sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’un employé du bureau, à la résidence de la première dame, de Martine Moïse, au Palais national, appelé Makender Fils-Aimé, qui travaille aussi à la secrétairerie d’État à la Défense ayant pour patron Ardouin Zéphyrin, directeur d’intelligence de la résidence officielle du président de la République. On rapporte aussi que le téléphone portable de Me Monferrier avait été localisé au Palais national, samedi avant-midi. Par la suite, on apprenait qu’il a été retrouvé en possession de ce même Makender Fils-Aimé.
L’histoire de l’enquête sur l’assassinat de Me Dorval se corse avec le nom de Martine Moïse impliqué dans le crime. Dès lors, on ne peut que conclure que plusieurs pistes renvoient au Palais national. À la lumière de tous ces faits, il faut conclure que, dans la mesure où Fils-Aimé se trouve lié à la première dame et à Ardouin Zéphyrin, ainsi qu’à d’autres membres de l’équipe présidentielle, les enquêteurs ont l’obligation d’interroger les hommes et femmes proches de la présidence, y compris le président et le premier ministre. Il faut bien se demander pourquoi cet homme fait partie de l’équipe de tueurs choisis pour faire cette sale besogne.
Tout compte fait, il y a de fortes chances que l’enquête sur le meurtre du bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince mène les enquêteurs jusqu’au fond du Palais de Jovenel Moïse. Pour y arriver, la nation doit avoir recours à tous les moyens pour lancer et maintenir la mobilisation, en vue d’identifier les vrais assassins de Monferrier Dorval. Surtout que les dernières informations font croire que les «patrons» de Makender Fils-Aimé ont fait de fortes pressions pour qu’il soit élargi. Il se pourrait qu’on entende aussi qu’il se serait suicidé! Ce crime doit être le dernier que commet le régime PHTKiste dirigé par Jovenel Moïse.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur New York VOL. L No. 35, édition du 9 septembre 2020 et se trouve en P. 10 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/09/H-O-9-sept-2020-1.pdf