La Plainte sur les Transferts et les Appels Téléphoniques


La PLAINTE SUR LES TRANSFERTS ET LES APPELS TÉLÉPHONIQUES par Léo  Joseph

  • Première comparution dans un mois
  • Déjà, la Digicel se déclare innocente; La Unibank : Une affaire qui concerne la justice haïtienne

Les différentes entités assignées, dans le cadre de la plainte sur les USD 1,50 sur les transferts d’argent effectués en diaspora et USD 0,05 minute sur les appels téléphoniques, ayant été signifiées, les avocats de la Digicel et de la Unibank commencent à se prononcer. Alors que le gouvernement haïtien, Jovenel Moïse, Jocelerme Privert, Michel Martelly, gardent encore le silence, la Digicel se déclare innocente des accusations avancées. De son côté, la Unibank/ Unitransfer argue que le cas relève uniquement de la justice haïtienne, dès lors évoquant l’incompétence du Tribunal fédéral des États-Unis à être saisi du dossier. Marcel Denis, un des avocats de l’accusation, a informé que tous les accusés veulent que la plainte soit transférée à une juridiction haïtienne.

Les conjectures émises à propos de cette plante font finir dans quelques semaines, le juge chargé du dossier ayant annoncé la date à laquelle se tiendra la première audience.

Mais le juge LaShann DeArcy Hall vient d’émettre un ordre de comparution pour le 10 avril 2019, à 3 h. p.m., afin de statuer sur la motion de « non-lieu» présentée par « les accusées Unitransfer USA, inc., Caribbean Air Mail, inc., Unigestion Holdings, S.A. et Western Union », dans le cadre de la plainte déposée le 24 décembre 2018 par des membres de la diaspora contre ces entreprises. En sus du gouvernement haïtien et les nommés Michel Martelly, Jocelerme Prvert et Jovenel Moïse qui ont exercé le pouvoir, de 2011 à aujourd’hui.

L’ordre du juge Hall indique que l’audience aura lieu à la salle 4H North.

À coup sûr, la décision qu’aura émise le juge Hall donnera une idée de ce que les trois anciens chefs d’État et l’actuel président, qui ont mis en place les infrastructures de collecte des plus d’USD 500 millions $ provenant des transferts d’argent et des appels téléphoniques, et les ont exploitées ensuite. Surtout que ces derniers tardent encore à donner signe de vie par rapport à l’assignation dont copies leur ont été transmises récemment.

Une source proche de l’accusation a révélé que l’assignation a été signifiée à Michel Martelly, à sa maison sise à Peggy-Ville; ainsi qu’à Jocelerme Privert, en sa résidence; et à Jovenel Moïse, au Palais national.

Entre-temps, la Western Union, par le truchement de ses avocats, a rejeté la plainte en faisant remarquer que l’accusation n’a pas précisé clairement l’objet de la plainte. De ce fait, elle a de- mandé au juge de débouter les demandeurs.

De son côté, la Digicel fait valoir son innocence, déclarant n’avoir contribué à aucune conspiration visant à escroquer la diaspora, comme l’entend l’accusation. Aussi souhaite-t-elle que le juge en charge du dossier, au Tribunal fédéral de l’Eastern District de Brooklyn, refuse d’entendre la plainte.

Quant à la Unibank, elle avance l’argument selon lequel le cas relève de la justice haïtienne. D’où sa requête au juge Hall de déclarer le Tribunal fédéral incompétent à connaître le dossier.

En attendant que le juge décide, oui ou non, de la compétence du Tribunal fédéral d’entendre l’affaire, les conjectures fusent de toutes parts. Certains observateurs pensent qu’il est possible que ceux qui demandent au juge Hall de déclarer l’irrecevabilité du cas aient gain de cause. Pour d’autres, Michel Martelly, qui semble bouder la plainte, pourrait essuyer une condamnation par contumace.


Des arguments solides contre tous les accusés

À la lumière des faits accumulés par l’accusation, on est en droit d’émettre l’opinion que les avantages ne sont pas du côté des accusés. Pour Michel Martelly et Laurent Lamothe, son bras droit et celui qui est précisément à l’origine de cette conspiration, n’avaient aucune qualité juridique pour imposer ce que Martelly qualifie de «taxe» sur les transferts d’argent et les appels téléphoniques.

En effet, les impositions en question ont été mises en place uniquement à la faveur d’un arrêté émis par M. Martelly, presque immédiatement après sa prestation de serment; ainsi qu’une circulaire diffusée par Charles Castel, alors gouverneur de la Banque centrale. Pourtant la Constitution prévoit qu’il appartient seulement au Parlement l’autorité de promulguer des lois, et au président de la République de les signer.

D’autre part, Michel Martelly avait, dans le cadre d’une intervention à l’adresse de la diaspora, sur la Radio nationale, expliqué les raisons de ces taxes qui, selon lui, devaient assurer le «financement de l’éducation obligatoire et universelle». Dans la foulée, il exhortait les Haïtiens vivant à l’étranger à contribuer au développement du pays grâce à la participation de chacun à un fonds d’entraide au rythme d’un dollar par semaine. Heureusement que la diaspora a passé outre à cette invitation. Autrement le détourne- ment de fonds imputé à Michel Martelly et aux gouvernements qui l’ont succédé pourrait se chiffrer à plus d’USD 1 milliard $.

Dans une autre vidéo diffusée ultérieurement, Dennis O’Obrien, le patron de la Digicel, s’est affiché avec Martelly lors d’une prestation visant à appuyer l’imposition des taxes en question.

Pour n’avoir pas attendu la promulgation d’une loi sur les taxes d’USD 1,50 par transfert et de 0,05/minute sur les appels téléphoniques par le Parlement, l’acte posé par Martelly est jugé contre la loi, donc frappée d’illégalité. Aussi, l’ex-président a-t-il agi à titre personnel, et dès lors sujet à poursuite judiciaire aux yeux de la justice. Cette idée trouve sa confirmation dans le Manuel de droit administratif haïtien d’Enex Jean-Charles qui stipule : « La faute commise par un fonctionnaire identifié agissant dans et à l’occasion de l’exercice de ses fonctions est une faute de service. Dans ce cas, la seule responsabilité de l’Administration, appréciée par le juge suivant des règles de droit administratif, est mise en cause.

«En revanche, la faute sera considérée comme détachable du service, donc une faute personnelle, si l’action du fonctionnaire coupable révèle plutôt l’homme ou la femme avec ses faiblesses, ses passions et ses imprudences. En conséquence, seule la responsabilité de l’individu concerné est mise en cause par-devant les tribunaux de droit commun ».

Des arguments peu convaincants des accusés

Les arguments invoqués par les entreprises accusées d’être parties prenantes de la conspiration anti- diaspora sont, pour le moins, peu convaincants. Dans le cas de la Digicel, son propriétaire, Dennis O’Brien avait tant cautionné l’initiative qu’il s’était présenté avec Martelly dans une vidéo dans lequel les deux faisaient l’éloge des taxes.

Il faut rappeler aussi que M. O’Brien était au courant du détournement de ces fonds puisqu’il avait fait une dénonciation en ce sens au New York Times. Selon lui, USD 20 000 $ étaient introuvables. Il avait déclaré alors au journal qu’il allait demander au président Martelly qu’une enquête soit effectuée pour retrouver cet argent. Depuis ces révélations de Dennis O’Brien, plus rien n’a été indiqué en ce qui a trait aux 20 millions.

D’autre part, toutes les compagnies accusées dans la plainte ont fait chorus autour de l’application des taxes. Pourtant, MoneyGram, une autre firme offrant le service de transfert d’argent, a refusé de participer à cette entreprise. De toute évidence, cette compagnie a décidé de suivre le conseil de ses avocats ayant, dit- on, attiré son attention sur les violations potentielles de lois fédérales et de celles d’autres États des États-Unis régissant les activités commerciales qui peuvent découler des pratiques instituées par Michel Martelly et observées à la lettre par ses successeurs.

À signaler aussi que la gestion, dans l’opacité, des fonds générés par l’application de ces taxes instituées par les administrations Martelly-Lamothe et Martelly-Paul, puis perçus régulièrement sous l’administration Privert-Jean-Charles, celle de Moïse-Lafontant et ensuite Moïse-Céant, n’a pas été révisée. On peut aisément conclure que par leurs gestes et leur pratique, les régimes qui ont succédé à Michel Martelly sont logés à la même enseigne que lui en ce qui concerne les plus d’USD 500 millions $ issus des taxes imposées sur la diaspora.

Dans moins d’un mois, les parties en litige se retrouveront face à face devant le juge LaShann DeArcy Hall, au Tribunal fédéral de l’Eastern District, à Brooklyn. Rappelons que l’audience aura lieu à la salle 4H North, à 3 heures de l’après-midi. l.J.


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 20 mars 2019 et se trouve en P. 1, 2, 12 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2019/03/H-O-20-mars-2019.pdf