EN HAÏTI, LA JUSTICE EST DÉLIBÉRÉMENT ANTI-JUSTICE
- Le cas de l’avocate Mireille Branchedor, un méga scandale par Léo Joseph
En Haïti, le système judiciaire ne s’est pas remis de la mauvaise réputation qui lui est généralement attribuée, dans la presse internationale aussi bien que dans les médias haïtiens. Mais, sous les régimes PHTKistes ― encore davantage, depuis l’arrivée de Jovenel Moïse au pouvoir ―, les scandales à rebondissements n’ont cessé de surgir dans ce secteur. Des faits de dépossessions, officielles et privées, aux dossiers criminels de toutes natures relégués aux oubliettes, notamment les cas d’assassins courant encore, en passant par ceux de meurtriers hébergés par les dirigeants, la liste ne cesse de s’allonger. Mais le cas unique d’une avocate, membre du barreau de Mirebalais, s’ajoute au cortège de dérives constatées dans l’application de la justice.
En effet, quand, le 28 mai 2019, Me Mireille Branchedor a été l’objet d’une brutale agression par des hommes, au-delà de toute attente, ce n’étaient pas des malfrats classiques qui terrorisent les familles, mais des hommes de loi, plus précisément, un commissaire du gouvernement et des associés du tribunal de première instance de Croix des Bouquets ainsi qu’un juge de paix et des policiers. Débarqués inopinément sur une propriété de campagne de la victime, située à Borgela, commune de Croix des Bouquets, ces officiels judiciaires, menés par le commissaire du gouvernement de cette juridiction, Maxime Augustin, infligèrent une bastonnade sauvage à cette femme, qui en fut sortie avec le visage tuméfié par les coups et le bras gauche fracturé. On ne peut expliquer l’humiliation et le traumatisme émotionnel qu’a endurés cette avocate, victime de collègues avocats, et, du chef du Parquet de Croix des Bouquets qui ont la responsabilité de faire respecter la loi. Avocate, âgée de 40 ans, doublée d’une mère de deux filles (3 et 8 ans), Me Branchedor se croyait autorisée à miser sur l’impartialité de la justice de son pays pour avoir justice. Autant dire qu’elle ne s’attendait point à subir la friponnerie et la corruption dont s’est rendue coupable la justice haïtienne.
À noter que le cas de Mme Branchedor était parvenu à notre attention, l’année dernière, quand a été exposé cet acte barbare qu’avait perpétré le commissaire du gouvernement Maxime Guillaume. Mais, on ne pouvait imaginer que les autorités judiciaires au raient laissé traîner un tel scandale, qui risque d’abimer davantage la réputation de la Justice haïtienne tardant à prendre les sanctions qui s’imposent contre les contrevenants. Surtout quand il s’agit d’actes criminels perpétrés par des autorités judiciaires.
La genèse de l’incident
Interrogée par l’auteur, Me Branchedor a exposé l’incident qui prend l’allure d’une descente d’une équipe de mafiosi. Aussi, a-t-elle expliqué : aux environs d’une heure de l’après-midi, ce 28 mai 2019, elle reçut un appel du gardien de la propriété l’informant de l’envahissement de la résidence par « des hommes lourdement armés ». Sur ces entre-faits, dit-elle, elle s’est rendue auprès de son collègue, Me Bénito Séïde qui lui a conseillé de «requérir la présence d’un juge de paix aux fins de constater la présence de ces hommes armés ». Au Tribunal de paix de Croix des Bouquets, Mme Branchedor obtint l’assistance du juge de paix Mérilan Jonathan. Ce dernier se fit accompagner d’un greffier (prénommé Alfred) ainsi que d’un policier, qui se sont rendus sur les lieux avec elle.
Arrivée sur sa propriété, elle vit le commissaire du gouvernement de Croix des Bouquets, Maxime Guillaume, avec ses alliés, notamment : les substituts Eddy Dérice, Edler Guillaume, Jean Josué et Jean Saint-Lot Ménéus, en sus du juge de paix Hermano Alexandre, accompagnés d’une trentaine de personnes armées, y compris des policiers.
Commissaire du gouvernement de Croix des Bouquets, Maxime Guillaume se trouvait sur la propriété de Mireille Branchedor en la double capacité qu’il s’est attribué en tant qu’avocat d’un client qu’il représentait, dans le cadre d’un contentieux contre elle. Celle-ci affirme être propriétaire de bon droit, en vertu d’un jugement en sa faveur, au détriment de la partie qui cherchait obstinément à avoir gain de cause. C’est donc en vertu d’une action qui ne se relevait même pas de ses compétences de commissaire du gouvernement que Me Guillaume se trouvait sur la propriété de la victime, mais bien en celles d’un avocat défendant les intérêts de ses clients (conflit d’intérêts ?). Une question que les autorités concernées devraient déterminer.
Des autorités judiciaires en flagrant délit de voies de fait
Des voies de fait perpétrées, un acte qui traduit l’instinct animal chez son auteur est généralement sévèrement puni par la loi, même haïtienne. Mais il devient encore plus grave quand cela relève de pratiquants du droit; et même un scandale hideux quand les auteurs sont des officiels judiciaires.
Présent avec ses hommes, y compris le juge de paix, soi-disant pour effectuer des scellées sur la propriété, l’avocate s’y est opposée, arguant que « l’article 872 du Code de procédure civile n’autorise point de telles mesures sur une propriété occupée », puisque, a déclaré Me Branchedor, le gardien est bien présent. Mais le substitut Jean Saint-Lot Ménéus a répondu qu’il ne reconnaît aucun texte de loi interdisant la pose des scellées, tout en déclarant sa demande « irrecevable ». Aussi, celui-ci a-t-il demandé de manière agressive à la propriétaire de vider les lieux illico. Ce qui a porté cette dernière à suggérer au juge de paix Mérilan Jonathan de dresser le procès-verbal de l’incident. À l’instant même, le commissaire du gouvernement, Maxime Augustin, et le substitut Jean Saint-Lot Ménéus ont interdit à Me Jonathan de dresser le procès-verbal.
À ce moment, le substitut Jean Saint-Lot Ménéus a lancé un ultimatum à Mireille Branchedor, l’enjoignant de quitter sa propriété, sous peine d’en être expulsée « manu militari ». Alors l’avocate décrit en ces termes l’incident qui s’est produit. Le substitut Jean Saint-Lot Ménéus « m’a tenue au collet, m’a frappée brutalement au bras gauche et m’a aussi frappée à la poitrine… Il a pris mon arme à feu, qui se trouvait à ma ceinture, mon portefeuille contenant ma carte professionnelle, permis d’arme à feu, plusieurs autres pièces, y compris une somme d’argent ».
Le substitut Ménéus s’en est également pris au collègue de Mme Branchedor, Me Séïde Bénito, sous prétexte qu’il se servait de son portable pour photographier les scènes de violence qui se déroulaient. C’est pourquoi il s’est aussi saisi de son téléphone.
La justice vassalisée reste muette
Voilà déjà plus d’une année plus tard, la justice tarde à se prononcer sur ce dossier. Maxime Guillaume a été, certes, remplacé à la tête du parquet de Croix des Bouquets, mais maintenu dans le système judiciaire. Pour comble d’insouciance de la part des autorités judiciaires, Edler Guillaume, qui a aussi participé à la séance d’agression sur Me Branchedor, est nommé commissaire du gouvernement a.i. à sa place. Et aucune mesure de censure n’a été prise à l’encontre de ces hommes.
C’est définitivement l’occasion de reconnaître, encore une fois, que la justice, en Haïti, est réservée au plus offrant et au dernier enchérisseur, ou bien que les décisions de justice sont dictées par ceux qui détiennent le pouvoir. À titre d’exemple, dans ce cas spécifique, on apprend que Me Maxime Guillaume a épousé la cousine de la première dame, Martine Joseph Moïse. Un autre cas d’instrumentalisation de la justice : bafouer les droits de la victime, le revers de la médaille quand le Palais national mobilise le système judiciaire du pays pour persécuter les citoyens.
Si les autorités judiciaires manquent de courage et d’intégrité professionnelle pour tenir tête au Palais national, dans le cadre de l’application des lois et de la Constitution du pays, les barreaux de la République devraient, tout au moins, porter leur solidarité à Mireille Branchedor. Faute d’avoir l’autorité nécessaire pour faire triompher la justice, un geste d’appui de la victime enverrait un message clair à tous ceux qui font obstacle à la loi et démontrera au monde entier que les avocats haïtiens se démarquent des dérives d’un pouvoir totalement corrompu. L.J.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur VOL. L, No. 41 Édition du 21 octobre 2020 et se trouve en P. 1, 2, 8 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/10/H-O-21-octobre-2020-1.pdf