SUITE AUX INTERVENTIONS DIRECTES DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
- Le projet d’élections faites sur risque de sombrer Par Léo Joseph
- En Haïti et aux Nations Unies, la France tire la sonnette d’alarme…
Le projet d’élections faites sur mesure, que Jovenel Moïse tente de pousser, ne fait pas l’unanimité auprès de la communauté internationale. Si l’ambassadeur de France, en Haïti, a décoché les premières flèches en direction de telles démarches, au Nations, à New York, le message transmis par Paris pourrait bien être une révélation à ceux qui ignorent la réalité haïtienne, et un réveil téléphoné à l’intention de ceux qui la méconnaissent. Dès lors, il faut se demander comment d’autres acteurs, principalement Washington, va continuer à afficher une attitude ambivalente à cette dernière dérive de Nèg Bannann nan.
En effet, contrairement à l’ambassadeur américain en Haïti et le secrétaire d’État Mike Pompeo ayant recours à la langue de bois, en abordant le dossier d’Haïti, sinon à faire usage d’un langage ambigu, que certains assimilent à une position mi-figue-mi-raison, la représentante permanente adjointe de France auprès du Conseil de sécurité de l’organisme international n’y va pas avec le dos de la cuillère pour cracher la vérité sur la situation socio-économique du pays, s’ingéniant à en jeter la responsabilité carrément sur l’occupant du Palais national.
Jovenel Moïse exhorté d’être « à la hauteur des circonstances »
Dans son intervention, lors d’une séance du Conseil de sécurité sur Haïti, ce lundi 5 octobre, Nathalie Broadhurst, a fait un discours, que d’aucuns diraient « incendiaire » concernant Haïti. Prenant la parole, en s’adressant au président, Mme Broadhurst a déclaré :
« Monsieur le Président
« Je remercie, à mon tour, la représente spéciale du secrétaire général en Haïti, Mme Helen La Lime, pour sa présentation extrêmement complète et éclairante.
« Haïti traverse actuellement une crise qui est, avant tout, politique. Nous observons, avec une grande préoccupation, la dégradation continue de la situation institutionnelle. Je le rappelle, en effet, faute d’élections, le Parlement n’est pas en mesure de siéger depuis le mois de janvier et le gouvernement nommé en mars n’a pas été investi. Nous déplorons que toutes les initiatives de dialogue aient échoué depuis deux ans. Pourtant, la résolution de cette crise, nous le savons tous, ne pourra advenir qu’à l’issue d’un dialogue national inclusif entre toutes les forces politiques du pays, notamment avec l’opposition, la société civile et le secteur privé. Ce dialogue est indispensable pour garantir pour garantir l’organisation crédible et transparente des prochaines échéances électorales et de la révision de la Constitution, si tel est le souhait des Haïtiens. La France exhorte le président Jovenel Moïse à être à la hauteur des circonstances pour mettre fin à cette situation de blocage.
« Cet appel à la responsabilité politique est d’autant plus nécessaire que la crédibilité des institutions est profondément ébranlée en Haïti, ce par des affaires de corruption. La société civile haïtienne réclame depuis de nombreuses années la transparence face à ces affaires qui détruisent la confiance de la population envers leurs institutions. Prendre en compte ces revendications est une condition essentielle pour renouer le lien de confiance avec la population haïtienne. C’est pourquoi la lutte contre la corruption doit être la priorité absolue de la classe politique haïtienne.
« Enfin, la société haïtienne a des exigences tout à fait légitimes en matière de sécurité et de respect des droits de l’homme qui doivent être entendues par les autorités. Nous condamnons fermement l’assassinat de Maître Dorval, le bâtonnier du barreau de Port-au-Prince, le 28 août dernier. Ce meurtre est un symbole extrêmement inquiétant de l’augmentation de l’insécurité depuis le début de l’année et de la violence par les gangs qui sévissent en toute impunité. Je pense également aux massacres de La Saline et de Bel-Air qui ont donné lieu à des rapports accablants des Nations Unies. Face à cette situation, il est indispensable que l’État haïtien assure la sécurité de ses citoyens et garantisse que les responsables de ces violences répondent de leurs actes devant la justice. La Police Nationale d’Haïti se mobilise pour y faire face; elle se doit d’être irréprochable pour faire respecter l’état de droit.
« En outre, nous le savons, la pandémie de Covid-19 est venue peser sur une situation économique, humanitaire et sociale déjà extrêmement dégradée. Des millions d’Haïtiens vivent dans une précarité importante et cette tendance s’accentue. La France et l’Union européenne continueront de se mobiliser pour apporter toute l’aide humanitaire nécessaire pour répondre aux besoins des plus urgents ».
La représentante permanente de France auprès du Conseil de sécurité de l’ONU ne s’est par attardée seulement su le défi constitue les élections et le problème de la corruption battant son plein en Haïti, mais parlant au nom de son pays, elle a passé en revue toute la situation du pays. Continuant dans sa foulée, Mme Broadhurst ajoute :
« Monsieur le président,
« Nous sommes tous conscients que le caractère multidimensionnel de la crise en Haïti rend la résolution particulièrement complexe. Le BINUH, un an après son institution, s’est mobilisé sans relâche, sous le leadership de Mme La Lime, pour accompagner Haïti. Le travail que le BINUH mène, en appui au dialogue politique et en matière de gouvernance et en matière de renforcement de l’État de droit est absolument essentiel. Il doit être poursuivi et les moyens de mettre en pleinement en œuvre son mandat ». Monsieur le Président,
« Notre Conseil continuera à maintenir toutes sa vigilance et à prendre les mesures appropriées, notamment si la situation en Haïti devait continuer à se détériorer. Je souhaite enfin réaffirmer que la France se tient plus que jamais aux côtés d’Haïti et des Haïtiens pour faire face aux défis de la crise actuelle et également pour construire l’environnement de stabilité et de prospérité auquel ils aspirent bien légitimement.
« Je vous remercie ».
Même son de cloche du côté de l’ambassade de France
Pour sa part, l’ambassadeur de France, qui ne fait jamais d’économie de mots dans ses interventions sur la situation prévalant en Haïti, avait précédemment articulé la politique de son pays, à l’égard du régime Moïse-Jouthe, en exprimant les mêmes idées.
Lors d’une brève visite à Jacmel, dans le département du Sud-Est, jeudi 1er octobre, l’ambassadeur José Gomez a exprimé ses réserves par rapport aux élections que se propose d’organiser le président haïtien. Selon le diplomate français, les conditions ne sont pas réunies pour que se tiennent des élections justes, démocratiques et crédibles. À son avis, plusieurs raisons posent obstacle au bon déroulement des opérations électorales envisagées par Jovenel Moïse.
D’abord, il attire l’attention sur le fait que le CEP, tel que constitué, n’inspire pas confiance aux acteurs politiques appelés à participer aux joutes électorales. Selon la Charte fondamentale du pays, la formation du Conseil électoral, dans les conditions légales et constitutionnelles, est un passage obligé. « Il faut y arriver », dit-il.
José Gomez évoque, en même temps les raisons techniques qui empêchent de lancer le processus. Car, fait-il remarquer, les cartes électorales ne sont pas disponibles. Or, on sait que, au rythme que Jovenel Moïse et la compagne allemande Dermalog, qui a la responsabilité de fabriquer ces cartes, celles-ci ne seront pas prêtes avant deux ans au moins.
Pour l’ambassadeur Gomez, la présence des gangs armés, faisant la pluie et le beau temps, ne saurait favoriser le déroulement des élections dans la paix et la sérénité. Selon lui, « On ne peut pas garantir de bonnes élections quand le territoire est contrôlé par des gangs ».
Ces arguments en béton avancés par le diplomate français ajoutés aux critiques sévères de la politique générale de Jovenel Moïse constitue un coup dur contre, non seulement les élections contemplées par l’occupant du Palais national, mais de l’eau apportée au moulin de l’opposition qui, depuis déjà plusieurs semaines, bat la grosse caisse autour de la relance de la mobilisation, en vue de mettre fin au mandat du chef de l’État dont elle veut l’expulsion du Palais national avant même le terme constitutionnel de son quinquennat prévu pour le 7 février 2021.
L’intervention sur Haïti de la représente adjointe de France, auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies, dénonçant la tenue des élections, dans les conditions envisagées par Moïse, ainsi que la crise multidimensionnelle dans laquelle se débat le pays, risque d’influencer l’attitude d’autres pays, mais assurément ceux représentés au sein du CORPS Group, dans le sens d’une opposition musclée aux velléités dictatoriales de Jovenel Moïse dont les manifestations sont la mise au rancart du Sénat de la République, suivie de décrets en cascades entraînant des décisions anticonstitutionnelles et illégales. Des mesures qui ne font qu’exacerber la crise.
Il faut signaler aussi que la position exprimée par Mme Nathalie Broadhurst, aux Nations Unies, constitue un blâme décerné à la gestion catastrophique du président haïtien et une condamnation sans appel de ses nombreuses dérives qui l’ont mis en porte-à-faux par rapport à l’opposition. Selon toute vraisemblance, il faut s’attendre à des prises de positions différentes de la part des autres diplomates accrédités en Haïti. En tout cas, la donne diplomatique paraît changée. Autrement dit, Jovenel Moïse semble se retrouver tout seul dans la promotion de ses élections chimériques.
- L.J.
Cet article est publié par l’hebdomadaire Haiti-Observateur, édition du 7 octobre 2020, VOL. L No. 39 et se trouve en P. 13, 14 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/10/HO7October2020-1.pdf