ÉDITORIAL
- Quoi que fasse et dise Jovenel Moïse, la fin de son mandat arrive
Après la publication par la Cour supérieure des comptes et du Contentieux administratif (CSC/CA de son second rap port sur l’utilisation du Fonds PetroCaribe, ainsi que les premières révélations le concernant, le pays semble crier d’une seule voix déclarant arrivée la fin du mandat de Jovenel Moïse. Mais, il paraît aussi que le président haïtien feint de ne pas comprendre l’ampleur de l’opposition contre lui, optant, de préférence, pour écouter les avis de ses proches collaborateurs lui faisant croire le contraire.
Si son obstination à ignorer les revendications populaires et les cris d’opposition à ses politiques, dont les échos montent dans les rues de la capitale et de nos villes de province, et jusqu’aux derniers recoins de l’arrière-pays, l’a jusqu’ici plus ou moins bien servi, la réalité a brusquement changé. Car la majorité des citoyens sont en mode de «démission » du chef de l’État, une étape qu’ils jugent incontournable.
Dans le deuxième rapport de 610 pages de la CSC/CA, celle-ci dit avoir fait une «découverte troublante». En effet, souligne le document, dans l’année 2014, l’État a passé deux contrats identiques pour le même chantier, au profit de deux sociétés ayant deux patentes de même numéro, en vue de la réhabilitation du tronçon de route Borgne-Petit-Bourg de Borgne, pour plus de 39 millions de gourdes (39 990 399 gdes). Les sociétés en question, «Agritrans», spécialisée dans la culture de banane pour l’exportation, dont Jovenel Moïse était le président avant son élection à la présidence; et «Betexs». L’organisme de contrôle souligne également : «Les deux entreprises ont réalisé distinctement les mêmes ouvrages aux mêmes dates». Une situation qui porte les juges à dénoncer «un stratagème de détournement de fonds».
Bien que ces derniers n’aient audité, dans ce second rapport, que 77 % du total des contrats votés par résolution en conseil des ministres, avant de transférer le document au Bureau de monétisation des programmes d’aide au développement (BMPAD), puis vers les institutions sectorielles ayant la responsabilité de la mise en œuvre des ouvrages en question, les évidences sont jugées extrêmement accablantes quant à la participation du président de la République à un projet ayant l’allure d’une opération de malfaiteurs. D’aucuns oseraient dire que l’appréciation des juges de la CSC/CA affiche une sévérité outrée à l’égard de M. Moïse. Mais, président de la République de qui on doit s’attendre à un comportement exemplaire, surtout qu’il a prêté serment de respecter et de faire respecter la Constitution et les lois du pays, Jovenel Moïse n’a pas sa place au Palais national, étant participant au pillage du Fonds Petro Caribe.
Ici, à Haïti-Observateur, ce méga scandale qui vient d’éclater autour du premier citoyen de la République, nous interpelle d’une manière particulière. Car nous avons déjà préconisé la mise à l’écart du chef de l’État, avant même la publication du second rapport de la CSC/CA. Car, selon nous, les dérives du président Moïse, ses nombreuses violations des normes établies, en sus des politiques désastreuses qu’il a menées, étaient déjà telles qu’il n’avait plus l’intégrité requise ni la qualité morale nécessaire, encore moins les compétences indispensables pour continuer à diriger les destinées de la nation.
Il convient d’ajouter à toutes ces failles, la plus longue crise socioéconomique multidimensionnelle que la nation ait jamais connue, en fonçant les classes les plus vulnérables dans le dénuement abject. Mais, pardessus tout, entraînant la misère sur toutes les classes sociales. Durant ses 26 mois au pouvoir, la politique du laisser-faire de Jovenel Moïse a continué la destruction de l’économie et favorisé la dégradation du système sécuritaire entamée avec Michel Martelly. Aujourd’hui, le peuple haïtien.
endure le mal gouvernance caractéristique de l’administration Tèt Kale : État insolvable, économie en banqueroute, le crime organisé tenant le haut du pavé, l’insécurité omniprésente et le pays livré aux gangs armés recrutés, armés et financés par le pouvoir ; ainsi que la dégringolade de la gourde suivant inexorablement son cours, jusqu’à atteindre présentement le taux de 95 gourdes pour un dollar. Tandis qu’au commencement de l’ère «Tèt Kale», le taux d’échange était à 40 gourdes pour un dollar.
Voilà où la politique de Jovenel Moïse a conduit Haïti, au moment de la remise du rapport de la CSC/CA aux présidents des Chambres législatives. Dans la mesure où les données révélées dans ce document relatives au président de la République dénoncent une œuvre de délinquant assimilable à des malfaiteurs, cela ne fait que confirmer des faits mille fois évoqués concernant M. Moïse. Qu’on se le rappelle, ce dernier a prêté serment comme chef d’État alors qu’il était sous le coup d’une inculpation pour blanchiment d’argent. L’accusation portée contre lui par l’Unité centrale de référence fiscale (UCREF) met en évidence l’acte d’un citoyen engagé dans des activités illicites. Puisqu’il s’agit d’une somme d’USD 5 millions $ d’origine douteuse qui avait été déposée dans un des comptes de Jovenel et de Martine Moïse en résidence à la Banque Nationale de crédit (BNC).
Le fait d’associer le premier citoyen du pays à une telle affaire en dit long de son caractère et de son intégrité morale, voire quand il est question du président de la République appelé à être un modèle à tous les points de vue. Le fait de recourir à tous les procédés inimaginables pour éviter de coopérer avec la justice, en vue de tirer cette affaire au clair, en dit encore davantage de la nature de notre président. Certes, dans ses démêlés avec l’UCREF, il s’est engagé dans des négociations souterraines pour se faire blanchir par le juge d’instruction chargé du dossier, n’ayant même pas hésité à mettre en disponibilité le directeur général de l’institution accusatrice.
Aujourd’hui encore, il s’est attaqué au rapport de la CSC/CA, par le truchement de ses thuriféraires, qualifiant le document de persécution politique. Quant à M. Moïse lui-même, il a déclaré dans une intervention sur cette affaire que «C’est moi le président, seul autorisé à soumettre l’enquête sur le Fonds PetroCaribe à la Cour supérieure des comptes». Et non le Sénat de la République. Pourtant il n’avait formulé aucune objection lorsque Joseph Lambert, alors président du Sénat, avait, de concert avec les alliés de la présidence au Sénat, acheminé le dossier à cette institution, au grand dam des sénateurs de l’opposition. Mais Moïse, lui-même, lors de sa visite à Paris en décembre 2017, n’avait-il pas affirmé que c’est lui qui avait contraint le Sénat de remettre le rapport à la CSC/CA ?
De toute évidence, après tout ce que l’on sait de Jovenel Moïse, le rapport de la CSC/CA constitue un coup de massue pour lui. Puisque les révélations du document le concernant ont suscité une vague de demandes pour qu’il se retire tranquillement avant de «se rendre à la justice». Voici le tweet adressé individuellement à Dan Albertini, le chroniqueur de «Diplomatie internationale et société», à Haïti-Observateur : «À l’instar de Otto Perez (Guatemala), Pedro Pablo Kuczynski (Pérou), Jacob Zuma (Afrique du Sud), englués dans des scandales de corruption, Jovenel Moïse doit démissionner pour se mettre à la disposition de la justice. Sois un Homme pour une fois, M. le Président! Pa fè lach ! »
Ancien ministre de la Justice (le premier qu’a choisi Jovenel Moïse), doublé d’un juge d’instruction, Me Heidi Fortuné sait de quoi il parle. À coup sûr, ses propos s’inspirent de son analyse des faits. C’est aussi le point de vue émis par Himler Rébu,
ex-sous-secrétaire d’État à l’intérieur de l’administration Martelly-Paul.
Voici ce qu’a déclaré José Gomez, ambassadeur de France en Haïti, deux jours avant la diffusion du rapport de la CSC/CA, dans une interview au Nouvelliste, interview publiée dans l’édition du 4 juin 2019 : « (..) Il est insupportable, dans un pays pauvre comme Haïti, que des centaines de millions de dollars, dans le cadre de PetroCaribe, aient été détournés. Les gens ne l’acceptent pas ! Ils ont raison de ne pas l’accepter. Ce que nous souhaitons, par exemple, c’est que la Cour des comptes remette, dès que c’est possible, au Parlement la deuxième partie de son rapport. À cet égard, les pressions qui sont exercées sur la Cour des comptes pour qu’elle ne remette pas la deuxième partie de ce rapport sont inacceptables dans une démocratie».
Plusieurs parlementaires haïtiens sont du même avis que MM. Fortuné et Rébu. Et bien d’autres intervenants de la société civile, du monde des affaires et d’autres secteurs de la vie nationale parlent dans le même sens. Sans oublier les militants traditionnels qui sont sur la brèche depuis longtemps quant au scandale Petrovaribe, le secteur démocratique et populaire, les petrochallengers et bien d’autres organisations et personnalités. En un mot, c’est tout le pays qui demande que Jovenel Moïse démissionne et se mette à la disposition de la justice.
Sans aucun doute, Jovenel Moïse ne peut plus rien faire ou dire qui peut changer les choses. Le sort en est jeté ! Tant pis pour lui s’il persiste à feindre d’ignorer ce qui se passe…
cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 5 juin No.23 P.10 et se trouve à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2019/06/H-O-5-juin-2019.pdf