TRISTE CÉLÉBRATION DE LA FÊTE DU COMPAS DIRECT

[Triste célébration de la fête du compas direct : Véritable signe avant-coureur d’un imminent danger] par Robert Noël

Le 26 juillet ramenait la fête de Ste-Anne, qu’il ne faut pas confondre avec la Ste Cécile, la patronne des musiciens.Cette date coïncide avec la commémoration du compas direct, d’après le grand public. En toute logique, dans notre culture on ne baptise pas un enfant le jour de sa naissance. Certains considèrent le 26 juillet 1955 comme la date de naissance de ce genre musical. Elle pour- rait être vue plutôt comme la date du baptême de ce genre musical, puisque certaines des chansons que l’Ensemble de Nemours Jean-Baptiste d’alors offrait n’étaient que des reprises qui remontaient aux années 30-40, et qu’interprétait déjà le Jazz Guignard de François Guignard, le père d’Edner et de Félix « Féfé » Guignard.

Il ne faut pas confondre l’En- semble de Nemours Jean-Baptiste avec l’Ensemble Nemours Jean-Baptiste. Le maestro a eu, tour à tour, « Cojunto International », « l’Ensemble Aux Calebasses », « Jazz Ato- mik », « Pwèl Mondong (formé de musiciens improvisateurs qui se re- groupaient de temps en temps pour présenter des spectacles de qualité à l’appréciation des gens aisés des quartiers huppés de Port-au-Prince), etc.Tous ces orchestres représentaient les différents ensembles que Nemours Jean-Baptiste avait créés.Dans de tels cas, on parle d’ensembles de Nemours Jean-Baptiste.

Le compas direct et la nuit du 25 juillet 1955

S’il existe un certain lien entre juillet 1955 et le compas direct,ils’agit de la première date à laquelle Nemours Jean- Baptiste et ses collègues musiciens avaient fait leur première prestation, dans la nuit du 25 au 26 juillet 1955, au centre-ville de Port-au- Prince, à la Place Sainte-Anne.C’était bien en face de l’église, mais pas au kiosque qui, trop étroit, ne pouvait héberger les musiciens et les instruments. Les musiciens avaient leur regard dirigé vers l’église, c’est-à-dire vers le sud.

Derrière eux, à la Rue Saint Honoré, se trouve encore le Lycée Toussaint Louverture, où les jeunes de toutes les couches sociales venaient et viennent encore chaque jour pour recevoir le pain de l’instruction. Les parloirs funèbres Dodo Dufresne étaient situés diagonalement à cet espace de la Rue Carbone, délimitée à l’ouest par le Boulevard Jean-Jacques Dessalines et à l’est par la Rue de l’Enterrement.

L’orchestre a été placé à l’entrée sud de la Place Sainte Anne, au dehors, où la prise de courant électrique était effectuée à partir du pylône le plus proche de la Rue Carbone, où les marchands de fresco, de chanm-chanm et de pistaches (arachides) s’installaient quotidienne- ment. À l’époque, Nemours Jean- Baptiste invitait personnellement et encourageait les gens à venir au rendez-vous du 25 juillet, à la Place Sainte Anne. À l’époque, il roulait une voiture SIMCA et annonçait l’événement à l’aide d’un mégaphone / porte-voix, criant : M ap tann nou tout sou Plas Sentann le 25 jiyè. L’histoire a bonne mémoire.

L’état de santé du compas direct interpelle les consciences

Point n’est besoin, une nouvelle fois, de présenter la biographie du maestro Nemours Jean-Baptiste et la genèse des démarches qui ont abouti à cette forme de musique de danse. Encore une fois, de vains débats sans propositions de solutions ont été faits autour du devenir de ce genre musical. Plus on change le décor, plus c’est la même image qui se dessine dans l’esprit de tout le monde. Et l’on se pose les mêmes questions : Ou va le compas direct ? Comment le tirer du marasme dans lequel il est profondément plongé ? Chaque année, à pareille heure, des musiciens font valoir leurs opinions; et le prochain rendez-vous est pour le 26 juillet 2018.

Des musiciens du monde compas direct se montrent tous d’accord, au matin, que le compas direct se porte mal. Puis, au cours des soirées du lendemain et du surlendemain, ils clament que le compas va bien. Aujourd’hui, l’hypocrisie devient palpable dans ce circuit musical.Il y en a parmi ces musiciens qui déclarent publiquement que : tant que les An- tilles existent, le compas ne mourra pas. Voilà donc une philosophie qui montre que les musiciens ne visent pas vraiment le marché international.

Ces artistes ignorent sans doute que les Antilles avaient, dans un temps, empêché la diffusion du compas direct sur leur territoire, pour permettre l’épanouissement du genre musical zouk, qui a réussi. On ne doit pas les blâmer ni leur adresser des reproches insensés à cause d’une telle décision et mesure. Ils avaient raison. Il faut qu’on protège et conserve son patrimoine culturel, ce que les Haïtiens ne font pas.

Les pauvres productions ne feront pas avancer le compas direct

Comment donc comprendre que les stations de radio au pays ne diffusent pas suffisamment de la musique haï- tienne, particulièrement du compas? Avant l’ère de la technologie moderne et de l‘internet, la diffusion de la musique était très limitée et ne pouvait transcender les océans. Le compas direct avait moins de chance d’être apprécié par d’autres peuples. Le cas diffère aujourd’hui, certains animateurs affairistes iront peut-être dire qu’ils sont à la pointe de la technologie en affichant sur YouTube des vidéos de bals enregistrées en live. Ils ne se soucient même pas de la qualité sonore et de la résolution des images. Ils sacrifient tout pour essayer de faire du scoop.

Ils osent parler de vedettariat et de leur popularité, en sus de se considèrent avant-gardistes. N’est-ce pas un problème de conscience profondément troublée ? C’est un cas clinique et cette situation devient très triste. Au lieu d’en rire, il faudrait en pleurer, mais le courage manque à la grande majorité qui ne veulent pas les dénoncer au du public, alors que la qualité des produits qu’ils partagent sur les réseaux sociaux laisse à désirer. On peut faire mieux. L’industrie haïtien- ne de la musique fonctionne à l’image du pays.

Le marché musical haïtien est aujourd’hui pollué avec le nouveau concept musical qui consiste à créer un « beat » auquel on ajoute quelques paroles re-fourbies. On a affaire avec les partisans du moindre effort. Cette nouvelle forme musicale s’écarte non seulement du compas direct,mais elle est très mécanique. On tombe en plein dans le « tout voum se do ». Certains suggèrent d’augmenter les productions musicales, sans se rendre compte que ce petit marché local n’a pas la capacité d’absorption pour recevoir ces produits que nous offrent les nouveaux groupes. Ce marché est déjà au stade de saturation, la principale causé de son effondrement.

Les musiciens ne rêvent pas vraiment de changement

Les musiciens du compas ne s’intéressent pas vraiment au futur de ce genre musical qui constitue pourtant leur gagne-pain leur, ce qui leur permet de répondre à leurs besoins immédiats et à ceux de leur famille. Ces artistes sont satisfaits de leurs conditions de vie, particulièrement les créateurs de groupes musicaux. L’essentiel pour eux c’est d’avoir un contrat d’animation à honorer en fin de semaine. Feignant d’ignorant les indices qui montrent clairement que l’industrie haïtienne de la musique n’a aucune structure. Une restructuration en profondeur aiderait grande- ment. Comment expliquer qu’une industrie qui compte plus d’une cinquantaine de groupes musicaux, on ne parle que de quatre. Donc, le déséquilibre parait trop évident.

Combien de ces groupes musicaux avaient offert un spectacle gratuit sur la place publique en Haïti, à l’occasion de la soi-disant fête du compas direct, le 26 juillet ? Pourtant, ils disent qu’ils l’héritent du maestro Nemours Jean-Baptiste. Bon nombre d’entre eux sont en tournée en Haïti actuellement et cette date qu’ils ont prennent pour référence est passée inaperçue, n’ayant rien offert au grand public. Ils parlent même de ce flambeau que le maestro leur a passé.

L’intensité de la flamme diminue graduellement, car ces éternels héritiers n’alimentent pas la source. Du au manque d’éclairage, ces derniers trottinent, pensant voir le reflet de la lumière au bout du tunnel. Dépendant de l’angle à partir duquel on observe les faits, les bénéficiaires immédiats du compas direct s’illusionnent. La manne ne tombe plus du ciel, et le temps des miracles est révolu. Comment peut-on célébrer le compas direct dans de pareilles circonstances ? Il faut qu’on rebatte les cartes pour sauver un patrimoine en péril.

Le ministère haïtien de la Culture n’est pas non plus innocent dans le déclin de la culture haïtienne, particulièrement du Compas Direct. « Le ministère n’a pas de budget » demeure l’alibi utilisé pour justifier son silence et son indolence.On comprend qu’un ministère sans budget ne peut pas fonctionner. Dans un tel cas, il est préférable qu’on ferme les portes de ce Ministère qui n’aide en rien. robertnoel22@yahoo.com