Gonaives, samedi 17 janvier 2020 par Claudy Briend Auguste 

IN MEMORIAM

  • Hommages à mon père
  • Gonaives, samedi 17 janvier 2020 par Claudy Briend Auguste 

Une nouvelle année s’ouvre, la joie est fanée Les mots ne peuvent décrire tout ce que nous ressentons ce matin. Papa, le 5 janvier dernier, au seuil d’une nouvelle année, après 85 printemps de mission accomplie sur terre, tu es parti, rassuré d’avoir laissé de belles traces sur nos pensées. Je t’en remercie au nom de ma mère adorable, de mes deux sœurs et deux frères bien-aimés, sans oublier tes nombreux petits-enfants et arrière-petits-enfants, les espoirs de ta 3e génération. Nous n’avons pas fini de t’aimer.

Ce matin du samedi 18 janvier 2020, c’est l’un des plus difficiles exercices auquel je me suis soumis depuis mon existence. Me tenir debout face à mon père qui a enduré des souffrances physiques pour entrer finalement aujourd’hui dans la gloire et le salut des âmes.

Circonstance oblige, je me suis efforcé de répondre aux exigences de l’heure me basant sur l’un de tes vœux pieux de nous voir si nombreux rassemblés autour de toi, mais en d’autres occasions bien spécifiques et réjouissantes, comme, par exemple, la célébration d’un anniversaire de naissance, comme au bon vieux temps. Et ces anniversaires se célébraient toujours avec des bonbons Kay Madan Raymond, des bouteilles de kola Larco, du Cinzanno… et de la viande de cabris grillée.

Papa, aujourd’hui, avec des paroles restées encore endormies dans le cœur, nous sommes venus tous ici te rendre l’ultime hommage, témoignage d’affection éprouvée l’un envers l’autre. Car, pour moi, mes sœurs et frères, tu fus un papa, un père, un ami et un confident.

Quant à vous autres, distinguée assemblée, vous tous, réunis autour de sa bière, en signe d’affection et de considération, apprenez que Tonn, le compagnon de ma mère depuis l’âge de 17 ans – Antonio, le père de Jacques, le premier de ses progénitures –, qui, en 1973, a fait, à bicyclette, le trajet Gonaives-Pont Sondé pour aller prendre l’autobus à destination de Port-au-Prince, afin d’aller procurer de nouveaux ouvrages à ma sœur Marguerite qui s’apprêtait à entrer en secondaire I chez les Sœurs, fut un homme honnête, droit et respectueux et aimé de tous.

Son franc-parler, qui inspirait toujours confiance, lui a valu une solide réputation chez ses anciens collègues de travail à Care-Haïti d’où il a pris sa retraite, après une longue carrière de chauffeur professionnel de véhicules à moteur. Un peu partout, durant ses soixante ans et plus de carrière dans le transport en commun, Papa, de concert avec maman, a su se consacrer fidèlement à l’éducation de ses enfants dont les orientations professionnelles n’ont été nullement imposées.

Appelé par la Divine Majesté, le dimanche 5 janvier 2020, sans séparation violente de son âme de son corps, Papa, dont le grand esprit pur et parfait a toujours su se protéger du mal, faisait sien le principe de «Mal pa dous», «Pa fè mounn mal pou mal».

Un beau jour, au cours de l’une d’une conversation des plus intimes, j’ai demandé à papa pourquoi mon oncle Lionel et toi aviez choisi d’appeler vos camionnettes de transport en commun «Enfants de Dieu» ou encore «Je Crois en Dieu»―«Mal pa dous»,sa réponse fut catégorique, simple, sincère et directe. Il me dit que «Dans la vie, ne rends jamais le mal pour le mal et laisse au Créateur de décider du sort de ce ou de celle qui te veut du mal». Car, a-t-il poursuivi, «quand on essaie de faire du mal à quelqu’un, il faut toujours penser à ceux qui vont souffrir. Dans ma vie, je me suis toujours arrangé pour m’éloigner des forces du mal, et cela m’a donné la force de vivre au-delà de quatre-vingts ans. Je veux qu’il en soit ainsi aussi pour vous, mes enfants : Jacques, Marguerite, Jean-Michel, Antonia et toi-même». Désormais, en son absence, nous avons pris l’engagement d’épouser ce leitmotiv et de garder vivant en nous la mémoire de notre père.

Papa était aimé de tout le monde, pour me reprendre. La première expérience que nous avions faite, – mes sœurs et frères et moi-même, incluant mes 2 sœurs cadettes Nadette et Ghislaine, de regrettée mémoire – c’était à Bois Neuf, Terre Neuve au cours des vacances d’été de juillet 1970. Papa introduit pour la première fois un appareil de radio, bande AM et SW dans la région. Mes oncles, cousines et cousins de l’arrière-pays, n’en croyaient pas leurs oreilles. «Quelqu’un qui nous parle à distance, wow, incroyable» disaient-ils. M’en suis souvenu-je, que c’était le kombit sous la chaumière où il faisait si bon de vivre à la campagne.

Plus tard dans la vie, à chaque vacances d’été, papa nous faisait découvrir d’autres villégiatures du pays. Nous avions été tantôt à Anse Rouge, à Boucan Patriote, à Sources Chaudes, Milot, Dondon, Saint- Raphaël, partout où il allait bosser, papa nous traînait derrière lui. Ce qui nous avait permis d’apprendre combien il est grand, il est beau d’être fier de pouvoir gagner dignement son pain, à la sueur de son front. Merci, papa, cette bonne leçon de la vie est bien apprise et je ne trahirai jamais la tradition que tu nous as léguée, ni renoncer aux engagements pris.

En tant que protecteurs de leurs enfants, nos parents n’ont d’égal que la mère-poule. Pour papa, les liens parentaux restent toujours solides, peu importe l’âge de l’enfant ou son niveau de réussite. Une tradition, pour la plupart d’entre nous, qui avons émigré et nous a permis d’éduquer et d’élever nos enfants de la même façon que papa et maman : Garder jalousement l’haïtienneté qui dort en nous. «Nou toujou sonje kote nou soti, e kilès ki manman nou ak papa nou».

Tonn était un citoyen modèle, doté d’humilité à revendre. Très admiré par ses amis dont certains, devenus des notables de la ville, qui étaient également ses camarades de classe, chez les Frères de l’Instruction Chrétienne, aux Gonaïves. C’était toujours au nom de la franche camaraderie quand le rares circonstances de la vie les réunissaient. Contrairement à nous autres ― mes frère et sœurs cadets Jacques et Marguerite, mon frère benjamin Jean Michel, et la benjamine Antonia ― notre papa n’a pas eu la chance de grandir à l’ombre de son père qui, malheureusement, avait décédé tôt, à 33 ans, laissant un vide immense dans la vie des adolescents qu’étaient mes oncles Lionel et Jean-Claude Auguste, ainsi que ma tante Adeline Auguste.

Au moment où papa allait définitivement cesser de fréquenter le lycée Fabre Geffrard, bien avant de réussir son bac I pour s’enrôler à l’école de la vie, ses défis, ses incertitudes…deux autres frères, Fritz et Raynald Timo, s’ajoutent joyeusement à sa famille, restant de véritables amis dans le cheminement de leur quotidien et le combat de la vie.

Aujourd’hui, nous allons conduire à sa dernière demeure un homme, un grand homme qui craignait Dieu, peu attaché aux biens de la terre, «ki pa janm mele nan okenn zafè louch». Parfois, disait Papa, le bonheur est dans l’abandon de certaines choses et de certaines personnes. Doté d’un amour presqu’inébranlable, toujours prêt à pardonner les manquements ou les incartades des autres, il ne manquait jamais de rectifier ses propres erreurs ou de revisiter des devoirs non accomplis. Et fort de ce pardon que le Grand Esprit Pur et Infiniment Parfait allait lui accorder en prenant cause et fait pour lui dans sa traversée vers l’au-delà, Papa, paisiblement remit son âme à Dieu et part rejoindre les amis qui l’avaient devancé. Mais l’écho de sa voix retentira en permanence dans nos vies.

Il vient de laisser cette terre pour revivre à l’autre bout de l’univers inconnu, qui, un jour ou l’autre, sera connu de nous tous. Et la seule question qui nous sera probablement posée : qu’avions-nous fait des deniers reçus ? J’ai la ferme assurance que papa saura bien répondre à cette interrogation, car il a passé son existence à se tenir prêt pour ce voyage à sens unique. Il me l’a dit, il me l’a confié et c’est difficile d’admettre et de changer la cette réalité, que je n’entendrai plus sa voix à l’autre bout du fil, le dimanche soir, me demandant les nouvelles de ma famille, de ses petits-enfants. Que de souvenirs me sont laissés en partage !

À coup sûr, sa voix continuera de résonner dans mon esprit, dans celui de ma bienheureuse et adorable mère, et son esprit de refléter dans les bonnes actions de Jacques, de Jean- Michel, dans les confins des pensées positives de Marguerite et d’Antonia rendant toujours gloire au Très-Haut pour ce papa exceptionnel ayant accepté de faire le voyage avec le Christ qui a triomphé et remporté la victoire qui, Seul, est capable de nous conduire vers le Salut éternel, le bien-être de l’âme étant la somme accumulée de notre passage sur terre.

Papi Tonn, pour certains, Ligondé, pour d’autres, surtout quand il se tient ferme dans ses corrections, Antonio, pour ses anciens collègues de travail, ou encore des proches… Papa, c’est toujours le fils de son père quand il s’abandonne à amour maîtrisant tous les autres sentiments : Maintenant que ton périple sur terre a pris fin, va te reposer éternellement en paix ! Et merci pour tout! Merci! Nou pap jan m bliye w ! CBA


Cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, édition du 12 février 2020 VOL. L, No.6  New York, et se trouve en P. 13 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/02/H-O-12-februar-2020-1.pdf