les malheurs de la gourde haïtienne par Charles Dupuis

les malheurs de la gourde haïtienne par Charles Dupuis

  • LE COIN DE L’HISTOIRE

Aujourd’hui qu’une gourde dévaluée s’échange à des taux de plus en plus élevés sur les marchés, on semble avoir oublié que naguère encore elle s’échangeait au taux fixe de cinq gourdes pour un dollar américain. Dans le portefeuille du citoyen haïtien se côtoyaient le billet vert et le billet de cinq gourdes qui s’équivalaient parfaitement l’un et l’autre. Il faut comprendre que durant l’Occupation américaine, Haïti et les autorités de Washington avaient signé une convention, la fameuse convention de 1919, qui stipulait que la gourde haïtienne et le dollar américain s’échangeraient désormais et à jamais au taux fixe de cinq gourdes pour un dollar. Ratifiée sous la présidence de Sudre Dartiguenave, cette convention faisait de la gourde la monnaie la plus stable du monde. Et il en sera ainsi jusqu’en 1963. Quarante-quatre ans au cours desquelles Haïti disposant d’une monnaie forte, pouvait emprunter sur les marchés, diriger son économie et gérer ses finances à des conditions particulièrement avantageuses.

La convention de 1919 sera dénoncée, autrement dit annulée, parle président américain John F. Kennedy en 1963. Il faut se rappeler que Kennedy s’était vivement opposé à la prétendue «réélection» de Duvalier en 1961 pour un second mandat. Pour lui, il s’agissait ni plus ni moins que d’une farce électorale, d’une violation inadmissible de la constitution haïtienne. Le mandat de Duvalier prenant fin en 1963, il devait donc obligatoirement organiser de nouvelles élections ou autrement s’attendre aux pires rétorsions diplomatiques de la part de Washington.

Parfaitement sourd à ces menaces, Duvalier ne persistera pas moins à s’agripper au pouvoir à Port-au-Prince prêt à faire face à la riposte américaine. Celle-ci ne tardera pas à arriver. En 1963 Kennedy supprimait toute assistance économique de son gouvernement à Port-au- Prince et puis surtout il révoquait, abrogeait la convention monétaire de 1919, celle qui assurait la convertibilité de la gourde au taux fixe de cinq gourdes pour un dollar et qui, disons-le encore une fois, faisait de la monnaie haïtienne la devise la plus stable du monde.

La gourde continuera malgré tout à s’échanger au taux de cinq gourdes pour un dollar grâce à une politique d’austérité financière d’une extrême rigueur instituée par Duvalier et qui, au fil des années, entraînera la complète dévastation de l’économie haïtienne en plus de ruiner le pouvoir d’achat des familles. La gourde commencera sa véritable descente aux enfers et subira ses premières grandes décotes dans les jours précédant la chute de Jean-Claude Duvalier quand la rumeur courut que ce dernier avait effectué un retrait de 20 millions de dollars des réserves de devises fortes du Trésor public.

Quelle morale pouvons-nous tirer des péripéties de la monnaie nationale sinon considérer que maintenant que les Duvalier, père et fils, ont fini de régner sur le destin du peuple haïtien, Washington et Port-au-Prince n’ont aucune raison pour ne pas négocier la remise en fonction la fameuse convention de 1919. Cela aurait pour effet immédiat celui de stabiliser la monnaie haïtienne, de revitaliser l’économie du pays et de réduire d’autant l’inflation qui la ronge. On ne pourrait espérer une fin plus heureuse à cette histoire. C. Dupuy. coindelhistoire@gmail.c om (514) 862-7185


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. L No.13 New-York, édition du 8 avril 2020 et se trouve en P.4, à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/04/H-O-8-avril-2020-1.pdf