William Florville, l’ami haïtien d’Abraham Lincoln, Par Charles Dupuy 

LE COIN DE L’HISTOIRE

  • William Florville, l’ami haïtien d’Abraham Lincoln
  • Par Charles Dupuy 

Né le 12 septembre 1807 au Cap-Haïtien, Guillaume Florville quitta son pays vers 1820 pour émigrer aux États-Unis. Il était alors âgé de 12 ans et l’on peut supposer que c’est avec ses parents, qui l’accompagnaient, qu’il s’installa dans la ville de New-Salem. Plus tard, nous le retrouverons dans ses multiples pérégrinations, tantôt à Baltimore, tantôt à Nouvelle-Orléans, avant qu’il n’aboutisse à Springfield, la capitale de l’Illinois où il allait se fixer définitivement. C’est dans cette ville qu’il ouvre un salon de coiffure, qui attire une nombreuse clientèle, ce qui explique sa nouvelle renommée et aussi son surnom de William the Barber. Il faut savoir que William Florville (on écrit aussi Fleurville), en plus de son « Barber shop », avait ouvert plusieurs petits commerces, dont une buanderie, qui affichait des chiffres d’affaires extrêmement rentables. Un peu plus tard, il prendra le risque d’investir dans le domaine de l’immobilier, une initiative audacieuse et risquée, mais qui se révéla finalement très lucrative, une véritable mine d’or pour Florville, qui sera bientôt considéré comme l’un des entrepreneurs les plus prospères de la ville de Springfield.

Signalons qu’en plus d’être un homme d’affaires, Florville était un instrumentiste virtuose, qui jouait merveilleusement bien de la clarinette et de la flûte. Ses talents étaient appréciés, tant à la fanfare municipale que dans les assemblées de la communauté noire de la ville de Springfield. Ajoutons ici qu’il contribuait de ses deniers aux initiatives sociales de la communauté noire, en généreux mécène, qui avançait sans compter les fonds nécessaires à leur réussite…

On ne connaîtra sans doute jamais les véritables circonstances qui amenèrent Guillaume Florville et Abraham Lincoln à se rapprocher, au point de devenir les meilleurs amis du monde. On peut aisément supposer que Florville, lors de ses pérégrinations à travers les territoires inexplorés d’Amérique, aurait rencontré, comme par hasard, ce grand gaillard d’Abraham Lincoln (il faisait 1m93), alors un jeune homme dans la vingtaine et destiné à devenir, un jour, le 16e président des États-Unis. Ces deux jeunes gens auraient vite sympathisé (ne dit-on pas que Lincoln avait du sang africain dans les veines?…), auraient choisi de faire la route ensemble, partageant fraternellement leur frugale pitance sur les rives sablonneuses et sauvages des tumultueuses rivières du Kentucky.

La réalité est, sans doute, beaucoup moins romantique. Précisons que Lincoln habitait Springfield, à seulement deux ou trois pâtés de maison du quartier noir où résidait Florville. C’est dans le salon de coiffure de Florville, alias « Billy the Barber », que, pendant plus de vingt ans, Abraham Lincoln se faisait régulièrement couper les cheveux et raser la barbe. C’est aussi là que Lincoln aimait passer, de temps à autre ,afin de rencontrer Florville, dont il appréciait la compagnie, pour échanger les derniers potins du jour et savourer ces rares moments d’insouciance. C’est ainsi que, pour le reste de leur existence, les deux hommes resteront bons copains, unis par les solides liens d’une camaraderie indissoluble, indéfectible. Lorsque, au fil des années, Florville se fut trouvé à la tête d’une assez rondelette fortune et qu’il eut besoin des services d’un homme de loi, afin de régler les petits litiges qu’il rencontrait dans la gestion de ses entreprises qui, chaque jour, gagnaient de plus en plus en importance, c’est son ami l’avocat Abraham Lincoln qu’il consultait, qui lui donnait des conseils juridiques et même qui plaidait ses causes devant les tribunaux.

Quand vint le jour où Lincoln fut élu président et obligé de quitter Springfield pour devenir le nouveau locataire de la Maison-Blanche, c’est tout naturellement qu’il eut recours aux services de Florville qu’il chargea de veiller à ses intérêts dans la ville pendant son absence. William Fleurville écrira ainsi régulièrement au président Lincoln pour lui faire de brefs états des lieux et le rassurer au sujet de ses propriétés. La Bibliothèque du Congrès de Washington garde encore, bien précieusement, dans ses réserves, une lettre de William Florville datée du 27 décembre 1865 et adressée au président Lincoln. Dans cette missive, très officielle, d’allure et de ton, Florville encourage son ami le président, dans sa lutte, contre la rébellion et la sécession, et souhaite très vivement que son administration soit « prospère, sage et productive ».

Le jour de l’enterrement de Lincoln, son vieil ami, William Florville fut invité à se placer juste en arrière du corbillard en compagnie des parents et proches relations du président décédé. Florville déclina poliment cet honneur, refusa ce privilège insigne pour aller de préférence suivre le cortège funèbre en marchant à la queue de la longue procession dans la partie du cortège réservée aux Noirs (*).

William Fleurville est mort le 13 avril 1868 à Springfield et c’est aussi là qu’il fut enterré. Il avait 60 ans. (**)

(*) Cette attitude de Florville lors de l’enterrement de Lincoln est rapportée dans le numéro du 16 avril 1965 du magazine Life.

(**) Au sujet des relations d’amitié entre un président américain et un citoyen haïtien, la tradition rapporte que Woodrow Wilson invitait souvent à la Maison-Blanche, M. Dandurand, un diplomate français, et le très érudit ambassadeur d’Haïti à Washington, M. Solon Ménos, dont il appréciait la richesse de la conversation. À cela, ajoutons l’amitié dont témoigna Dwight D. Eisenhower envers Paul Magloire. C’est celui-ci qu’on verra toujours assis à sa droite pour présider la réunion des chefs d’État du continent tenue au Panama et il le recevra avec les plus grands honneurs à la Maison-Blanche. C.D. coindelhistoire@gmail.com (514) 862-7185

cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. LIII, No.38 Édition spéciale Canada du 01 novembre 2023, et se trouve en P4 à  : h-o 1 nov 2023

Haïti-Observateur / ISSN: 1043-3783


Réf.

From William Florville to Abraham Lincoln1, December 27, 1863

1 Florville was originally a Haitian who settled in Springfield and had been Lincoln’s barber.

Springfield Ills Decr 27th 1863

Dear Sir— I, having for you, an irrisisteble feeling of gratitude for the kind regards Shown, and the manifest good wishis exhibited towards me, Since your residence in Washington City; as Communicated by Doctor Henry2 Sometime ago, and lately by his Exelency Governor Yates3, have for the above reasons and our long acquaintance, thought it might not be improper for one so humbler in life and occupation, to address the President of the United States—

2 Anson G. Henry

3 Richard Yates

Yet, I do so, feeling that if it is received by you (and you have time for I know you are heavily Tax) it will be read with pleasure as a communication from Billy the Barber. this I express and feel. for the truly great Man regards with corresponding favor the poor, and down troden of the Nation, to those more favored in Color, position, and Franchise rights. And this you have Shown, and I and my people feel greatful to you for it. The Shackels have fallen, and Bondmen have become freeman to Some extent already under your Proclamation. And I hope ere long, it may be universal in all the Slave States. That your Authority May Soon extend over them all, to all the oppressed, releiving them from their Bondage, and cruel Masters; Who make them work, and fight, against the Goverment. And when So released, they would be glad I have no doubt, to assist in putting down this infamous Rebellion— May God grant you health, and Strength, and wisdom, so to do, and so to act, as Shall redown to his Glory, and the Good, peace, prosperity, Freedom, and hapiness of this Nation. So that War Shall be known no more, that the cause or pretext for war be removed. that Rebellion and Secession Shall have no place to make, and nothing to ask for, that all the States may not have an equal right to demand. then, and not till then, will the Government be Steadfast and abiding. and for that reason, I hope and trust, that you may be chosen for a Second term to Administer the affairs of this Government. I think, after a four years experiance, you are posted in matters relating thereto. and better calculated to carry out your own designs, and the wishes of the people, than any other man in this Nation. And the people here so think.

And if it Shall be the wish of the Men, who Support the Goverment, anxious to put down the Rebellion, Sustaining the Army, loving Freedom and the union, and who Sustain your acts, and your Administration, that you Should again accept the office of Chief Magistrate of this Nation, I hope you will not decline: but accept it, and put things and Matters through, to their termination And When these troubles Shall end, the Nation will rejoice. the Oppressed will Shout the name of their deliverer, and Generations to Come, will rise up and call you blessed. (so mote it be) I was Sorry to hear of your illness4, and was glad When I learned that your health was improving. I hope by this time, you are able, or soon will be, to attend to your arduous buisness

4 Lincoln had been ill with varioloid, a mild form of smallpox.

I was Surprised at the announcement of the death of your Son Willy.5 I thought him a Smart boy for his age, So Considerate, So Manly: his Knowledge and good Sence, far exceeding most boys more advanced in years. yet the time Comes to all, all must die.

I should like verry much, to See you, and your family. but the priviledge of enjoying an interview, may not soon, if ever come.

5 Willie Lincoln died on February 20, 1862.

My family are all well. My son William is Married and in buisness for himself. I am occupying the Same place in Which I was at the time you left. Tell Taddy that his (and Willys) Dog is a live and Kicking doing well he stays Mostly at John E Rolls with his Boys Who are about the Size now that Tad & Willy Ware When they left for Washington

Your Residence here is Kept in good order. Mr Tilton has no children to ruin things. Mrs Tilton and Miss Tilton are verry Strong Union Ladies and do a great deal for the Soldiers who are Suffering So Much for us & to Sustain the Goverment

please accept my best wishes for yourself and family. and my daily desires for yourself that your Administration may be prosperous, Wise, and productive of Good results to this nation, and may the time Soon come, When the Rebellion Shall be put down; and Traitors, receive their just recompence of reward. and the People be at Peace, is the Sincere feelings of your obt Servant

William Florville the Barber

  • texte tiré des Archives Nationales Américaines
  • photo d’un reçu du Barbier Florville