Quand Duvalier inaugurait l’aéroport de Maïs-Gâté par Charles Dupuy

LE COIN DE L’HISTOIRE

  • Quand Duvalier inaugurait l’aéroport de Maïs-Gâté par Charles Dupuy

Qui n’a pas lu ou entendu dire comment Duvalier, en dépit de tous les reproches qui peuvent lui être adressés, aura néanmoins doté Port-au-Prince de l’aéroport international de Maïs-Gâté ? Pour les apologistes du duvaliérisme intégral, cet aéroport représente une réussite de la volonté de leur maître qui, ô miracle, aurait conçu et réalisé ce projet, à lui tout seul, sans recourir à l’aide étrangère.

C’est le 22 septembre 1964, qu’en grande pompe, Duvalier inaugurait le nouvel aéroport de Port-au-Prince. Les travaux en avaient débuté quelque dix mois plus tôt sous la direction de l’ingénieur Maxime Léon et son ouverture servira de prétexte à des manifestations euphoriques de réjouissance et au triomphalisme dé chaîné des thuriféraires et partisans de Duvalier. Ce dernier se montre très fier de ce nouvel aéroport de Maïs-Gâté qui va, enfin, permettre aux gros porteurs à réaction d’atterrir en Haïti. D’ailleurs, dans un de ses élans narcissiques habituels, Duvalier s’empresse, par décret présidentiel, d’attribuer son nom au nouvel aéroport.

Cet aéroport, que Duvalier considère comme la réalisation la plus spectaculaire de son gouvernement, Bernard Diederich et Al Burt, dans leur livre Papa Doc et les Tontons Macoutes, (Albin Michel, 1971) le regardent plutôt comme une flagrante «démonstration de l’ineptie» de son régime. Voici au moins cinq ans, écrivent-ils, que les avions à réaction devaient pouvoir utiliser les installations de Port-au-Prince. «Si tel n’a pas été le cas, la faute en incombe à la cupidité des gens en place, cherchant à se faire verser des pots de vin par les entreprises étrangères soumissionnaires pour la construction des pistes et des installations. En deux occasions distinctes, les États-Unis se sont déclarés prêts à avancer le montant des travaux. […] L’offre américaine a été faite notamment après le chantage exercé par Haïti, lors de la réunion de l’OÉA, à Punta del Este, lorsqu’il s’agissait de condamner Cuba. Les duvaliéristes se montrent tellement voraces cependant que, même à cette occasion, ils trouvent le moyen de rendre le contrat caduc. […] Au moins quatre contrats différents ont été signés avec des sociétés de grands travaux étrangères. Chaque fois on n’a même pas donné le premier coup de pelle. À cela il y a deux raisons principales. Ou bien ce sont les duvaliéristes qui ont sapé l’opération en essayant de placer en priorité les compagnies qu’ils patronnent personnellement, ou bien les sociétés avec lesquelles le contrat a été passé sont de simples bureaux d’escroquerie. Sous prétexte de financer la construction du nouvel aéroport, on a établi des impôts nouveaux ou continué à collecter les anciens. Le mon tant ainsi réuni représente plusieurs fois le coût final de l’opération» (p.308).

On me reprochera cette trop longue citation, et je demande au lecteur de bien vouloir m’en excuser, mais je crois qu’elle était in dispensable pour établir la véracité des faits et les exposer dans leur triste réalité. Le bilan des réalisations matérielles du régime trentenaire des Duvalier est extraordinairement maigre. Citons : Duvalier-ville, le monument du marron inconnu, le lycée de Pétion-Ville, l’édifice de la DGI, la mise en fonction de l’usine hydro-électrique de Péligre et, bien évidemment, l’aéroport de Maïs-Gâté. Nous aurons donc subi trente longues années de dictature pour rien…

Rappelons qu’entre 1962 et 1965, la période pendant laquelle on construisait l’aéroport de Maïs-Gâté, le PIB d’Haïti s’était affaissé de plus de quinze pour cent. On rappellera aussi qu’à cette époque, obnubilé par la soif du pouvoir et l’appât du gain, Duvalier dévalisait sans vergogne les caisses de l’État haïtien au profit de sa coterie politique et au ra fait du macoutisme une organisation criminelle spécialisée dans l’extorsion de biens publics. Toutes les prisons du pays regorgeaient alors de centaines de prisonniers politiques qui subissaient les tourments de la persécution dans des cachots infects. Dans l’Haïti de Duvalier, tout le pays redoutait l’arbitraire des verdicts présidentiels, tout bon citoyen craignait la détention politique, redoutait la dénonciation calomnieuse, l’arrestation illégale, les mauvais traitements, la torture et la mort. C.D. coindelhistoire@gmai l.com (514) 862-7185


cet article est publié par l’hebdomadaire Haïti-Observateur, VOL. L No.19 New York, édition du 20 mai 2020 et se trouve en P.3 à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2020/05/H-O-20-mai-2020-1.pdf